Paragraphe 2 : l'instrumentalisation du concept de bonne
gouvernance
Les programmes quinquennaux de financement, établis
entre l'UE et la Côte d'Ivoire170, prévoient avec
récurrence, le renforcement de l'État et la consolidation de la
bonne gouvernance comme secteur stratégique d'intervention. Cependant le
concept de gouvernance ne fait pas l'unanimité en sciences sociales.
Affublée de qualificatifs bienveillants, la gouvernance et son champ
sémantique peuvent constituer une logorrhée pseudo moderniste au
service d'un discours intéressé et teinté
d'idéologie néolibérale171
(B). Son utilisation courante permet alors de se donner l'air
à la page tout en oblitérant les notions si peu gratifiantes pour
le public de gouvernement ou d'autorité publique
(A).
A) : L'émergence du concept de bonne gouvernance
politique
La bonne gouvernance va connaitre son âge d'or, dans un
monde changeant où les motifs sécuritaires sont sur le
déclin, consécutivement à la chute de l'URSS en 1991, et
les conséquences sont immédiates. En effet, la chute des
régimes d'Europe de l'est, mieux encore la médiatisation de la
déchéance des dictatures, dont les images de la mort du couple
CEAUCESCU ou encore la libération de l'emblématique prisonnier
politique Nelson MANDELA en Afrique du sud, ont marqué incontestablement
le début d'une
169 Rappelons que l'UE avait suspendu sa
coopération avec la Cote d'Ivoire à la suite de la crise
politico-militaire de 2002.
170 Voir le DSP, prévu, dans le cadre du
10ème FED, pp. 1 & 19 ; et le PIN du
11ème FED, p.6.
171 Cf. World Bank, 1992 : ce texte fondateur associe
étroitement la « la bonne gouvernance » à la
création d'un environnement favorable aux entreprises
internationales.
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nouvelle page de l'histoire de l'humanité
imprimée par le triomphe de la pensée libérale et
démocratique.
A cette période en Côte d'Ivoire, le marasme
économique, l'arbitraire et la corruption ont donné lieu à
des organisations clandestines d'opposants au régime d'exception. Le
régime en place ne pouvaient plus contenir ces mouvements (dont certains
en exil) qui mettaient son autorité à rude épreuve. Dans
un contexte d'autoritarisme, où la "politique du ventre", la gestion
néo-patrimoniale172, et bien entendu le clientélisme,
constituent la norme. La crise économique s'analyse en un déclin
des capacités redistributives de l'État173, qui
affecte au premier chef les couches moyennes menacées par la fermeture
d'entreprises publiques et les compressions du personnel dans la fonction
publique, mais aussi la paysannerie dont les cours des produits de rente sont
en chute libre. La conjoncture de contestations souterraines a rendu plus
audible la portée174 du discours de la Baule, le discours
prononcé à l'occasion de la 16ème
conférence des chefs d'État de France et d'Afrique tenue du 16 au
21 juin 1990.
Ce sommet a contribué à précipiter le
processus démocratique déjà ouvert dans certains pays. Il
a selon Claude WAUTIER175 , forcé la main à certains
dirigeants africains qui hésitaient encore à franchir le pas de
la gouvernance démocratique. La conditionnalité
démocratique contre l'aide sera au coeur des politiques des
différents États de l'UE et en particulier de la France.
On pourrait analyser et interpréter cette recette sans
nul doute comme le message principal que François MITTERRAND avait voulu
faire passer à ses homologues africains en 1990 au sommet de la Baule.
La formule « aide française contre démocratie » devient
le mot clé de la coopération française. Mais, la
continuation de la politique africaine traditionnelle de la France a vite fait
d'aggraver les vicissitudes dans la mise
172 JACQUEMOT (P), RAFFINOT (M), La nouvelle politique
économique en Afrique, Paris, EDICEF 1993 p. 15.
173 Ibidem, p. 22.
174 L'on peut même faire le lien entre le discours de la
Baule de MITTERAND (F) et l'introduction du système multipartite en
Côte d'Ivoire en 1990.
175 WAUTIER (C), Quatre présidents et l'Afrique de
Gaule, Pompidou, Giscard d'Estaing, Mitterrand, Paris, Editions du Seuil,
1995, p. 717.
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en oeuvre de la conditionnalité démocratique
dans ces dimensions positives et négatives. C'est au nom de la
démocratie que Paris et les dirigeants africains ont répondu au
coup par coup à cette problématique fastidieuse : «
comment démocratiser tout en évitant toute rupture du cordon
ombilical avec la France, considéré toujours comme une
mère porteuse et nourricière par les uns et les autres
»176. La chose démocratique n'est donc qu'un
accessoire, qui sert de façon détournée aux États
donateurs à faire croire à la prise en compte des aspirations des
populations. Car la primeur reste consacrée à la protection
d'intérêts stratégiques de nature feudataire.
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