PREMIERE PARTIE :
L'AIDE DE L'UNION EUROPEENNE, UN ATOUT POUR
LA GESTION FINANCES PUBLIQUES EN COTE D'IVOIRE
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A l'origine, l'intervention des partenaires européens
dans le cycle de développement de la Côte d'Ivoire n'avait pas
réellement d'incidences sur le cadre normatif de gestion des finances
publiques. Cette intervention était principalement financière et
consistait dans le financement de projets d'investissement pour la mise en
place d'infrastructures de bases. Elle s'est transformée depuis les
années 80 et surtout 9015, avec l'introduction de
conditionnalités16, qui impliqueront un changement du
modèle de gestion politique, budgétaire et financière. La
nouvelle orientation donnée à la politique de coopération
pour le financement du développement des partenaires
européens17 avec la Côte d'Ivoire, va s'organiser
autour des questions de gouvernance (chapitre 1) ; avec comme
objectif principal l'efficacité des initiatives de la lutte contre la
pauvreté dans le contexte du développement durable
(chapitre 2).
15 Sur le plan des relations internationales
économiques cette décennie sera marquée par la mise en
place et application du consensus de Washington. Cette expression,
utilisée pour la première fois en 1989 par l'économiste
américain John WILLIAMSON, résume un ensemble de politiques
économiques préconisées par la Banque mondiale et le FMI.
A la base, ces recommandations avaient comme unique but de résoudre la
crise financière de l'Amérique latine mais elles ont finalement
structuré la pensée dominante du développement jusqu'au
milieu des années 1990.
16 Terme didactique. Qualité de ce qui est
conditionnel, qui dépend de certaines conditions. Promesse, clause
conditionnelle. Dictionnaire Le Littré version numérique
2008.
17Les politiques de développement des Etats
membres et de l'Union sont complémentaires. L'Union est aussi le plus
important contributeur en matière d'aide au développement. Avec
ses États membres, elle octroie plus de la moitié du montant
global de l'aide publique au développement (APD). Statistiques
OCDE.
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CHAPITRE 1 : LA BONNE GOUVERNANCE AU CENTRE DE
LA POLITIQUE D'AIDE
La lutte contre la pauvreté18, la bonne
gouvernance et la sauvegarde de l'environnement sont au centre des
préoccupations de l'UE. En effet, Le triomphe du libéralisme
politique et économique19 dans les années 90,
consécutif à l'effondrement du bloc de l'est, ouvrait
déjà une nouvelle ère dans les relations de
coopération internationale basée sur la promotion de la bonne
gouvernance et le respect des principes démocratiques. L'appui aux
processus de démocratisation et de promotion de la bonne gouvernance en
Afrique fait désormais partie des priorités de la politique
extérieure de l'UE. Il figure ainsi en bonne position dans la plupart
des instruments juridiques et des programmes de partenariat entre l'UE et le
groupe des Etats ACP20, auquel appartient la Cote d'Ivoire
(section 1).
Les accords de coopération pour le financement du
développement établis entre la Côte d'Ivoire et l'UE
s'inscrivent dans cette nouvelle optique21. Ils mettent de plus en
plus l'accent sur le renforcement de la démocratie avec une place de
choix faite à la transparence des affaires publiques et partant des
finances publiques (section 2).
18 Les Objectifs du Millénaire pour le
Développement (OMD) ont été établis à la
suite du Sommet du Millénaire en Septembre 2000. La lutte contre la
pauvreté constitue l'OMD n°1.
19 Le libéralisme est un ensemble des
doctrines politiques et économiques qui font de la liberté
individuelle, définie comme un droit naturel, la valeur suprême
que toute collectivité humaine doit garantir et promouvoir. Dans sa
variante politique, le libéralisme cherche à définir le
type de régime qui permettra de garantir au mieux le respect de ces
droits et de se prémunir contre les éventuels empiétements
de l'État. L'État est ainsi pensé chez l'ensemble des
libéraux comme un État minimal, voué à ses missions
de régulation, qui s'oppose à l'État absolu du
XVIIe siècle. À des titres divers, BENTHAM (J) et
STUART MILL (J) en Grande-Bretagne, TOCQUEVILLE et surtout CONSTANT (B) en
France sont, dans la première moitié du XIXe
siècle, quelques-uns des principaux acteurs du courant libéral.
Dans sa variante économique, le libéralisme s'applique à
la défense de la liberté individuelle sur le marché. En
s'appuyant sur la théorie des droits naturels, des économistes
physiocrates comme P. de BOISGUILLEBERT ou QUESNAY (F) s'opposent au
mercantilisme et dénoncent l'intervention économique de
l'État. Pour ces auteurs, les individus doivent être
laissés libres de poursuivre leur intérêt particulier
puisque l'ordre social qui en résulte est le meilleur possible. Il
existe en effet des lois naturelles qui permettent de concilier
l'intérêt personnel et le bien-être général :
ces lois sont celles du marché, régi par les principes de la
concurrence pure et parfaite. La formule « laissez-faire, laissez-passer
», du physiocrate V.de GOURNAY, résume cette première
formulation du libéralisme en matière économique. Dans ce
cadre, l'intervention de l'État doit être réduite au
maximum. Au XIXe siècle, RICARDO (D), Stuart Mill (J), en
Grande-Bretagne, SAY (J-B), en France, prolongent la réflexion d'Adam
SMITH sur le sujet et font des années 1820-1914 l'âge d'or du
libéralisme économique.
20 Article 9 de l'accord de Cotonou,
révisé en 2005 & 2010.
21 Voir le Document de stratégie pays pour le
compte du 10ème FED (2008-2013), pp 29-30.
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Section 1 : La démocratie, une
conditionnalité à l'attribution de l'aide
C'est au coeur des institutions de coopération de la
Communauté européenne22 que cette nouvelle politique
de promotion et de protection des droits de la personne a vu le jour. Cette
politique impose aux pays tiers demandeurs d'aide comme la Côte d'Ivoire,
le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux ainsi
que l'instauration de la bonne gouvernance au sein de leurs institutions
(paragraphe 1). L'Accord de Cotonou et les différents
instruments directeurs23 de la politique extérieure de l'UE
donnent à cette conditionnalité, différentes approches de
mise en oeuvre (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'exigence du respect des règles
démocratiques
En 2006 la politique de coopération au
développement de l'Union européenne s'est enrichie d'une
déclaration24 qui définit les valeurs, principes,
objectifs et moyens communs à mettre en oeuvre pour éradiquer la
pauvreté dans le monde. Elle engage la Communauté et les
États membres en leur qualité de donateurs bilatéraux.
Cette déclaration constitue une innovation de taille en termes de
coordination des acteurs européens, cependant les valeurs et principes
dont elle fait étalage transparaissaient déjà dans le
partenariat UE-ACP au sein de l'accord de Cotonou25. Ces principes
que l'on retrouve dans les accords de financement26 passés
entre la Côte d'Ivoire et la
22 Il faut entendre par Institution de
coopération de l'UE, le Parlement européen, le Conseil
européen, le Conseil, la Commission européenne, la Banque
centrale européenne. Voir article 13 du Traité sur l'Union
Européenne.
23 Le Traité sur l'Union européenne
(traité UE), Traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne (traité FUE), le Consensus européen en
matière de politique de développement (2005) etc.
24 « Le consensus Européen pour le
développement », issue d'une Déclaration conjointe du
Conseil et des représentants des gouvernements des États membres
réunis au sein du Conseil, du Parlement européen et de la
Commission, le 25 décembre 2005, in Journal Officiel de l'UE, C 46, 26
février 2006.
25 L'accord de Lomé IV (15
décembre 1989) y faisait référence en des termes moins
explicites.
26 Ces accords sont établis conformément
aux dispositions des articles 2 et 4 de l'annexe IV de l'accord de partenariat
ACP-CE, signé à Cotonou le 23 juin 2000 tel que
révisé en 2005 puis en 2010.
11
Commission Européenne (CE) touchent tant et aussi bien
à l'environnement politique (A) qu'à des
questions institutionnelles (B).
A): Au niveau de l'organisation du pouvoir
En plus de son objectif d'un monde sans pauvreté,
l'action de l'UE sur la scène internationale repose sur les valeurs
démocratiques qui ont présidé à sa
création27. Pour traduire cet engagement en faits, plusieurs
initiatives tendant à la concrétisation du lien entre
développement et démocratie, vont être prises. Avec la
Côte d'Ivoire, l'Union s'appuie sur son aide au développement et
plus spécifiquement sur la coopération pour le financement du
développement28. Rappelons, si besoin en était que le
partenariat UE-ACP ne date pas d'aujourd'hui et qu'il s'est organisé
autour de plusieurs accords29 assortis de protocoles ou cadres
financiers pluriannuels.
Si le dernier né de ces accords (Cotonou) se
démarque des précédents, c'est sans nul doute du fait de
la plus grande part donnée à la dimension politique au
détriment de la dimension commerciale. Il n'en demeure pas moins pour
autant qu'avec la Convention de Lomé IV30
révisée et assorti d'un nouveau protocole financier31
en 1995, l'on pouvait déjà déceler une nouvelle
tonalité politique, conséquence évidente du Traité
de Maastricht. En effet, une référence explicite à la
reconnaissance des principes démocratiques et à la consolidation
de l'État de droit32, amorce le lien entre l'aide
communautaire au développement et les valeurs démocratiques.
Quoique cette clause fut imprécise et manquait de force
exécutoire, cela n'a pas empêché la condamnation du coup
d'état du 24 décembre 1999 par l'UE33.
27 Cf. articles 2,3 & 21, paragraphe
1, du traité sur l'Union européenne (traité UE): portant
mandat global et lignes d'orientation dans le domaine de la coopération
au développement de l'Union.
28 Cf. Partie 4 de l'accord de Cotonou
concernant coopération pour le financement du développement.
29 Les Accords de Yaoundé, les Conventions de
Lomé et l'Accord de Cotonou.
30 La Convention de Lomé IV a été
conclu le 15 décembre 1989 pour une durée de dix ans
(1990-2000).
31 Le 8ème FED, signé à Maurice
en novembre 1995.
32 Cf. article 5 de la convention de
Lomé IV.
33 Voir intervention de KOULIBALY (M) (Ministre du
Budget du gouvernement de transition Ivoirien 2000), in Politique africaine
n° 77 - mars 2000, pp 131-132.
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Avec l'accord de Cotonou, la démocratie et
l'État de droit ont, pour la première fois, été
consacrés comme des « éléments
essentiels34 » du partenariat UE-ACP. La Côte d'Ivoire se
doit donc de développer sa culture démocratique en s'inspirant
des principes démocratiques universellement reconnus, sur lesquels se
fonde l'organisation de l'État pour assurer la légitimité
de son autorité. Par ailleurs la légalité des actions de
l'État doit se refléter dans son système constitutionnel,
législatif et réglementaire, et dans l'existence de
mécanismes de participation des citoyens à la conduite des
affaires publiques.
L'État de droit quant à lui inspire la structure
de l'État et les compétences des divers pouvoirs. Il implique, en
particulier, la définition des moyens effectifs et accessibles de
recours légal, un système judiciaire indépendant
garantissant l'égalité devant la loi et un exécutif qui
est pleinement soumis au respect de la loi.
En pratique, l'UE n'a de cesse de réaffirmé que
l'aide ne peut être efficace que dans un contexte politique stable et
basé sur des principes démocratiques. En Côte d'Ivoire elle
utilise le Fonds européen de développement35 (FED) et
d'autres moyens d'assistance technique pour accompagner le renforcement de
l'État par la bonne gouvernance36. Tout ceci en oeuvrant dans
le sens de la consolidation de la paix et d'un environnement politique et
sociale respectueux des droits de l'Homme et libertés fondamentales.
34 Cf. Articles 9 &10 de l'Accord de
Cotonou. En droit international (Convention de vienne sur le droit des
traités du 23 mai 1969), cette formule signifie que si une partie
considère qu'une autre a manqué à une obligation
concernant l'un des éléments essentiels, elle peut si des
consultations en vue de rétablir la situation ont échoué
prendre des mesures appropriées, en d'autres termes des sanctions, qui
peuvent aller jusqu'à la suspension de la coopération.
35Le Fonds européen de développement
(en abrégé, FED) est le principal instrument financier de la
coopération entre l'Union européenne et le Groupe des pays
d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). A ce titre, il sert, depuis
plus de quarante ans, à financer toute une panoplie de programmes et de
projets de développement dans l'ensemble des pays ayant conclu des
accords de partenariat avec l'Union (successivement, Accords de Yaoundé,
Conventions de Lomé, Accord de Cotonou).
36 Voir les objectifs des programmes indicatifs
nationaux définis entre l'UE et la Cote d'Ivoire dans le cadre des
10ème et 11ème FED.
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