DEUXIEME PARTIE :
L'AIDE DE L'UNION EUROPEENNE, UNE CONTRAINTE POUR LE
SYSTEME DE GESTION DES FINANCES PUBLIQUES EN COTE D'IVOIRE
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Les contraintes que l'aide internationale exerce sont à
juste titre connues sous l'image négative des conséquences
sociales des réformes économiques et structurelles
imposées par les mesures d'ajustement structurel. Considérant les
institutions et procédures de gestion des finances publiques ivoiriennes
dans leur ensemble, deux séries de contraintes peuvent être
imputées à l'APD de l'UE et ses États membres. La
première est d'ordre budgétaire et réside dans l'effet de
dépendance qu'elle occasionne (chapitre 1), et la
seconde est à mettre en liaison avec la gouvernance publique, qui est
impactée dans son ensemble par les mesures liées aux
conditionnalités d'octroi de l'aide (chapitre 2)
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CHAPITRE 1 : LES CONTRAINTES D'ORDRE BUDGETAIRE
Chaque année, le législateur autorise dans la
loi de finances, le Président de la République à
contracter des emprunts et à recevoir des dons au nom de
l'État.117 La formule est heureuse, elle est
consécutive à l'institutionnalisation du pouvoir. Ces ressources
constituent de l'aide budgétaire, c'est-à-dire un transfert de
ressources entre deux pays, ou entre une organisation internationale et un
pays, se manifestant par des prêts, des investissements voir des dons.
L'Accord de Cotonou a fait une typologie de l'aide budgétaire à
partir de sa finalité. Ainsi on peut distinguer l'aide aux
investissements destinée à financer les projets et programmes
d'investissements publics et d'appui institutionnel, de l'aide hors projet qui
est un aspect de l'ajustement structurel et qui accompagne les réformes
macroéconomiques et sectorielles. Elle est destinée aux
rééquilibrages macroéconomiques.
Le recours à cet instrument de financement
budgétaire s'explique par le fait que la morosité
économique entraine la raréfaction des moyens fiscaux, et
l'État n'a pour se faire d'autres palliatifs, que la sollicitation
encore plus intensive de l'aide extérieure. L'aide publique
européenne a joué et continue de jouer un double rôle pour
les finances publiques de l'État ivoirien. Elle est un
Janus118 pour l'équilibre budgétaire. Par l'injection
de flux financiers elle a contribué à soulager la loi de
finances. Cependant une partie substantielle des aides implique une
contrepartie qui emporte des retombées financières
(section 1) et juridiques sur la gestion budgétaire
(section 2).
117 Cf. article 4, 56, 58, 59, 60, 61, 62 DLF au sein
de l'UEMOA ; articles 60, 61, 62, 63, 64 de la Loi organique n°2014-337 du
05 juin 2014 relative au loi de finances en Côte d' Ivoire. De la
synthèse de ces différents textes il ressort que Le projet de loi
de finances de l'année (y compris le rapport et les annexes
explicatives) préparée par le ministre chargé des finances
et adoptée en Conseil des Ministres , est déposé sur le
bureau du Parlement au plus tard le jour de l'ouverture de la session
budgétaire. Lorsque le projet de loi de finances a été
déposé dans les délais sur le bureau du Parlement, il doit
être adopté au plus tard à la date de la clôture de
la session budgétaire. A défaut, il peut être mis en
vigueur par ordonnance.
118 Personnalité qui présente deux aspects
très différents, parfois opposés (comme le dieu romain
Janus, bifrons, c'est-à-dire représenté avec deux
visages). Dictionnaire le Grand Robert 2005.
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Section 1 : Le contrecoup financier des aides
Par nature, l'aide budgétaire, surtout quand elle prend
la forme de prêt, implique une contrepartie, le remboursement du capital
et le paiement des intérêts. L'accumulation des prêts
à intérêts non remboursés engage la Côte
d'Ivoire dans le cycle de l'endettement et menace la soutenabilité
à long terme des finances publiques119 (paragraphe
1). Tandis que les multiples conditionnalités gouvernant le
partenariat UE-ACP sont susceptibles de placer l'État ivoirien dans une
situation d'insécurité financière en raison de
l'imprévisibilité du décaissement des montants
prévus (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'APD: un goulot d'étranglement des
finances publiques
L'approche du bailleur de fonds s'inscrit très souvent
dans le cadre de la relation entre banquier et
bénéficiaire.120 Conformément à la
pratique bancaire, la logique propre au prêt, c'est-à-dire la
nécessité d'assurer le remboursement va l'emporter sur la logique
politique de l'aide qui est d'offrir une aide au développement efficace.
La Côte d'Ivoire ayant contracté des emprunts massifs aussi bien
avec les partenaires publics européens qu'avec d'autres partenaires au
développement durant des années pour financer son
développement, elle se retrouve avec une dette publique abyssale,
péniblement remboursables, grevée à son budget. En plus de
menacer la viabilité des finances publiques du fait du service de la
dette (A), l'aide financière octroyée est
souvent liée (B) ce qui a pour effet d'en nuancer
l'efficacité.
119 JACQUEMOT (P), « Cinquante ans de coopération
française avec l'Afrique subsaharienne. Une mise en perspective »
(IIème Partie), Afrique contemporaine, n° 239-2011, p.
29.
120 Voir, PACQUEMENT (F), «L'OCDE et l'évolution
de l'aide par prêt» in Afrique contemporaine n°
spécial 188, Les aides à l'Afrique en question, 1998, p.168.
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A) : L'équilibre des finances publiques face au
poids de la dette
extérieure
« L'endettement est un moyen de financement des
Etats. C'est donc un instrument de gestion. Il devient un fardeau ou une
préoccupation majeure lorsque le pays emprunteur n'est plus en mesure
d'assurer à bonne date le service de la dette » 121. En
Côte d'Ivoire, la gestion de la dette reste une préoccupation
majeure. La dette publique extérieure représente un poids
important pour les finances publiques, elle est le produit de l'accumulation
des prêts accordés par les bailleurs de fonds internationaux
depuis les années 1960.
La question de l'endettement s'est surtout posée avec
acuité après les PAS et l'arrivée à
échéance des prêts massifs accordés pendant les
années 80-90 . Il est arrivé ainsi que le remboursement de l'aide
en plus des intérêts à échéance
opèrent des transferts nets négatifs vers les pays et organismes
d'aide. On entre ainsi dans un cercle vicieux: les nouveaux emprunts servent au
remboursement du principal et des intérêts. Ce
phénomène auto-entretenu aboutit à la crise de
l'endettement, souvent dénoncée comme le signe d'un nouvel
impérialisme économique qui compromet la soutenabilité
à long terme des finances publiques nationales.
Ce phénomène est bien connu par l'État
ivoirien en raison de sa dépendance aux flux de financements
extérieurs122. Or, le surendettement est un
phénomène néfaste pour les finances publiques d'un
État déjà fragilisé par la baisse de ses produits
d'exportation, essentiellement constituées de matières
premières, et des balances commerciales structurellement
déficitaires. C'est le constat de l'endettement excessif des pays en
développement qui a conduit aux engagements d'annulation de la
121 Extrait tiré du rapport du trésor public
sur la dette publique Ivoirienne, présenté par GUEYE (A.P),
Directeur de la Dette Publique, 15 février 2013, p.4.
122 De 1980 à 1990 : c'est le début de
l'accumulation des arriérés du service de la dette. Cette
situation est due à la chute des cours internationaux des produits
d'exportation de la Côte d'Ivoire avec pour conséquence une
réduction des ressources de l'Etat, à l'augmentation des taux
d'intérêt liée aux différents chocs
pétroliers et à la dévaluation du franc CFA en janvier
1994, entraînant presque un doublement du stock de la dette
extérieure. La dette extérieure passe de 1 369 milliards de FCFA
en 1981 à 6 264 milliards de FCFA au 31 décembre 2011, soit une
augmentation de 358%. Voir rapport du trésor public, GUEYE
(A.P), op cit. pp.15-16.
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dette bilatérale (exemple du contrat de
désendettement et de développement avec la France) et
multilatérale avec les initiatives PPTE et ADM auxquelles participent
activement les partenaires européens.
La maîtrise de la dette publique extérieure est
même devenue une préoccupation des autorités communautaires
ouest-africaines. Le Pacte de convergence, de stabilité,
de croissance et de solidarité123 (PCSCS),
ainsi que le Règlement n°09/2007/CM/UEMOA portant cadre de
référence de la politique d'endettement public et de gestion de
la dette publique dans l'espace l'UEMOA imposent aux États membres la
discipline budgétaire par la limitation du taux d'endettement.
L'observation de ces textes est périodiquement
rappelée aux États par les instances communautaires. Celles-ci
ont relevé dans le projet de rapport semestriel d'exécution de la
surveillance multilatérale de juin 2012 que depuis 2006, les
dépenses relatives au paiement des intérêts de la dette
publique tendaient à progresser. Ce qui risque d'engager les
États membres dans un processus de ré-endettement, et d'annihiler
la perspective favorable actuelle découlant des mécanismes
d'allègement et d'annulation de la dette extérieure suite aux
initiatives PPTE et IADM.124
L'endettement n'est cependant pas le seul écueil de
l'APD à l'efficacité de la gestion des finances publiques. En
effet le concept d'aide liée est souvent source d'inefficacité de
la dépense.
123 Voir Acte Additionnel N° 04/99 portant pacte de
convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité entre
les États Membres de l'Union économique et monétaire
ouest-africaine (UEMOA), adopté le 08 décembre 1999
124 Voir projet de rapport semestriel d'exécution de la
surveillance multilatérale, Commission de l'UEMOA, juin 2012, p. 100.
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