II. « La rencontre »79 naturelle de la
performance et du contrat
d'achat public
Plan. Le marché public est un contrat
formalisant une relation de collaboration avec un opérateur
économique ayant pour objet de répondre aux besoins de
l'Administration par l'achat de biens, de services ou de travaux. Dès
lors, tant la forme contractuelle (A), que la nature
économique de cette collaboration (B), doivent
permettre la prise en compte d'une exigence de performance par l'achat public,
même s'il s'inscrit dans le cadre d'une gestion publique.
A. Le contrat, un outil de performance publique
Le contrat, l'acte juridique à « la
mode »80, au même titre que la performance.
Le contrat a « une valeur symbolique
»81, puisqu'il représente l'outil juridique servant
une gouvernance consensuelle, à l'opposée de la gestion
autoritaire. Il faut noter une véritable « ascension »
du contrat comme mode d'action publique82, au dépend de
l'acte unilatéral, qui demeure malgré tout, en principe, le mode
d'action de l'Administration83. Le contexte politique et
économique a en effet poussé l'Etat à mettre de
côté le dirigisme centralisateur qui le caractérisait, au
profit de la négociation. De même, la décentralisation et
la pénétration du droit anglo-saxon au sein de notre
système juridique ont contribué également à faire
la part belle au contrat. Enfin la reconnaissance constitutionnelle de la
liberté contractuelle des personnes publiques84, a
achevé de rénover la place de l'outil contractuel. En revanche,
le recours au contrat pour subvenir aux besoins de l'administration est un
domaine d'intervention « classique » du contrat, qui prend
la forme d'un marché public dont la réglementation a
été saisie par le droit de l'Union Européenne.
Le contrat permet « d'inciter sans contraindre
». Cette façon « consensuelle et partenariale
d'administrer »85 donne lieu à une action publique
davantage horizontale, prenant à contre-pied la vision pyramidale
attachée classiquement au secteur publique. Or
79 Librement inspiré de : F. LINDITCH, «
Le contrat et la performance, une rencontre impossible ? », art.
préc.
80 J. MORAND-DEVILLER, Droit administratif,
coll. Cours, Montchrestien, 12e éd., 2011, p. 384.
81 Ibid.
82 Conseil d'Etat, Le contrat, mode d'action
publique et de production de normes, Rapport public, EDCE
n°59, La Doc. fr., 2008, p. 17.
83 Le caractère exécutoire des
décisions administratives demeure en effet « la règle
fondamentale du droit public » (CE, 2 juillet 1982, Huglo,
req. nos 25288 et 25323).
84 Cons. const., 30 nov. 2006, n° 2006-543 DC,
L. relative au secteur de l'énergie.
85 J. MORAND-DEVILLER, Droit administratif,
Op. cit., p. 384.
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c'est précisément ce mode bureaucratique qui
résiste au dogme de la performance et la fonction publique en est la
parfaite illustration. Ainsi le « mode contractuel »
devient-il à la « mode » et semble davantage
propice à être regardé par le prisme de la performance.
D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si dans une optique de performance la
nouvelle gestion des agents publics se tourne vers l'outil contractuel, comme
lorsqu'il s'est agit de valoriser économiquement des ressources
publiques telles que le domaine public ou privé.
Le contrat est l'instrument de l'efficacité.
Le succès du contrat témoigne donc de son
efficacité. Le contrat va de paire avec une « vision
stratégique ». C'est ce qui est exprimé en substance
par la Vice-Président du Conseil d'Etat, dans son
éditorial86 introduisant le rapport de 2008
précité. Pour lui, grâce au contrat, la puissance publique
exprime et hiérarchise ses besoins puis définis « les
moyens les plus appropriés pour y parvenir ». Cette nouvelle
stratégie doit permettre de répondre aux besoins du public avec
souplesse, efficacité et au meilleur coût. Autrement dit, le
contrat doit permettre la performance.
Partant, qu'une politique publique peut être
définie comme « un programme d'action propre à une ou
plusieurs autorités publiques ou gouvernementales.
»87, le contrat est au service de la réussite de
celles-ci88.
Mais surtout, la modernisation de l'Etat et de ses services
publics va souvent de paire avec l'utilisation du contrat89. Afin de
parvenir à une nouvelle gestion publique, une nouvelle façon de
mettre en oeuvre les politiques publiques est élaborée. Les
contrats de performance furent alors mis en place dans les années
9090. La forme contractuelle est donc
préconisée91 au côté de d'autres outils
pour rénover la gestion publique.
Le contrat, comme support de l'échange
marchand. C'est la fonction la plus ancienne de
l'Administration92. Encore aujourd'hui, les achats des personnes
publiques
86 J.-M. SAUVÉ, « Pour un
développement maîtrisé du contrat », Éditorial,
in Conseil d'Etat, Le contrat, mode d'action publique et de
production de normes, Rapport public, op. cit., p. 8.
87 J.-C. THOENIG, « L'analyse des politiques
publiques », in Traité de science politique, J. LECA et M.
GRAWITZ (dir.), PUF, 1985.
88 V. en ce sens : M. KARPENSCHIF, « Le
contrat au service des politiques publiques : Contrat public et Union
européenne », RFDA 2014, p. 418.
89 C. POLLITT, G. BOUCKAERT, Public Management
Reform. A comparative analysis, Oxford University Press, 2000.
90 Circ. 23 février 1989 relative au renouveau
du service public.
91 V. en ce sens : R. FAUROUX, B. SPITZ,
État d'urgence, réformer ou abdiquer : le choix
français, Robert Laffont, 2005.
92 Déc. 10 brumaire an IV
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régissent la vie quotidienne des administrations et
leur permettent de se donner les moyens de leur action. Or le contrat permet de
« mobiliser les savoir-faire et les financements qui font
défauts à la puissance publique »93. Aussi
il est évident que pour subvenir aux besoins de l'Administration, le
mode contractuel est aussi bien inévitable, qu'essentiel. Cette place
prépondérante fait des marchés publics, un enjeu majeur de
l'action publique.
L'efficacité de la contractualisation en vue
d'un achat. Malgré son utilité naturelle pour une
gestion performante de l'Administration, cet outil contractuel doit encore
être « maîtrisé »94, selon les
termes du Vice-Président du Conseil d'Etat. Ce dernier considère,
d'une part, que ce procédé doit être utilisé
à bon escient, par des agents publics sensibilisés à ce
mode d'action. D'autre part, il faut l'encadrer par des règles afin
qu'il soit conforme aux directives européennes. Or, si l'on se plie
à ces vérifications, il apparaît que le contrat
étant l'outil des échanges marchands, il est forcément
utilisé à bon escient lorsqu'il est destiné à
l'achat. De plus, la transposition récente des dernières
directives européennes a permis une incorporation des règles de
la commande publique européenne en droit français. Cependant, il
désormais indispensable de s'intéresser à l'utilisation
optimale du contrat par les agents publics.
Autrement dit, une fois que l'on sait que le mode consensuel
est le plus adapté à une action, il vient immédiatement la
seconde problématique à savoir comment contracter efficacement,
tant concernant la passation, la définition du contenu,
l'exécution ou le contentieux contractuel. Ainsi le contrat,
après avoir été l'outil d'accomplissement des politiques
publiques, devient lui-même l'objet d'une politique publique.
Les limites de l'utilisation du contrat suivent les
frontières de la performance publique. La liberté
contractuelle n'étant pas absolue, il existe des limites à cette
contractualisation. Les domaines dits « régaliens »
lui sont fermés, au même titre que la performance.
Concernant les limites du contrat, le juge constitutionnel a
posé une interdiction très nette de déléguer des
missions de souveraineté à des personnes
privées95, même s'il semble de plus en plus
conciliant96. Le Conseil d'Etat quant à lui ne parle pas de
mission de
93 Conseil d'Etat, Le contrat, mode d'action
publique et de production de normes, Rapport public, op. cit.
94 J.-M. SAUVÉ, art. préc.
95 Cons. Const., 26 juin 2003, n° 2003-473 DC, L.
habilitant le Gouvernement à simplifier le droit.
96 Cons. Const., 22 mars 2012, n° 2012-651 DC, L.
de programmation relative à l'exécution des peines.
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souveraineté mais nous dit qu'il est interdit aux
personnes publiques de contracter à propos de l'exercice du pouvoir de
décision unilatérale97. Enfin le contrat est interdit
en matière de police administrative. Ainsi, il est notamment interdit
d'exercer une mission de police au moyen du contrat98.
De la même façon, à propos cette fois-ci
de la performance, Gil Desmoulin considère très justement que
« la recherche de performance de certaines politiques publiques n'est
pas une fin en soi notamment parce que les missions régaliennes ont une
utilité qui va au-delà de l'utilité matérielle. En
raison de leur dimension politique ou stratégique, elles ne peuvent pas
être « sacrifiées » sur l'autel de la performance. En
conséquence, il est parfois indispensable d'accepter la non-performance
ou la contre-performance des politiques publiques. »99
L'utilisation du contrat et la mise en oeuvre d'une gestion
performante semblent donc avoir un périmètre d'action
équivalent. Pour l'un, comme pour l'autre, cette limitation commune
s'explique par leur nature. D'abord, comme la relation contractuelle
crée des droits pour chaque partie, il semble inenvisageable de passer
par le contrat pour une mission de police, puisque l'autorité de police
verrait alors nécessairement ses prérogatives limitée,
paralysant du même coup cette mission de service public100. Ce
même syllogisme peut être employé pour expliquer
l'indispensable acceptation de la non-performance quant à certains
services publics, puisque « le souci légitime d'efficience de
l'administration ne doit pas conduire à l'abandon ou à la
paralysie de l'action administrative. »101
Le contrat, comme la performance, sont ainsi deux notions,
l'une juridique et l'autre économique qui sont interconnectées.
Aussi contrat et performance peuvent à nouveau se rencontrer, cette fois
plus spécifiquement au sein de la fonction achat de
l'Administration. Cette collaboration entre personnes privées et
publiques correspond en effet à une des relations que peut entretenir
l'Administration avec le monde économique102
(B).
97 CE, 30 sept. 1983, Féd.
départementale des associations agrées de pêche du
Dépt. de l'Ain, nos 31875 et autres.
98 CE, 8 mars 1985, Association les amis de la Terre,
n° 24557.
99 G. DESMOULIN, « La recherche de la
performance des politiques publiques. De l'illusion à la raison ?
», AJDA 2013, p. 894.
100J. MOREAU « De l'interdiction faite
à l'autorité de police d'utiliser une technique d'ordre
contractuel. Contribution à l'étude des rapports entre police
administrative et contrat », AJDA 1965.
101 G. DESMOULIN, « La recherche de la performance des
politiques publiques. De l'illusion à la raison ? », art.
préc.
102 S. NICINSKI, Droit public des affaires, coll. Domat,
LGDJ, 4e éd., 2014, p. 507.
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