La performance de l'achat public( Télécharger le fichier original )par Jérémy FASS Université de Montpellier - Master 2 contrats publics et partenariats 2016 |
B. La modernisation de la gestion publiqueLe nécessaire renouvellement du droit applicable aux administrations. La performance, en tant que notion non plus économique mais juridique, ne pourra être théorisée qu'au sein du « droit commun »64, au sens d'un droit mixte, rassemblant l'ensemble des règles applicables aussi bien à l'Administration, qu'aux particuliers, renonçant ainsi à une 60 J. CAILLOSSE, « Le droit administratif contre la performance publique ? », art. préc. 61 J. CHEVALLIER, « Changement politique et droit administratif », art. préc. 62 F. LINDITCH, « Le contrat et la performance, une rencontre impossible ? », art. préc. 63 P. WEIL, D. POUYAUD, Le droit administratif, coll. Que sais-je, PUF, 24e éd., 2013. 64 C. EISENMAN, « Droit public, droit privé », in C. EISENMANN, Ecrits de théorie du droit, de droit constitutionnel et d'idée politique, Textes réunis par C. LEBEN, éd. Panthéon-Assas, 2002, p. 94 et s. 29 quelconque « autonomie » du droit administratif, qui ne serait qu'un « dogme faux »65 comme le remarquait le professeur Eisenmann. Le prérequis consistant à dire que l'Administration est soumise uniquement à « un corps de règles ayant son propre système de sources »66 ne serait donc plus retenu. Aussi en considérant le droit administratif comme n'étant pas autonome, la pénétration d'une exigence tenant davantage à la gestion privée ne serait alors plus qu'une question de volonté, puisque faire valoir une incohérence entre cette exigence et les fondements du droit administratif deviendrait inutile. Si cette question conceptuelle et très théorique, peut sembler superflue, elle est pourtant centrale au regard de l'inadéquation empirique des principes du droit administratif avec une vision performancielle de l'action administrative. Cette conception ne suivrait plus la dichotomie classique de notre ordre juridique. Au regard, de l'évolution de la gestion publique, une révolution est en marche puisque le renouveau de cette matière pousse progressivement le droit encadrant l'action publique, à la prise en compte d'exigences inspirées de la gestion privée. L'Etat et ses services publics se modernisent. Vers une réduction de la place de l'Etat: De 1945 à 1990. La modernisation de l'Administration est une préoccupation qui date du lendemain de la libération. Depuis 1945, les priorités pour l'Administration, dans le cadre de cette rénovation, ont évoluées et cette recherche d'efficience a varié dans son objet au rythme des évolutions du rôle de l'Etat tant socialement, qu'économiquement67. D'abord il s'est agit de reconstituer le lien social (IVe République), ensuite il a fallu garantir le dynamisme des activités économiques ayant « le caractère de service public national »68 (Début de la Ve République), puis ce fut au tour du lien entre usagers et services publics de faire l'objet d'un renforcement (Années 60), qui aboutit à la création des premières autorités administratives indépendantes, dans les années 70 (CNIL et CADA). A partir des années 80, et suites aux difficultés économiques qui ont suivies les deux chocs pétroliers des années 70, l'Etat a dû soutenir l'économie et accompagner socialement le chômage de masse, le plaçant dans une situation budgétaire et financière préoccupante. La réforme administrative va alors se muer en une véritable réforme de l'Etat. Elle a pour 65 C. EISENMAN, « Un dogme faux : l'autonomie du droit administratif », in Ecrits de droit administratif, Textes réunis par N. CHIFFLOT, Dalloz, 2013, p. 452. 66 Y. GAUDEMET, A. de LABAUDERE, Traité de droit administratif, T. 1, LGDJ 16e éd., 2001. 67 G. J. GUGLIELMI, G. KOUBI, Droit du service public, coll. Domat, Montchrestien, 3e éd., 2011, p. 78. 68 Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, al. 9. 30 objectif l'efficacité de l'Etat et des services publics, en réponse à la nécessité de réduire le déficit budgétaire, en limitant les dépenses de l'Etat, ou en tout cas, en les rationalisant. Progressivement « l'Etat régulateur » va s'imposer au dépend de « l'Etat providence », rejoignant ainsi une conception libérale du marché qui se développe à la même période en Europe. L'interventionnisme social et économique de l'Etat s'en trouve réduit, au profit de la régulation de secteurs économiques, autrefois directement géré par l'Etat. Il s'ouvre alors une période de privatisation d'un certains nombre d'activité et de services publics, entre 1986 et 1988, sous la houlette d'Edouard Balladur, ministre de l'économie du gouvernement de Jacques Chirac. Finalement, ces balbutiements autour des frontières de l'Etat, portent en eux une volonté de changement de gestion du service public. Une réflexion sur la qualité des services publics : des années 90 à nos jours. Ainsi, à partir des années 90 un discours sur les moyens d'aboutir à un « mieux de l'Etat » va prendre de l'ampleur, avec un objectif de « qualité », sous-jacent69. A la suite d'un rapport de mai 199470, une circulaire fut prise en 1995 par Alain Juppé alors Premier Ministre71. Elle avait pour objet de clarifier les missions de l'Etat, de déléguer des responsabilités, etc. Mais surtout, cette circulaire posait comme objectif : la rénovation de la gestion publique. Dès lors, c'est bien la recherche de performance des services publics qui est ici visée. Ce texte, concernait essentiellement la modernisation de la gestion des fonctions publiques, mais formalise une prise de conscience générale. Le paradigme change. Il ne s'agit plus de raisonner sur les défaillances du marché nécessitant un interventionnisme étatique, mais bien sur les défaillances de l'Etat lui-même qu'il faut résoudre72. La solution à ces défaillances consiste alors à importer dans le secteur public les méthodes de gestion du secteur privé, afin d'augmenter l'efficacité concernant les « processus de production »73 des services publics. Cette nouvelle forme de « privatisation » concernait la gestion publique des ressources humaines et tentait de résoudre la crise de délimitation entre les secteurs public et privé74. 69À l'image du Rapport de la Commission présidée par Y. CANNAC, La qualité des services publics, La Doc. fr., 2004. 70 M. PICQ, L'Etat en France : servir une nation ouverte sur le monde, Rapport au Premier ministre, La Doc. fr., 1994. 71 Circ., 26 juillet 1995 relative à la préparation et à la mise en oeuvre de la réforme de l'Etat et des services publics. 72 M. BACACHE-BEAUVALLET, Où va le management public ?, coll. Positions, Terra Nova, pp. 14-15. 73 Ibid., p. 10. 74 V. en ce sens : R. LAUFER et A. BURLAUD, «Management public«, gestion et légitimité, Dalloz, 1980. 31 Place au nouveau management de l'achat public. Ces réflexions tenant à la rénovation de la gestion publique se rejoignent au sein de la notion plus large de « new management public » qui se défini comme « l'ensemble des processus de finalisation, d'organisation, d'animation et de contrôle des organisations publiques visant à développer leurs performances générales et à piloter leur évolution dans le respect de leur vocation »75. Il s'agit de la gestion des agents publics (notion de mérite, l'individualisation des rémunérations, l'appréciation du personnel sur la base des entretiens annuels d'évaluation, etc.), de la gestion financière et comptable (analyses en termes de « coûts - performances » des activités). Il faut également ajouter la prise en compte du développement durable puisque l'objectif de performance s'est globalisé76. Ces trois sous-ensembles devant aller dans le sens d'une réduction des coûts77. Lorsque l'on met bout à bout les objectifs d'externalisation et d'efficience interne des services publics, il apparaît une nouvelle problématique : la performance des contrats de la commande publique. La question de l'efficacité d'une externalisation d'un service public, sous forme de délégation contractuelle, n'est pas ici questionnée et a déjà fait l'objet de réflexions quant aux garde-fous nécessaires à sa mise en place78. Pour autant, l'achat public doit lui-même faire l'objet d'une réflexion sur son efficacité, afin que la réforme de l'Etat puisse un jour aboutir. L'heure est donc au nouveau management de l'achat public. Ainsi après s'être concentré sur l'efficacité des services publics quant à leur « production », il est désormais temps de s'interroger sur l'efficacité de ces services publics quant à leur « consommation », prérequis nécessaire à toute « production ». Surtout que l'achat public semble pouvoir être le domaine où l'alliance entre performance et secteur public pourrait avoir lieu sur le terrain non plus gestionnaire, mais bien juridique (II). 75 A. BARTOLI, « Le management dans les organisations publiques », Dunod, coll. Management public, 2e éd., 2005, p. 98. 76 V. infra. 77 Y. PESQUEUX « Le "nouveau management public» (ou New Public Management) », 2006. En ligne : http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/51/08/78/PDF/Lenouveaumanagementpublic.pdf. 78 V. en ce sens : J.-P. COLSON, P. IDOUX, Droit public économique, coll. Manuel, LGDJ, 7e éd., 2014, pp. 269-272. 32 |
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