Partie 1: La nécessaire consécration d'une
identité
juridique pour la performance de l'achat public
Plan. Définir une politique d'achat
performante revient à fixer des objectifs pour l'acheteur. Certes
l'objectif principal pour ce dernier est d'être performant, mais comment
rendre cet objectif effectif ? Pour cela il faut avant tout qu'il se sente
obligé de l'être. L'émergence d'une obligation de
performance devient donc essentielle pour guider ensuite les acheteurs publics
dans l'élaboration de leur stratégie d'achat qui vise quant
à elle à permettre l'accomplissement de cet objectif de
performance de l'achat public.
La difficulté de la consécration juridique de la
performance réside dans le fait que la performance est d'une part un
concept économique, qui d'autre part s'inscrit à l'origine dans
le secteur privé. De plus, lorsqu'elle est inculquée à
l'achat public, celle-ci doit nécessairement s'entendre globalement. Il
demeure pourtant que le droit des achats publics évolue en prenant appui
sur une exigence fondamentale, qu'il reste à définir.
Il vient que l'incorporation de la performance au droit des
marchés publics, suppose au préalable de prendre conscience des
enjeux d'une telle définition. En premier lieu, du fait de sa nature
publique, l'obligation juridique de performance implique de dépasser
l'inadéquation fondamentale entre droit public et performance. En second
lieu, pour définir cette obligation de performance, il faudra être
attentif à ne pas laisser l'objectif de performance se globaliser
à l'excès, en encourageant un achat à la croisée
des intérêts de la société, de l'environnement et de
l'Administration. (Chapitre 1).
La performance économique trouve son origine dans la
modernisation de l'Etat qui a directement impacté la droit financier
public. De même, le principe de libre concurrence a progressivement
démontré qu'il ne servait pas uniquement l'objectif
d'achèvement du marché intérieur, mais bien une meilleure
utilisation des deniers publics, en garantissant l'efficacité de la
commande publique. Aussi avec de tels fondements, il est judicieux de
s'interroger sur les contours que pourrait adopter une obligation de
performance de l'achat public si elle devait un jour apparaître
explicitement dans le droit positif (Chapitre 2).
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Chapitre 1 : Les enjeux de la conceptualisation
juridique de la performance
Plan. Dans la perspective de définir
juridiquement la performance de l'achat public, il semble primordial de poser
un cadre à cette réflexion. D'abord, un achat public efficace et
efficient revient à imposer un objectif de performance à l'action
publique, ce qui implique une compatibilité entre le droit administratif
et cette exigence, au moins en ce qui concerne la fonction achat de
l'Administration (Section 1).
Mais ce n'est pas le seul enjeu auquel il faut faire face. La
performance de l'achat public s'entend globalement en raison du
développement durable que les personnes publiques doivent servir. Cela
suppose de parvenir à un achat équitable qui sera efficace tant
pour la société et l'environnement, que pour le pouvoir
adjudicateur (section 2).
Section 1. Une performance publique
Plan. Bien que la modernisation de l'Etat
soit en marche, la nature réfractaire à toute performance du
droit administratif demeure (I). La spécificité
des contrats publics d'achat permet cependant une rencontre de la performance
et du droit applicable à l'Administration (II)
I. L'idée contre-nature d'une gestion publique
performante
Plan. Le droit administratif semble
réfractaire à toute gestion publique performante
(A), pourtant une gestion publique performante va finir par
s'imposer (B).
A. Le droit administratif, un droit réfractaire
à l'idée de performance
La performance réduite au statut de
donnée scientifique. La gestion publique se définit
comme « l'ensemble de pratiques ou de connaissances théoriques
ou techniques relatives à la conduite des organisations
»44, qui sont en l'occurrence publiques. Il s'agit donc,
au premier abord, davantage de « science administrative »
que véritablement de « droit
44 P. BEZBAKH, S. GHERARDI, Dictionnaire de
l'économie, coll. À présent, Larousse, 2011, p.
358.
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administratif » 45. Les deux
matières sont initialement distinctes46. Pourtant, l'analyse
du droit administratif renferme nécessairement une réflexion
autour de l'Administration en tant qu'entité47, voire
même le supplante pour devenir véritablement le « droit
de l'action publique »48.
Il reste que les réflexions autour de la prise en
compte d'une exigence de performance dans le fonctionnement des administrations
restent néanmoins le plus souvent réservées à la
science administrative. L'évaluation des performances des politiques
publiques, telle que la performance de l'achat public, n'est pas
juridique49. Le droit administratif semble donc impropre à
accueillir de telles exigences. Dès lors, les réflexions autour
du rendement ou de l'efficacité de l'action administrative restent
résiduelles50.
Le constat : la performance, un objectif secondaire
pour le droit administratif. « Le droit administratif
français n'a jamais eu le rendement pour préoccupation centrale.
»51 Le meilleur exemple de cette opposition farouche est le droit de
la fonction publique. Il se pose en effet la question depuis plusieurs
années de l'instauration d'un « véritable management de
la fonction publique »52, mais celui-ci doit faire face
à plusieurs obstacles statutaires comme « la
sécurité de l'emploi (É), le régime disciplinaire
inadapté aux exigences d'une gestion dynamique des ressources humaines
ou le système de la notation indifférent à la
nécessaire rétribution des mérites (É), etc.
»53.
A côté de ces réflexions autour du
management de la fonction publique, d'autres difficultés juridiques ont
été rencontrées par les personnes publiques, notamment
pour valoriser leurs propriétés avec la règle de
l'inaliénabilité du domaine public, ou pour faire coïncider
le principe de libre concurrence européen avec la notion de puissance
publique. C'est ce qui a pu faire dire respectivement aux professeurs
Chevallier et Caillosse que le droit
45 J. CAILLOSSE, « Le droit administratif contre
la performance publique ? », AJDA 1999, p.195.
46 A.-F. VIVIEN, « Les études
administratives », 1845, in P. CHRETIEN, N. CHIFFLOT, M. TOURBE,
Droit administratif, coll. Université, Sirey, 14e
éd.,2014.
47 J. CAILLOSSE « Sous le droit administratif,
quelle(s) administrations(s) : réflexion sur l'enseignement actuel du
droit administratif », Mélanges Gustave Peiser, coll.
Droit public, P.U.G. Grenoble, 1995, p. 63.
48 P. CHRETIEN, N. CHIFFLOT, M. TOURBE, Droit
administratif, op. cit., p. 41.
49 J. Caillosse, « Le droit administratif contre
la performance publique ? », art. préc.
50 Ibid.
51 Ibid.
52 Ibid.
53 Ibid.
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administratif était un « îlot à
part dans la société »54 et un «
pôle de résistance »55 à toutes
avancées des préoccupations relatives à la performance.
Cette résistance devrait avoir pour conséquence
de garantir le règne de la bureaucratie, en tenant l'entreprise
privée à l'écart de la gestion de l'intérêt
général. Il peut ainsi être observé une distinction
stricte des principes de gestion privée et publique56, qui
illustre la difficile appréhension de la performance par le droit
administratif.
Les raisons de la difficile appréhension
juridique de la performance par le droit administratif. « Le
droit administratif tend ainsi à être perçu comme un
ensemble de règles rigides et obsolètes, bloquant l'indispensable
modernisation administrative et freinant le dynamisme économique et
social È57. A l'origine de cette difficile
appréhension on trouve nécessairement la définition du
droit administratif.
Ce droit peut se définir, au sens large, comme le droit
de l'Administration, comprenant l'ensemble des règles de droit relatives
à son activité58. En retenant une telle conception,
les principes de gestion publique pourraient alors s'inscrire dans le champ
d'application de ce droit qui devrait s'adapter aux exigences de gestion, telle
que la performance.
C'est cependant une conception bien plus restrictive qui
triomphe habituellement59. Dans un sens plus circonscrit, le droit
administratif se définit par défaut. Il correspond en effet
à l'ensemble des règles dérogatoires du droit
privé. La pénétration du droit administratif par des
exigences du secteur privé semble alors exclue par essence. Le droit
administratif est exorbitant et rien qu'exorbitant. Son autonomie suppose qu'il
se façonne lui-même. Ses sources juridiques lui sont propres.
Aussi les fondements existants, qui composent le socle de ce droit en
deviennent des obstacles obligés à toute nouvelle notion. Or la
performance est une notion qui est au départ économique, propre
à la gestion privée et au service du profit des entreprises.
Celle-ci ne semble pas armée, en théorie, pour intégrer le
corpus des règles administratives. C'est donc bien l'exorbitance du
droit public qui fait en théorie obstacle à une prise en compte
de la performance, puisque celui-ci se défini par opposition à
l'entreprise
54 J. CHEVALLIER, « Changement politique et
droit administratif », in Les usages sociaux du droit, PUF, 1989,
pp. 293-326.
55 J. CAILLOSSE, « Le droit administratif contre
la performance publique ? », Art. préc.
56 J. CHEVALLIER, « Changement politique et droit
administratif », Art. préc.
57 Ibid.
58 Ibid.
59 R. CHAPUS, Droit Administratif,
Montchrestien, coll. Domat, t. 1, 15e éd., 2001.
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et au marché. Il puise sa raison d'être au sein
de la distinction public-privé, alors qu'il ne devrait s'agir que
« d'un univers mental »60 , d'un dualisme
« superficiel » et non d'une dissociation pouvant se
vérifier matériellement.
La nécessité de dépasser la
distinction entre secteur privé et secteur public. Il faudrait
donc se contenter théoriquement d'une approche purement gestionnaire de
la performance publique sans cesse freinée par les résistances du
droit administratif, car comme le souligne Jacques Chevallier en parlant de
l'Administration « l'amélioration de ses performances et de ses
résultats (passe) par la mise en cause de ses privilèges et par
sa soumission au droit commun. »61 Ainsi cette nouvelle
démarche de performance revient certes à s'inspirer des
méthodes du secteur privé, mais implique également une
soumission à certaines règles de droit privé.
En dépit de ce que peut affirmer le professeur Linditch
qui soutient que « le droit peut toujours évoluer (É)
cette quête de la performance suppose surtout que soit diffusée
une nouvelle culture financière et budgétaire dans tous les
services, techniques, mais également juridiques
»62, c'est bien la conceptualisation juridique de la
notion de performance qui permettra une prise en compte, elle même
efficace, des exigences qu'elle suppose.
La première condition d'un tel changement est
l'évolution vers une autre conception du droit administratif, en
renouvelant ses fondements et derrière ceux-ci, la conception même
de l'Etat, puisque le droit administratif a ceci de « miraculeux
»63, qu'il est produit par l'Etat qui s'y soumet
lui-même ensuite (B).
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