B. L'achat public : un acte économique saisie
par l'exigence de performance
L'achat public, un acte économique régit
par le droit public de l'économie. L'économie recouvre
aussi bien les activités de production, de distribution, que de
consommation des richesses. L'achat public se rapportant au volet «
consommation » de l'économie, l'achat est un acte
économique. L'Administration intervient donc à ce titre sur le
marché. Les pouvoirs adjudicateurs vont donc être autant soumis
à la libre concurrence au même titre que n'importe quel autre
opérateur économique.
Cependant, le droit de l'Union Européenne a toujours
considéré que les acheteurs publics n'avaient pas un comportement
normal sur un marché, c'est à dire que dans certains cas ils
pouvaient être guidés par des choix non-économiques. La
crainte de l'Union Européenne est que les Etats membres favorisent leurs
entreprises nationales. C'est notamment pour cette raison que le droit
administratif français a été « saisi par
la
concurrence »103.
Paradoxalement, ces procédures de mise en concurrence
et de publicité signifient aussi que l'Etat « choisit de
réduire son altérité et de se penser dans les formes
communes de l'entreprise. »104 Le lien entre l'Etat et
l'économie s'en trouve restauré. A l'austérité
vis-à-vis du marché et de sa « logique dégradante
»105 va succéder une logique partenaire entre le
droit et l'économie, à tel point que l'Etat va se voir contraint
de se réaliser « lui aussi, sur le terrain de
l'économie. »106
La nature économique de l'achat suppose une
lecture performancielle des procédures qui s'y rattachent.
« Si les indicateurs financiers sont essentiels dans un cadre
privé, ce n'est pas le cas pour le secteur public. Sauf dans
l'hypothèse d'activités industrielles et commerciales
»107 Or les marchés publics sont
précisément le support d'une activité commerciale des
personnes publiques. Il apparaîtrait donc logique qu'en matière
d'achat, l'exorbitance laisse place à la performance.
Cette nouvelle conception juridique s'inscrit au sein du droit
public de l'économie qui correspond à « la partie du
droit public (qui régit l'action des personnes publiques), qui
103 J. CAILLOSSE, « Le droit administratif français
saisi par la concurrence ? », AJDA 2000, p.99.
104 Ibid.
105 Ibid.
106 Ibid.
107 G. DESMOULIN, « La recherche de la performance des
politiques publiques. De l'illusion à la raison ? », art.
préc.
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porte sur le domaine de l'économie
»108. Ce droit depuis 1945 s'est en effet structuré
autour de plusieurs thèmes, au nombre desquels on trouve
évidemment les contrats de la commande publique109. Or ce
droit économique, tout public soit-il, a ceci de précieux qu'il
emprunte aux différentes branches du droit. Cette approche globale du
droit public économique est revendiquée110, de telle
sorte que la distinction traditionnelle entre droit privé et droit
public ne fait alors plus sens. Il s'agit donc « du triomphe d'une
troisième voie »111 car ce droit doit par essence
régir les relations entre l'Administration et les opérateurs
économiques112.
Finalement c'est à ce droit public de l'économie
qu'il revient d'évoluer et de faciliter l'incorporation des
méthodes du secteur privé. La logique de performance devrait donc
pouvoir être prise en compte par le droit des marchés publics.
La prise en compte par le droit des marchés
publics d'une logique de performance. « La
rationalité managériale a pénétré dans
l'administration, non pas en marge ou à côté du droit, mais
en empruntant le canal juridique »113,
révolutionnant de facto « la constitution juridique de
l'Administration » 114 . Ainsi l'instrument ayant permis
l'avènement d'un service public performant a bien été le
droit.
Le droit administratif économique a donc bien sûr
était remanié pour prendre en compte cette nouvelle exigence.
Dans une optique d'optimisation des ressources utilisées par les
administrations afin d'accomplir un service public de qualité, des
réformes successives du Code des marchés publics ont permis
d'assouplir les règles de passation.
La compatibilité de l'achat public avec une vision
performante est désormais affirmée. De plus, la technique
d'incorporation de cette exigence économique de performance est à
présent connue : ce sera le droit public économique. Or
l'adéquation de ce droit avec l'exigence de performance semble bien
meilleure, puisque il s'agit d'un droit commun, qui n'est normalement en rien
exorbitant, comme on avait pu le dire pour le droit administratif.
L'exorbitance du droit de l'achat public, un nouveau
combat pour la notion de performance. Malgré le fait que les
marchés publics soient des contrats qui de par leur objet
108 P. DEVOLVE, Droit public de l'économie,
Dalloz, 1998, p.1.
109 S. BRACONNIER, Droit public de l'économie,
coll. Thémis Droit, PUF, 2015.
110 D. LINOTTE, R. ROMI, Droit public économique,
7e éd., LexisNexis, coll. Manuel, 2012, p. 11.
111 Ibid., p. 12.
112 S. NICINSKI, Droit public des affaires, op. cit., p.
9.
113 J. CHEVALLIER, « Le droit administratif vu de la science
administrative », AJDA 2013, p.401.
114 J. CAILLOSSE, La constitution imaginaire de
l'administration, coll. Les voies du droit, PUF, 2008.
sont des contrats administratifs identiques à ceux de
droit privé. Ceci a pu être affirmé avec beaucoup de force
par le passé115. Pourtant ce secteur est « un des
secteurs où la spécificité du droit public s'est
affirmé le plus clairement. » 116
L'achat public performant, en passant par le droit public
économique, évite ainsi l'exorbitance originelle et contre
performante du droit administratif. Cependant, il reste à accomplir une
difficile et paradoxale conciliation de l'efficacité de l'achat public,
avec les règles spécifiques applicables aux pouvoirs
adjudicateurs et fondées sur la libre concurrence. Il faut ainsi faire
face à une nouvelle forme d'exorbitance puisque seules les personnes
publiques se voient contraintes dans leur comportement pour parvenir à
une action en conformité avec une concurrence qui doit paradoxalement
être libre. Cette exorbitance est certes un obstacle moindre que celle du
droit administratif, puisque le droit public économique ne se
définit pas à travers elle, pour autant la constitution juridique
de l'achat public attend encore d'être révolutionnée et
c'est tout l'enjeu de cette étude que de donner les clés pour
parvenir à une pleine et entière correspondance entre l'exigence
de libre concurrence et celle de performance, lorsqu'elles sont toutes deux
appliquées aux personnes publiques.
Ce premier enjeu qu'il faut prendre en compte afin de
définir une obligation de performance n'est pas le seul. Il est
également indispensable de relever que la seconde difficulté pour
garantir une performance de l'achat public, est la globalisation à
laquelle obéit désormais cette dernière. Puisque loin
d'avoir pour unique objectif de permettre un achat public efficace, cette
performance se voit confier de multiples objets (section
2).
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115 F. LLORENS, Contrat d'entreprise et marché de
travaux publics, LGDJ, 1981.
116 L. RICHER, Droit des contrats administratifs,
Op. cit., p. 311.
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