B. Du juriste spécialisé en contrats
publics au manager de l'achat public
La professionnalisation de l'achat public.
Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat,
considère que « le développement des
procédés contractuels suppose un professionnalisme exemplaire de
l'administration. »638 La professionnalisation de l'achat
revient à rendre l'activité d'acheter suffisamment
professionnelle. Les acheteurs doivent être très
compétents. Les organes publics dévolus à l'achat doivent
donc nécessairement être tournés vers une
professionnalisation de l'achat, mais les acheteurs, eux aussi, doivent
être sensibilisés à l'exigence de performance. Une plus
grande efficacité de l'achat passe par une véritable
compétence des administrations lorsqu'elles achètent. De plus, il
est nécessaire que les acheteurs demeurent intègres afin de
choisir objectivement la meilleure offre. Enfin il est essentiel que les
acheteurs soient suffisamment informés. Ainsi la gouvernance de l'achat
public sera optimale.
Or pour être pleinement compétents, les acheteurs
doivent encore se familiariser avec une vision économique et
gestionnaire lorsqu'ils achètent. Planifier, budgéter,
répartir les risques ou choisir le bon contrat lors de la
procédure de passation, sont des problématiques loin d'être
juridiques. De même, lors de l'exécution du contrat, il faut
anticiper les difficultés, maintenir l'équilibre contractuel de
départ, réagir correctement aux manquements du titulaire, etc. Il
serait également bienvenu que les acheteurs se tiennent informés
des évolutions technologiques et de l'actualité
économique, ce qui n'est majoritairement pas le cas.
Une formation insuffisante. La formation des
acheteurs publics est presque exclusivement juridique, même si certains
diplômes tentent de mettre en oeuvre une vision d'achat et non plus
seulement de commande, comme le souligne Jean-Marc Peyrical639. La
formation des acheteurs publics est donc insuffisante640. Cette
affirmation tend néanmoins à
637 V. en ce sens : Sénat, « Mission commune
d'information sur la commande publique », Rapport d'information n°82,
M. BOURQUIN (dir.), 14 octobre 2015, pp. 110-117.
638 J.-M. SAUVÉ, Editorial du rapport public du Conseil
d'Etat pour l'année 2008, Le contrat, mode d'action publique et de
production de normes, op. cit., p. 9.
639 J.-M. PERYCAL, « Achats publics : le décryptage
du rapport sénatorial », Les échos, 2 déc. 2015.
640 Sénat, Mission commune d'information sur la
commande publique, op. cit., p. 105.
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se réduire, puisque l'UGAP considère que 63 %
des acheteurs publics n'ont pas de profils juridiques641.
La gouvernance des ressources humaines de l'achat
public est inadaptée. Comme le souligne Jean Tirole et
Stéphane Saussier les agents responsables de l'achat changent souvent de
poste, limitant du même coup leur apprentissage pratique et le suivi de
contrats qui s'étendent souvent sur plusieurs années. Il faudrait
au contraire les sécuriser dans leur poste et leur permettre de se
former en parallèle, à une nouvelle approche de la commande
publique. Ainsi, il faudrait pleinement reconnaître le métier
d'acheteur public et ne pas laisser des fonctionnaires ou des contractuels
vaguement formés à ces questions, occuper ces postes clés.
Ce retard est parfaitement exprimé par la mission sénatoriale de
2015 qui dénonce « qu'il n'existe ni de corps ni de cadre
d'emplois spécifiques à l'achat public. »
Entre le titulaire et l'acheteur public, comme entre
l'acheteur public et l'acheteur privé, il demeure un véritable
décalage, tant en termes de compétences, que d'informations. Or
cette « asymétrie » est souvent la cause de contrats
déséquilibrés, d'un mauvais choix ou de «
renégociations opportunistes », au bénéfice de
l'entreprise titulaire.
Responsabilité, compétence et
performance. Ce professionnalisme permet de pouvoir pleinement se
reposer sur les acheteurs publics et sur leur capacité à se
servir de l'achat comme d'un levier d'économies. Une approche davantage
portée sur l'analyse économique d'un marché ou sur
l'aspect financier de l'achat, ne doit pas pour autant faire passer au second
plan l'approche juridique l'achat. Le droit des marchés publics est un
outil qu'il faut pouvoir mettre au service de la performance, mais il est
nécessaire pour cela de le maîtriser.
641 Enquête réalisée par l'UGAP et le
magazine Décision Achats au cours du deuxième trimestre
2011, à laquelle 370 responsables d'achat ont répondu in
S. SAUSSIER, J. TIROLE, « Renforcer l'efficacité de la
commande publique », art. préc.
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