La performance de l'achat public( Télécharger le fichier original )par Jérémy FASS Université de Montpellier - Master 2 contrats publics et partenariats 2016 |
II. La professionnalisation des acheteurs publics, gage de performancePlan. Des nouvelles procédures et plus généralement un nouveau droit des marchés publics impliquent nécessairement une évolution des agents qui les mettent en oeuvre. C'est pourquoi un changement doit avoir lieu, tant institutionnellement avec le développement de la mutualisation de l'achat (A), que personnellement, avec une prise de conscience managériale des acheteurs publics (B). A. La professionnalisation institutionnelle ou les bienfaits économiques de la mutualisation de l'achat publicPrésentation. La mutualisation des achats par les collectivités publiques est une autre expression de la liberté contractuelle, et plus exactement de la liberté de choisir son mode d'organisation. Aussi les collectivités publiques peuvent faire le choix de définir leurs besoins à un autre niveau. Autrement dit, les différents pouvoirs adjudicateurs peuvent se regrouper lors de leurs achats, notamment de fournitures ou de services courants. Il existe deux techniques pour permettre un tel mécanisme de mutualisation : la centrale d'achat et le groupement de commande. Ces deux techniques ont en effet bénéficié depuis plusieurs années d'une forme « d'adoubement juridique ». Comme le souligne Philippe Terneyre619, la sécurisation juridique de ce type d'entreprises n'étant plus à faire, il est maintenant temps de veiller à leur favorisation et à leur amélioration en termes de performance. 619 P. TERNEYRE, « L'avenir de la coopération entre personnes publiques : un avenir réel mais limité », RFDA 2014, p.407. 157 La centrale d'achat620. Il s'agit d'une technique très utilisée dans le secteur privé. La grande distribution en fait usage, mais aussi les particuliers qui se regroupent grâce à des sites internet afin d'être plus efficaces lors de la négociation des prix pour l'achat d'équipement ou la réalisation de travaux. Deux rôles peuvent être assignés aux centrales d'achat. Elles permettent d'acheter des produits pour les revendre par la suite aux pouvoirs adjudicateurs, qui achètent donc sur catalogue. Les prix sont alors plus élevés, mais la simplicité de l'acte d'achat est indéniable, car il n'y a aucune contrainte de forme ou de temps lors de l'achat pour la collectivité. Il faut faire des estimations et les comparer pour savoir si le prix de la procédure reste inférieur à celui du catalogue ou non. C'est ainsi que l'organisme public pourra choisir de passer ou non par une centrale d'achat. Les marchés et accords-cadres vont donc non seulement permettre un achat simplifié mais aussi faire l'économie des procédures de passation. Les centrales d'achat sont aujourd'hui soumises à l'ordonnance du 23 juillet 2015. Dès lors, l'ensemble des développements précédents leurs sont applicables. Plus encore, ces entités se consacrent uniquement à l'achat et doivent de ce fait servir d'exemple en matière de performance. Elles sont créées par voie réglementaire ou par constitution d'une association loi 1901. Le meilleur exemple de centrale d'achat est sans aucun doute l'UGAP621, dont le poids des commandes se limite à 2 milliards d'euros622. Il passe des marchés ou accords-cadres de travaux, fournitures ou services destinés à tous les organismes soumis à l'ordonnance de 2015. De plus en plus d'EPCI et certains syndicats mixtes créés par ailleurs des « services unifiés ayant pour objet d'assurer en commun des services fonctionnels (É) concourant à l'exercice des compétences des collectivités intéressées sans être direct. »623 Il en est de même pour les sociétés d'économie mixte (SEM)624 qui peuvent agir en tant que centrale d'achats, dès lors que leurs statuts le prévoient. Le groupement de commande625. Il est également possible, toujours dans la même optique, que plusieurs pouvoirs adjudicateurs se regroupent entre eux pour passer un marché 620 O. n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, arts. 26 et 27. 621 D. n°85-801 du 30 juillet 1985 relatif au statut et au fonctionnement de l'Union des Groupements d'Achats Publics (UGAP). 622 www.ugap.fr. 623 CGCT, arts. L. 5111-1-1 et L. 5211-4-2. 624 V. en ce sens : J.-M. PEYRICAL et C. SABATTIER, « Une SEM peut-elle devenir une centrale d'achat ? » Contrats et marchés publics, n° 47, sept. 2005, p. 61. 625 O. n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, art. 28. 158 unique à destination de l'ensemble des membres du groupement. Ils concluent pour cela une convention constitutive dont le contenu est variable et qui permet de désigner un coordonnateur du groupement. Ce groupement ne se justifie que dans la mesure où chacune des entités composant le groupement a un intérêt certain, notamment en termes d'économie d'échelles, à mutualiser un besoin. Elle trouve son fondement dans « l'organisation, la structuration, la sécurisation des achats tout en réalisant des économies. »626 L'objectif de telles institutions est la performance. Ce n'est donc pas étonnant que ce type de mutualisation soit plébiscitée par les EPCI, qui pour 83% d'entre eux déclarent l'utiliser627. Les difficultés d'exécution du marché et la mutualisation des achats. En outre ce type de mutualisation permet de « déléguer » la gestion de l'exécution du marché à cette centrale. Cet avantage en apparence, peut aussi entraîner plusieurs difficultés. Les difficultés rencontrées lors de l'exécution devront se régler nécessairement par l'intermédiaire de la centrale. La communication du problème et la réponse à celui-ci ont tendance à retarder le traitement de ces difficultés d'exécution, à moins d'institutionnaliser et de prévoir contractuellement le règlement de ces difficultés. L'anticipation des difficultés d'exécution est donc nécessaire. Parfois, les pouvoirs adjudicateurs devraient aussi prévoir une intégration moindre, excluant l'exécution de la mutualisation, mais la flexibilité d'une centrale d'achat tel que l'UGAP n'est pas de ce point de vu aussi étendue que pour un groupement de commande par exemple. Il existe, en premier lieu une limite juridique lorsque l'exécution de contrats d'achat public est intégrée, puisque le coordonnateur ou la centrale n'est pas toujours autorisé à assurer l'exécution, notamment financière, des marchés et des accords-cadres. Par exemple, les membres d'une centrale ou d'un groupement peuvent être des personnes morales de droit privé ou de droit public, répondant à des règles de comptabilité ou à des règles budgétaires qui diffèrent fortement d'un membre à l'autre et qui ne sont pas toujours en adéquation avec les contrats passés par la centrale ou par le groupement.. En second lieu, d'un point de vue opérationnel cette fois, il est essentiel que le contrat prévoit précisément la procédure de constat de manquement des titulaires. Il doit en être de 626 Réponse du Ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire au sénateur B. PIRAS, JO Sénat, 25 janv. 2007, p. 188. 627 Sénat, « Mission commune d'information sur la commande publique », Rapport d'information n°82, M. BOURQUIN (dir.), 14 octobre 2015, p. 113. 159 même pour la procédure ou les contrôles, afin que les pénalités puissent être appliquées de manière cohérente et efficace. La mutualisation : un outil de performance contrasté. Jean-Marc Peyrical considère que la mutualisation est le « moteur de l'efficacité dans la commande publique. »628 Cette technique contribue en effet à améliorer la compétence des acheteurs et constitue du même coup « une voie d'avenir »629 selon Stéphane Saussier et Jean Tirole. Pour autant, certaines critiques visent la déresponsabilisation des acheteurs engendrée par une telle technique et qui, on le sait, nuit à un achat performant. Dès lors un compromis doit être trouvé pour une utilisation optimale de cet outil. Comme le souligne la Cour des comptes, il existe plusieurs avantages économiques à mutualiser ses besoins630. D'abord il sera possible d'obtenir des prix inférieurs grâce à des commandes en plus grandes quantités. L'importance de la commande peut contribuer également à responsabiliser le fournisseur quant à la qualité de son produit. En outre le coût de procédure est bien sûr globalement restreint, puisque il y en a moins à mettre en oeuvre et que la centrale ou le coordonnateur peut négocier plus efficacement avec les fournisseurs. Enfin lorsque des personnes privées font partie de groupements ou de centrales, celles-ci peuvent également utiliser des techniques souvent plus élaborées et en faire ainsi bénéficier les acheteurs publics631. De manière générale, la mutualisation permet donc un partage des bonnes pratiques d'achat632. Il existe également des atouts juridiques à la mise en oeuvre d'un achat mutualisé. A coup sûr, les procédures sont formalisées, en raison de l'importance des achats, c'est systématique. Cela permet, de fait, une plus grande sécurité juridique, qui on l'a vu, est également une condition sine qua none d'un achat performant. Enfin les intérêts des membres du groupement sont mieux garantis, puisqu'ils sont de la responsabilité à part entière d'un autre organisme qui est chargé d'effectuer le meilleur achat pour eux. Pour autant cette déresponsabilisation des acheteurs est par ailleurs problématique, puisqu'il en résulte « des prix plus élevés, une lenteur d'exécution ou une offre limitée et peu flexible face à des besoins 628 J.-M. PEYRICAL, « L'évolution du droit de la commande publique, quelques commentaires et réflexions », AJDA 2009, p. 965. 629 S. SAUSSIER, J. TIROLE, « Renforcer l'efficacité de la commande publique », art. préc. 630 V. en ce sens : Rapport demandé à la Cour par le Sénat au titre de l'art. 58-2 de la LOLF sur la mutualisation des moyens départementaux de la sécurité civile, sept. 2013, rendu public le 25 nov. 2013. 631 C. DELON DESMOULIN, « De la mutualisation des achats à la mutualisation des pratiques d'achat : quelles libertés pour les collectivités territoriales ? », AJ Collectivités Territoriales 2015, p. 260. 632 Ibid. 160 spécifiques. »633 Pour remédier à ces difficultés liées à la centralisation des achats, les professeurs Tirole et Saussier se font encore force de proposition et évoquent une clause d'« opt-out » afin d'obliger l'organe centralisant les achats à une certaine réactivité, mais cela en réduit du même coup l'efficacité. Ils évoquent également la possibilité de mettre en concurrence plusieurs centrales d'achat afin de faire baisser les prix et les forcer - elles aussi - à une gestion performante de leurs achats. Le risque du choix d'organe centralisant qui serait davantage politique qu'économique plane néanmoins au-dessus de cette idée. Il faudrait donc garantir l'indépendance de ces centrales ou de ces groupements et de leurs fournisseurs. Cette démarche est par ailleurs techniquement bienfaitrice puisque l'externalisation de l'achat à une centrale ou à un coordinateur au sein d'un groupement permet de déléguer l'achat, soulageant du même coup l'ensemble de l'organisation de la structure du pouvoir adjudicateur634. Cela profite plus particulièrement aux collectivités et aux établissements publics de petites tailles (communes, CCI, préfectures, etc.), en leur permettant de se professionnaliser grâce à cette mutualisation, ces petits organismes ne pouvant pas recruter d'acheteurs par manque de moyens635. De même la directive européenne de 2014 permet aux pouvoirs adjudicateurs de passer des contrats d'assistance à la passation de contrats d'achat, diversifiant l'activité des centrales d'achat en faisant d'elles de véritables « auxiliaires d'achat. »636 Pour une pleine efficacité technique de la mutualisation, une réflexion sur le niveau de centralisation s'impose. C'est-à-dire qu'il semble nécessaire de se demander si cette mutualisation doit se faire au niveau national, régional, intercommunal ou départemental. D'un autre côté, l'entreprise peut mieux s'organiser grâce à une standardisation des demandes. Du même coup, elle peut réduire ses coûts de fonctionnement et consacrer toute son attention sur la qualité des produits, grâce à une meilleure planification. Ainsi la concurrence est favorisée, compensant à coup sûr la diminution des références à disposition des organismes publics, qui est souvent critiquée. Finalement, il reste que la démarche de mutualisation doit être encouragée637. De plus, outre les économies d'échelle, il faut souligner que la mutualisation permet une plus grande 633 S. SAUSSIER, J. TIROLE, « Renforcer l'efficacité de la commande publique », art. préc. 634 C. DELON DESMOULIN, « De la mutualisation des achats à la mutualisation des pratiques d'achat : quelles libertés pour les collectivités territoriales ? », art. préc. 635 S. SAUSSIER, J. TIROLE, « Renforcer l'efficacité de la commande publique », art. préc. 636 Dir. 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics, Consid. 70 et art. 2 ; O. n° 2015899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, art. 26. 161 professionnalisation de la fonction achat, de la même manière que la création de services consacrés à l'achat au sein des administrations avait été salvatrice en son temps. La professionnalisation passe en premier lieu par la spécialisation des acheteurs (B). |
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