B. Les pistes pour la performance de l'exécution
contractuelle
La nécessaire prise de conscience de
l'importance de l'exécution contractuelle. L'exécution
contractuelle des marchés publics n'était pas la
préoccupation centrale des réformes qui ont eu lieu
dernièrement. Elle est très peu réglementée, alors
qu'elle pourrait être le lieu d'importantes
économies598. Le rapport pour le compte de la CCI qu'Alain
Buat a dirigé évalue à 2 milliards d'euros, les
économies envisageables. Mais au-delà de ces économies,
c'est véritablement un nouvel esprit avec la mise en place d'un
véritable management de l'achat public qui est en jeu. Deux personnes
morales très différentes doivent en effet se comprendre et faire
vivre au mieux le contrat qui les lie. Comme le dit Alain Buat dans son rapport
: « Les marchés publics devenant stratégiques, leur
exécution aurait besoin
597 V. Sénat, Mission commune d'information sur la
commande publique, op. cit., pp. 100-101.
598 A. BUAT, Pour un management performant des marchés
publics, op. cit.
152
d'un environnement juridique et politique plus propice
à la performance et, notamment, plus adaptable et davantage ouvert
à la concertation des cocontractants. »599
Le rééquilibrage de la relation
acheteur-fournisseur. Comme dans tous les contrats administratifs,
l'Administration dispose d'un certain nombre de pouvoirs exorbitants, dans le
silence des textes et malgré le fait que le contrat soit normalement
« la loi des parties ». Elle dispose en effet tout à
la fois d'un pouvoir de contrôle, de surveillance, de sanction et de
résiliation. La défiance qui naît de ce
déséquilibre entre elle et son cocontractant est
légitimée, dans une certaine mesure, pour la garantie du bon
fonctionnement du Service Public qu'elle permet. Concernant les marchés
publics, cette légitimation ne tient cependant plus, même si
l'exécution de ce contrat concerne directement l'utilisation qui est
faite des deniers publics. Un nouveau compromis s'impose, car il faut revenir
au mode contractuel, au consensualisme et donc à un certain
équilibre.
Le pouvoir de résiliation unilatéral pour motif
d'intérêt général600 semble dès
lors propice à certains aménagements, puisque cette
résiliation unilatérale peut donner lieu à aucunes
indemnités, si une clause d'exonération a été
préalablement ajoutée au contrat601. Comme le fait
justement remarquer Alain Bluat : « Si l'hypothèse d'une
résiliation dans l'intérêt général sans
indemnité peut paraître proportionnée à l'occasion
d'un marché à bons de commandes sans minimum, elle est au
contraire, dans les autres cas, très défavorable aux titulaires.
» Au delà de l'aspect global que doit recouvrir la performance
de l'achat public et qui suppose un minimum de bienveillance vis-à-vis
des partenaires de l'Administration, ce déséquilibre ne profite
pas à l'Administration et même détériore le lien
contractuel. Une défiance s'installe.
Dans la même veine, une réflexion plus
poussée sur les pénalités prévues au contrat par
l'Administration serait bienvenue. Les pouvoirs adjudicateurs se contentent
bien trop souvent de recopier des cahiers des charges absolument
inadaptés. Cela a pour conséquence de rendre ces
pénalités inapplicables. Parfois celles-ci sont même
tellement inadaptées et disproportionnées qu'elles amènent
le juge à les moduler602, cependant le juge intervient
seulement en cas de disproportion manifeste et c'est insuffisant.
Par ailleurs, il ne faut pas abuser de ce pouvoir de sanction.
Aussi est-il possible pour l'Administration d'y renoncer contractuellement ou
unilatéralement. Pourtant l'abandon de
599 Ibid, p. 8.
600 CE Ass., 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval,
rec. p. 246.
601 CE, 19 décembre 2012, Sté AB Trans, n
350341.
602 CE 29 déc. 2008, OPHLM de Puteaux, n
296930.
153
telles clauses est parfois vu comme un avantage
injustifié qui est octroyé au titulaire du contrat, et qui tombe
sous le coup du délit de favoritisme.
De même, la possibilité pour la personne publique
de soulever une exception d'inexécution603, tandis que cette
possibilité est par principe irrecevable pour l'opérateur
privé604, contribue également à rompre la
confiance nécessaire à une exécution performante. La
jurisprudence a néanmoins évolué de belle manière
en reconnaissant la possibilité pour l'opérateur de glisser une
clause permettant une exception d'inexécution. Cette possibilité
reste conditionnée, puisque l'objet du contrat incluant une telle clause
ne saurait être rattaché au service public et qu'un motif
d'intérêt général peut encore permettre à la
personne publique de maintenir le contrat et doit également
prévoir une telle clause605. Cette nouvelle capacité
pour l'opérateur est donc suffisamment réduite pour que les
intérêts de l'Administration soient préservés et
qu'une relation de confiance puisse naître.
Enfin il semble nécessaire pour la collectivité
publique d'avoir un interlocuteur désigné et stable, afin de
pouvoir facilement communiquer avec son opérateur. De cette
manière, le contrat se concrétise et un dialogue sain peut
s'installer. Pourtant Alain Buat estime que même si la désignation
d'un interlocuteur nommément désigné est prévue par
le CCAG-travaux de 2012 et au sein des guides de bonnes pratiques successifs,
il serait utile de l'imposer à tous les marchés publics.
Le suivi performanciel de l'exécution.
François Villette considère que « la mission de
l'acheteur s'arrête à la signature du contrat, alors que c'est
après la signature de celui-ci qu'elle devrait réellement
commencer. »606 De même cette phase
d'exécution devrait être plus anticipée lors de la
rédaction du marché, en fixant des objectifs de performance
à atteindre ou en prévoyant la mise en oeuvre
d'innovations607.
Un suivi « post-achat » doit être
imposé. Plutôt que de perdre du temps sur des procédures de
passation longues, il serait préférable de se concentrer sur
cette évaluation contractuelle. Ainsi la bonne exécution est
garantie et il est possible pour l'acheteur public de tirer des enseignements
de cette exécution pour ces futurs contrats. On parle de démarche
RECB (Remise en cause du besoin).
603 CE, 27 mars 1957, Carsalade, Rec. 216.
604 CE, 7 janv. 1976, Ville d'Amiens, n° 92888.
605 CE, 8 oct. 2014, Sté Grenke location, n°
370644.
606 F. VILLETTE, « Achats publics, arrêtons le
gâchis ! », La Gazette, 2015.
607 V. en ce sens : Le manuel Steppin, Le Moniteur TP, Cahier
détaché, 2009 in J.-M. PEYRICAL, «
L'évolution du droit de la commande publique, quelques commentaires et
réflexions », art. préc.
»608
154
Un outil a été développé par
François Villette à cette fin, au sein de la commune de
Saint-Ouen : la fiche qualimétrique. Cela consiste à
établir l'état précis de la qualité des prestations
réalisées à la fin de chaque marché :
«Respect du cahier des charges et des délais, fiabilité
et disponibilité de l'entreprise... tout est passé au crible !
L'agent évaluateur complète une fiche qualimétrique
dématérialisée comportant cinq niveaux de notation et un
code couleur simple, de vert (très satisfaisant) à rouge (pas du
tout satisfaisant).
Cet outil de management des achats et de bonne gestion
financière favorise la prévision et l'anticipation des besoins.
Il permet également de mettre en oeuvre le cas échéant les
mesures correctives adaptées. En outre, au sein de la
collectivité ou de la structure publique, mesurer la performance permet
de faire parvenir un bilan permanent à la direction
générale.
Par la suite ces informations sont partagées avec
d'autres collectivités et avec les entreprises par voie
dématérialisée afin que la collectivité ne soit pas
la seule à pouvoir tirer des conséquences de cette
évaluation. Ce partage suscite en effet des comparaisons qui permettent
aux collectivités d'optimiser leurs achats futurs.
La nécessaire réforme du contentieux de
l'exécution. Une augmentation du contentieux de
l'exécution est notable609. Le droit de ce contentieux doit
donc évoluer de deux manières.
D'abord, il doit être développé la
possibilité de régler les litiges à l'amiable. La
transaction610, la médiation par un tiers, les comités
consultatifs611, l'arbitrage612, etc. sont autant de
voies de droit qui mériteraient d'être plus utilisées, afin
d'éviter des contentieux souvent couteux et longs613.
Mais surtout, pour le bien du contrat et conformément
aux exigences de la vie des affaires, le contrat est souvent
renégocié par voie d'avenant. Sans s'intéresser ni
à la nécessité de faire évoluer un contrat qui
n'est plus à discuter, ni aux conséquences des nouveaux textes
608 Citation de F. Villette in S. DYCKMANS, «
Saint-Ouen évalue les fournisseurs avec une fiche qualimétrique
», achatpublic.info.
609 N. KHALID, « Marché public - Le contentieux de
l'exécution ne cesse de se développer », site internet du
Moniteur, Actualités, 4 décembre 2013.
610 Circ., 6 avril 2011, relative au développement du
recours à la transaction pour régler amiablement les conflits
611 D. n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux
marchés publics, art. 142 (concernant les médiateurs et les
comités).
612 V. not. en ce sens : P. TERNEYRE, C. VÉROT, «
Le projet de réforme de l'arbitrage des litiges intéressant les
personnes publiques est tout à fait viable », AJDA
2008.
613 V. en ce sens : M. THOREAU, Le règlement amiable
des litiges dans les contrats publics, thèse, Paris XI, 2007.
155
sur ces possibilités de modification614, il
faut ici insister sur les risques d'une telle renégociation et sur son
incidence sur la performance de l'achat public.
Il arrive parfois que ce ne soit pas l'entreprise ayant
présenté l'offre la mieux-disante qui obtienne le marché,
mais plutôt l'entreprise ayant le plus confiance dans sa capacité
à renégocier ultérieurement le contrat. Un premier contrat
est signé à des conditions désavantageuses pour le
titulaire mais défiant toute concurrence, tout en ne pouvant pas
qualifier son offre comme étant anormalement basse. Ensuite,
l'Administration se trouve contrainte de renégocier le contrat,
préférant un avenant à une nouvelle mise en concurrence.
Finalement ce contrat ne sera pas performant, la concurrence initiale ayant
été faussée.
La solution selon les économistes Stéphane
Saussier et Jean Tirole est de faire en sorte que les cocontractants se sentent
tenus par le contrat. Et c'est le principe de transparence qui vient à
l'appui de cette revendication615. Une modification substantielle du
contrat est théoriquement interdite, mais la coercition mise en place en
la matière semble bien trop faible. En rendant la renégociation
transparente, chacun des cocontractants seraient véritablement
responsabilisés et le contrat initial serait respectueux de la
concurrence, l'opérateur ne tablant pas sur une renégociation.
Certes une publicité des avenants est obligatoire mais pas en toutes
hypothèses616, le pouvoir adjudicateur est le seul juge de la
nécessité de publier. Cette transparence doit donc être
augmentée.
Il a également été proposé une
nouvelle procédure de « référé avenant
», afin que la vérification de la légalité de
l'avenant puisse se faire rapidement, de manière confidentielle et sans
nuire à l'exécution contractuelle617. Il serait
également possible de modifier le référé
contractuel actuel pour que des recours contre des avenants puissent se faire
par ce biais. De plus « les propositions d'avenants seraient
simultanément publiées et envoyées électroniquement
aux entreprises ayant candidaté, à une liste à
définir de tiers intéressés et plus
généralement à tout tiers qui en aura fait
préalablement la demande. Afin de rendre le recours effectif, la
publication devra préciser le montant initial du marché, le
montant de l'augmentation et l'objet de l'avenant. Toute personne qui en ferait
la demande pourrait obtenir communication de l'avenant et de ses actes
détachables. Le délai de recours d'un mois serait, comme en
matière de référé précontractuel, un
délai de standstill. »618
614 H. HOEPFFNER, « La modification des contrats »,
RFDA 2016, p. 280.
615 S. SAUSSIER, J. TIROLE, « Renforcer l'efficacité
de la commande publique », art. préc.
616 D. n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux
marchés publics, art. 140.
617 S. SAUSSIER, J. TIROLE, « Renforcer
l'efficacité de la commande publique », art. préc.
Le fonctionnement imaginé pour ce référé y est
très développé (p. 10).
618 Ibid.
156
D'aucuns estiment la charge de travail pour le juge
administratif déjà trop importante et voient d'un mauvais oeil la
création d'un nouveau recours. Pourtant cette évolution du
contentieux de la modification semble être la dernière
étape pour garantir un contentieux contractuel véritablement
efficace.
La simplification de la passation contractuelle et la
véritable prise en compte de l'importance de l'exécution
contractuelle ne peuvent suffire à faire des acheteurs publics de
véritables managers de l'achat public. Il reste à les
professionnaliser tant institutionnellement que personnellement
(II).
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