II. Le nécessaire contrôle de
l'efficacité de l'achat public
Comme le fait justement remarquer Jean-Philippe Dolor dans son
mémoire295, ce contrôle s'il comporte certaines
faiblesses (A), tend de plus en plus à se
développer afin de garantir une efficacité économique des
contrats d'achat public (B).
A. Un contrôle de l'efficacité encore
insuffisant
La faiblesse du contrôle organique interne.
Cette faiblesse est dénoncée par Jean-Philippe Dolor
dans son mémoire.
La commission consultative des marchés publics
(CCMP)296 qui a été supprimée en
2013297, était dépourvue de compétence de
contrôle. Au fur et à mesure des réformes, le pouvoir
réglementaire a en effet supprimé cette compétence alors
qu'à une époque, la commission spécialisée des
marchés (CSM)298 crée en 2001, avait une
véritable prérogative en la matière299.
Pourtant ce contrôle apparaissait utile, puisqu'elle pouvait alors
rejeter un marché inefficace et intimer au pouvoir adjudicateur de se
justifier pour pouvoir poursuivre dans cette voie. Il n'y a donc plus d'organe
indépendant destiné à ce contrôle de
l'efficacité.
294 Voir en ce sens : « Les clauses incitatives : un
outil au service de la performance des achats », interview de D. ADDA,
conseil en propriété intellectuelle au sein du Cabinet TPC,
locatis.info, 2015.
295 J.-P. DOLOR, Le contrôle de l'efficacité
économique des contrats publics, Mémoire de fin
d'étude dans le cadre du Master 2 Contrats publics et partenariats,
Université de Montpellier, 2012, p. 5.
296 D. n° 2009-1279 du 22 octobre 2009 relatif à la
commission consultative des marchés publics.
297 D. n° 2013-420 du 23 mai 2013 portant suppression de
commissions administratives à caractère consultatif.
298 D. n° 2001-739 du 23 août 2001 relatif aux
commissions spécialisées des marchés.
299 J.-P. DOLOR, Le contrôle de l'efficacité
économique des contrats publics, op. cit. pp. 7-8.
78
De plus un contrôle efficace suppose des moyens
financiers, humains et techniques, ce dont sont globalement dépourvus
l'Etat et les collectivités territoriales. Faute de ressources
financières, il raisonne en effet en terme de moyen, plutôt que de
se prêter à un véritable contrôle des
dépenses, au regard des objectifs préalablement
fixés300.
De même, tant qualitativement que quantitativement le
personnel chargé d'un tel contrôle est également
insuffisant, puisqu'il faut non seulement des juristes maîtrisant les
procédures d'achat mais il faut également qu'ils aient une bonne
connaissance économique. Aussi les acheteurs doivent être
parfaitement conscients des préoccupations des différents
services techniques. Ces derniers sont un rouage essentiel de
l'efficacité puisqu'ils doivent veiller à exprimer le plus
précisément et le plus justement possible leurs
besoins301.
Si les élus disposent d'un pouvoir de contrôle
global sur les affaires de la commune302, ils doivent aussi
être obligatoirement informés des contrats sur le point
d'être passé, préalablement à une assemblée
plénière303. De même la transparence
administrative, outre le fait qu'il s'agisse d'un principe fondamental, est
l'objet de la loi CADA de 1978. Aussi les conditions semblent remplies pour que
les élus puissent mettre en oeuvre ce contrôle. Cependant, le fait
majoritaire prive bien souvent les élus de ce contrôle. Qu'ils
appartiennent à la majorité ou à l'opposition, le plus
souvent ils n'osent pas ou ne parviennent pas à remettre en cause des
contrats qui se révèleront par la suite inefficace.
Les institutions chargées du contrôle
externe ne disposent pas de pouvoir de sanction suffisant. Pourtant au
même titre que l'absence de mise en concurrence et de publicité,
l'inefficacité devrait pouvoir être sanctionnée par des
organes dédiés à ces questions. Le respect du droit de la
mise en concurrence n'est pas suffisant pour que la commande publique soit
efficace.
Certes la Cour des comptes (CDC) et les Chambres
Régionales des Comptes (CRC) contrôlent indirectement
l'efficacité globale des marchés publics une fois
terminés304, puisqu'elles ont la compétence pour
examiner la gestion de l'Etat, des collectivités
300 J.-P. DOLOR, Le contrôle de l'efficacité
économique des contrats publics, op. cit., p. 13 ; R. GALLIGANI,
Le contrôle de l'efficacité économique des contrats
publics, op. cit., p. 23.
301 Idem.
302 CGCT, art. L. 2121-13.
303 CGCT, art. L. 2121-12 et CAA Douai, 11 mai 2000, Commune
Sangatte, n° 2000-134731.
304 J.-D. DREYFUS, les contrôles des
collectivités territoriales, Jurissclasseur, Contrats et
marchés publics n°5, 2007, étude 8.
79
territoriales, ainsi que de leurs établissements
publics respectifs305. Elles procèdent à la
vérification de la sincérité des comptes,
l'équilibre financier des opérations, ainsi qu'une comparaison
des moyens mis en oeuvre et des résultats obtenus. Dès lors les
politiques publiques, tel que l'achat public sont contrôlées du
point de vu de l'efficacité.
Toutefois, ce contrôle est trop peu contraignant,
puisque de simples lettres d'observation sont envoyées. Or ces lettres
n'ont qu'un rôle préventif. Elles ont pour objet d'alerter et
seulement d'alerter. Elles sont rendues publiques, font l'objet d'un
débat en assemblée délibérante et une
réponse de l'institution concernée est permise. Pourtant
« l'observateur (n'a) aucun moyen d'intervention directe pour corriger
les défauts, dysfonctionnements, voire irrégularités,
constatés. » Il s'agit en effet « de normes
techniques et non de normes juridiques, échappant par conséquent
au domaine du droit. »306 Cette vision est
cohérente avec les considérations du juge administratif qui
considère que le contrôle de gestion « ne présente
pas le caractère de décision faisant grief
»307. Il a d'ailleurs jugé la même chose,
plus spécifiquement, au sujet d'un avis rendu par des juridictions
financières concernant des contrats passés par des
collectivités308.
Ainsi il ne reste plus que la responsabilité politique
des institutions défaillantes, qu'il serait possible d'engager en cas
d'inefficacité contractuelle. Sauf qu'il ne s'agit pas d'un
contrôle juridictionnel, mais bien d'un hypothétique
contrôle démocratique permis par la transparence.
D'ailleurs il est possible d'expliquer cette réticence
à donner de véritables moyens d'agir aux juridictions
financières par la nécessité de protéger la
décision politique de tout contrôle
d'opportunité309. Il s'agit en effet d'un prérequis
nécessaire à la libre administration des collectivités
territoriales, qui est elle-même consacrée
constitutionnellement310.
Finalement l'imprécision des objectifs des politiques
publiques mis en place par les collectivités311, ainsi que le
fait pour les CRC de privilégier un contrôle des coûts et de
la régularité pour les marchés publics viennent renforcer
l'inefficacité du contrôle
305 Constitution du 4 octobre 1958, art. 47-2 ; Code des
juridictions financières pour les CRC, arts. 211-1 et 2118.
306 H.-M. CRUCIS, Droit des contrôles financiers des
collectivités territoriales, coll. AJDA, le Moniteur, p.413.
307 TA Marseille, 1er mars 1995,
Société Semica et commune de la Ciotat.
308 CE, 8 déc. 1995, Département de la
Réunion, n° 154042 et s.
309 Réaffirmé par L. n° 2001-1248 du 21
décembre 2001 relative aux chambres régionales des comptes et
à la Cour des comptes.
310 Constitution du 4 octobre 1958, art. 72.
311 J.-L. GOUSSEAU, « Les chambres régionales des
comptes et l'évaluation des politiques publiques locales », la
revue du Trésor, n°1, 2008, p. 21.
80
d'efficacité312. Tandis qu'en «
matière de marchés publics, il est attendu des pouvoirs
adjudicateurs, non seulement qu'ils en maîtrisent suffisamment la
technique pour mener leurs actions en conformité avec la
réglementation, mais encore que sur cette base, ils mettent à
profit toutes les marges de manoeuvre que le code leur laisse pour tendre vers
un achat efficient »313.
De la même façon, le juge administratif, en
l'état actuel des choses, ne saurait de lui-même sanctionner la
passation ou l'exécution d'un marché public au motif que le
coût pour le contribuable serait trop élevé ou que la
procédure utilisée ne serait pas adéquate pour obtenir le
meilleur contrat. L'opportunité ne doit pas en effet se confondre avec
la légalité. Le juge se limite donc à sanctionner l'erreur
manifeste d'appréciation concernant le choix des critères et leur
pondération314. Cette liberté accordée au
pouvoir adjudicateur n'est que la suite logique de la jurisprudence
européenne315. Mais surtout, cette liberté de choix
des critères par le pouvoir adjudicateur ne doit souffrir d'aucune
limite, car c'est ce qui permet de dire que la liberté contractuelle
existe belle et bien, malgré l'encadrement juridique du choix du
cocontractant316. Néanmoins, « cette position
pourrait se comprendre en considérant que dans la mesure où les
exigences en termes d'énonciation et d'exhaustivité des
critères ont été satisfaisantes, le juge n'a plus
qu'à craindre une sorte de dénaturation dans la comparaison des
offres. »317 Sauf que ce n'est pas le cas et qu'un
contrôle normal semblerait donc plus approprié. Pour autant, si
l'opportunité demeure à l'écart de tout contrôle, le
juge peut tout de même vérifier l'adéquation entre la
prestation demandée et les besoins de la collectivité. Il
s'adjoint ainsi à un contrôle de la proportionnalité du
besoin avec l'objet du contrat et son prix318, sanctionnant toute
disproportion319.
Cette impuissance des juridictions financières, comme
du juge administratif, vient directement du fait qu'aucune norme n'impose de
garantir une action contractuelle efficace afin de lier véritablement
les collectivités territoriales à cette
exigence320.
312 R. GALLIGANI, Le contrôle de l'efficacité
économique des contrats publics, op. cit., p. 23.
313 L. RENOUARD, « le contrôle des juridictions
financières », Actes du 15ème colloque de l'AFAC,
in Commande publique : les contentieux de la passation, comment les
gérer ?, Paris, 27 janvier 2011, p. 86.
314 CE, 1er avril 1998, Département de
Seine et Marne, n° 157602.
315 CJCE, 20 sept. 1988, aff. 31/87, Gebroeders Beentjes BV
contre État des Pays-Bas.
316 CE, 12 juin 1987, Cne de Cestas, n° 71507,
71961.
317 P.-M. CLOIX, « Contrôle juridictionnel et
critères de choix », ACCP, juin 2007, p. 58.
318 P. NDIAYE, « Du contrôle de l'efficacité
économique des contrats publics », in Mélanges en
l'honneur du professeur Michel Guibal, G. Clamour, M. Ubaud-Bergeron
(dir.), coll. Mélanges, Presses de la Faculté de Montpellier,
2006.
319 CE, 18 nov. 1998, Min. de l'intérieur c/ SARL
« Les voyages Brounais », n°76131.
320 Conc. C. CHANTEPY sous. CE, 8 déc. 1995,
Département de la Réunion, préc.
81
Le contrôle externe est matériellement
dépourvu. D'abord pour ce qui est l'inefficacité
matérielle, Alain Ménéménis, au moment de relever
les points forts du Code de 2006 mettait en exergue l'apport important de
l'article 1er, mais a rapidement exclu toute ambition plus large que
celle de garantir la libre concurrence : « On voit mal que puisse
être sanctionnée une illégalité tirée de ce
qu'aurait été méconnu l'objectif très
général d'efficacité de la commande publique et de bonne
utilisation des deniers publics. »321Autrement dit, cet
article permet de sanctionner l'acheteur qui aurait fait un choix autre
qu'économique, mais il n'a pas la prétention d'être un gage
de performance en tant que tel.
Tout au moins, l'efficacité devrait aussi guider le
législateur dans l'élaboration de la norme applicable aux
marchés publics. Cette exigence de performance si elle anime les
débats actuellement, ne saurait être néanmoins
utilisée pour sanctionner directement les normes qui produisent de
mauvais achats. Par exemple, il faudrait pouvoir sanctionner une
procédure de mise en concurrence certes légale mais bien trop
contraignante, ou le refus du législateur d'étendre les
possibilités de négocier pour l'acheteur public.
Le Conseil Constitutionnel ou le Conseil d'Etat pour
vérifier l'effectivité du principe d'efficacité de l'achat
public vont se restreindre à vérifier qu'une mise en concurrence
et une publicité suffisante seront mises en oeuvre. Pourtant, une
procédure de concurrence trop restrictive, un acheteur public s'en
remettant uniquement à un critère du prix, ou encore une mauvaise
définition des besoins, sont autant de comportements pouvant être
parfois préjudiciables pour l'efficacité de la commande publique,
tout en demeurant bel et bien légaux.
Le Tribunal Administratif de Lille a cependant
déjà pu considérer en 2011 que l'obligation de rejet des
offres anormalement basses reposait sur l'objectif d'efficacité de la
commande publique322. Le choix d'une telle offre pouvant
effectivement conduire à une mauvaise exécution et à des
pertes importantes pour le pouvoir adjudicateur. C'est une des rares fois que
l'efficacité a été entendue comme un principe autonome,
mais cela signifie également qu'il est possible de s'appuyer davantage
sur cette exigence d'efficacité afin de contrôler au mieux l'achat
public (B).
321 A. MENEMENIS, « Code des marchés publics 2006 :
quelques points forts », AJDA 2006, p.1754.
322 TA Lille, 25 janvier 2011, Société Nouvelle
SAEE, n° 0800408.
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