Section 2. La caractérisation d'une obligation
de performance appliquée à l'achat public
Plan. L'objectif de performance doit
être conceptualisé juridiquement afin que sa prise en compte soit
la plus efficace possible. Cette obligation n'existe pas pour l'instant, pour
autant elle apparaît dans le discours, dans les institutions, dans la
science administrative et même dans les textes normatifs. Dès lors
sa maîtrise devient une nécessité. Il faut donc s'attacher
à être prospectif.
« L'obligation » semble être le modèle
juridique qui est le plus à même d'accueillir, l'exigence de
performance globale car celle-ci permet une responsabilisation tant des
acheteurs publics que des opérateurs répondant à la
commande publique (I), cependant pour avoir de
véritables effets, cette obligation devrait être garantie par un
contrôle efficace (II).
I. L'obligation de performance ou la responsabilisation des
acheteurs publics
Après s'être intéressé à
catégoriser juridiquement une telle obligation de performance de l'achat
public (A), il sera possible de nous intéresser
à la problématique de la sanction d'une telle obligation
(B).
A. Typologie de l'obligation de performance
Une obligation de bien contracter semble
émerger. L'obligation de performance de l'achat public rejoint
en partie une obligation de bien contracter qui a récemment
émergée de la jurisprudence du Conseil d'Etat273.
Cependant, le juge administratif semble avoir exclu les marchés publics
de ce phénomène.
Le juge administratif qui avait à connaître un
contrat de partenariat devait vérifier que les conditions de
l'ordonnance de 2004274, à savoir, alternativement,
l'urgence, la complexité ou l'opportunité étaient
remplies. Aussi cette analyse in concreto pouvait parfois ressembler
à s'y méprendre à un véritable contrôle de
l'opportunité. Avec l'ordonnance du 23 juillet 2015
273 M. SENO, « Existe-t-il une obligation de bien
contracter dans les contrats publics ? », Gazette du Palais, 2010, n°
275, p. 14.
274 O. n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de
partenariat, art. 2.
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ce contrôle subjectif s'est accru puisque
désormais, pour passer un contrat de partenariat, l'acheteur doit
démontrer que « compte tenu des caractéristiques du
projet envisagé, des exigences de service public ou de la mission
d'intérêt général dont l'acheteur est chargé,
ou des insuffisances et difficultés observées dans la
réalisation de projets comparables, le recours à un tel contrat
présente un bilan plus favorable, notamment sur le plan financier, que
celui des autres modes de réalisation du projet.
»275 Un contrôle très précis du choix
d'un marché de partenariat devra donc être effectué. Cette
analyse du juge s'appuie plus précisément sur « les
aspects financiers, juridiques et administratifs, ainsi qu'en termes de
performance, de partage des risques et de délai, des options
étudiées »276.
Le juge en fit de même concernant les
délégations de services publics. Le juge a effectivement
décidé de contrôler la durée de ses contrats, dans
le silence des textes. La durée optimale est une condition essentielle
du « bon contrat ». Le juge par ce contrôle s'immisce
dans le contrat sur le fondement d'une obligation de bien contracter, qu'il a
créé de toutes pièces.277
Néanmoins, le juge semble avoir créé une
telle obligation en raison des nécessités de plusieurs
espèces, plus que dans un objectif global. Ce contrôle du bon
contrat est très réduit, en matière de marchés
publics. Le contrôle du bon contrat se limite en effet à
vérifier que la procédure de passation a été
respectée, puisque le juge des référés
précontractuels doit se contenter « de rechercher si
l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu
égard à leur portée et au stade de la procédure
auxquels ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou
risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en
avantageant une entreprise concurrente. »278 Même si
son contenu semble encore trop rétréci, la qualité du
contrat est bien sanctionnée et l'obligation de bien contracter existe
bel et bien279.
Il faut donc s'attacher à lui donner un contenu plus
large, en s'appuyant sur cette brèche ouverte par le Conseil d'Etat,
d'où l'utilité d'une obligation se rapportant
spécifiquement à l'achat public. Surtout que, comme l'a
déclaré le vice président du Conseil d'Etat Jean-Marc
Sauvé, « le juge administratif est chargé d'assurer
l'intégrité et
275 O. n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux
marchés publics, art. 75.
276 CE, 23 juillet 2010, SNSO, n° 326544.
277 CE, Ass., 8 avr. 2009, Cie générale des
eaux et commune d'Olivet, n° 271737 et 271782 ; confirmé par
CE, 11 aout 2009, Sté Maison Comba, n° 303517 ; conf. CE,
21 mai 2010, cne de Bordeaux, n° 334845.
278 CE, 3 oct. 2008, SMIRGEOMES, n° 305420.
279 J.-D. DREYFUS, « Pour un renouveau du
référé précontractuel », AJDA 2010,
p. 1553.
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l'efficacité »280 des contrats
publics, sans exception. Le « bon contrat » est une notion
trop subjective qui est incluse dans la notion plus large de performance. Il
peut être définie comme un contrat « clair, lisible et
équilibré »281.
Or de telles qualités semblent d'une part bien
insuffisantes pour constituer un achat performant, et d'autre part, on peut
douter que ces éléments soient toujours utilement
vérifiés par le juge, sans tomber dans un subjectivisme absolue
et dangereux pour la liberté contractuelle. De même afin
d'encadrer les pouvoirs du juge et préserver la liberté
contractuelle, ainsi que pour garantir une certaine prévisibilité
qui est essentielle aux relations d'affaire, il semble nécessaire de
préciser le contenu de l'obligation de performance.
Un devoir moral de performance. « La
cohésion d'un groupement repose sur une multitude d'obligations de
caractère juridique allant souvent de concert avec des pouvoirs ou des
autorités reconnus activement à d'autres personnes.
»282 La performance est avant tout une obligation morale,
qui s'est imposé à tous, au fur et à mesure que la logique
de marché progressée. Il faut en effet optimiser la rencontre de
l'offre et de la demande.
Le débiteur de ce devoir moral de performance en
l'espèce est la personne publique, mais le créancier de cette
obligation a une personnalité plus imprécise car multiple. La
personne publique est en effet redevable d'une obligation de performance de son
achat auprès de la société, puisqu'elle accomplit
effectivement des activités de services publics, en utilisant l'argent
du contribuable pour répondre à ses besoins qui sont
nécessairement liés auxdits services. Cependant comme
l'écrit François Terré à propos du devoir moral,
une telle notion d'obligation « ne saurait être entendue
efficacement de manière aussi diluée. »283 C'est
pourquoi il faut tenter de préciser cette obligation pour pouvoir en
faire une véritable obligation juridique qui se définit comme un
« un lien de droit, (É) entre deux personnes en vertu duquel
l'une d'elles, le créancier, peut exiger de l'autre, le débiteur,
une prestation ou une abstention. »284
280 J.-M. SAUVÉ, « Discours d'ouverture de la
4e édition des entretiens du Palais Royal : «Contrat de
partenariat, marché public, délégation de service
public... Que et comment choisir ?« », LPA, n° 170-171, n°
spécial, 2010, p. 3.
281 S. DUHR, op. cit., p. 22.
282 F. TERRE, Les obligations, Dalloz, coll.
Précis, 10e éd., 2009, p. 1.
283 Idem.
284 Idem.
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La nature de l'obligation. L'exigence de
performance pourrait théoriquement prendre la forme tant d'une
obligation de moyen que de résultat.
D'abord il pourrait s'agir d'une obligation de moyen. Le
débiteur devrait alors tout mettre en oeuvre pour que cette exigence de
performance soit prise en compte. Il doit être « prudent et
diligent » et « faire de son mieux ». L'obligation
de moyen semble plus adaptée qu'une obligation de résultat car il
n'est pas possible de déterminer de manière péremptoire ce
qu'est un résultat performant.
Il serait cependant tout à fait possible de fixer
préalablement un certain nombre de résultats à atteindre
au cours de l'exécution d'un contrat. On sanctionnerait alors la
nonperformance soit à raison du manque d'ambition des résultats
attendus, soit dans l'hypothèse où les objectifs fixés
préalablement n'auraient pas été atteints au cours de
l'exécution.
Il semble que l'obligation de performance de l'achat public
puisse se partager en deux types d'obligations.
Dans un premier temps, le législateur devrait
être soumis à une obligation type « obligation de moyen
». Il serait en effet bienvenu que ce dernier se sente davantage
concerné par un souci d'efficacité. Pour cela il devrait
être obligé d'élaborer des lois respectant un principe
fondamental de performance, mais cela implique nécessairement au
préalable une affirmation constitutionnelle et législative de
cette exigence de performance.
Dans un second temps, l'acheteur public devrait être
quant à lui soumis à une « obligation de résultat
», à condition que le contenu de cette dernière soit au
préalable précisément décrit par le
législateur et le gouvernement.
Il vient finalement que l'obligation de performance de l'achat
public doit par conséquent agir à tous les niveaux de la
hiérarchie des normes.
La source de l'obligation : la responsabilité.
Cette obligation de performance trouve sa source dans la
responsabilité puisqu'il s'agit « d'une obligation de
répondre d'un dommage devant la justice et d'en assumer les
conséquences envers la société. »285
La faute en question serait la contre-performance et le préjudice serait
une mauvaise utilisation des deniers publics ou une utilisation non-optimale de
ceux-ci. Pourtant habituellement lorsque l'on parle d'une réparation
à l'égard de la société, on se situe plus dans le
volet pénal, alors qu'en l'occurrence il s'agit seulement d'une
obligation administrative.
285 G. CORNU, Vocabulaire juridique, coll. Quadrige,
Puf, 2011, p. 908.
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Cette responsabilisation est essentielle. Les acheteurs
publics doivent se sentir concernés non seulement par la
régularité de leurs contrats d'achat, mais également par
l'efficacité de ceux-ci. Autrement dit, la dimension managériale
de la responsabilité publique doit se concilier avec la dimension
juridique de cette même responsabilité286. Cette
responsabilisation des gestionnaires publics sur leurs résultats est
née avec la LOLF, puisqu'alors « la dimension auparavant
implicite des référentiels de responsabilité rendant
complexe la mise en cause personnelle des gestionnaires, laisse place à
une dimension explicite par des référentiels et indicateurs
prévus au sein des programmes. »287 Le corollaire
de la performance de l'achat public est donc bien la responsabilité de
l'acheteur public.
Il reste que derrière cette notion de
responsabilité, apparaît immédiatement après la
problématique de la réparation (B).
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