B. La consécration du principe
d'efficacité de l'achat public
Les traits communs de la performance et de la
concurrence, une source d'inspiration. La trajectoire suivie par la
notion de concurrence est source d'inspiration pour notre recherche
d'identité juridique de la performance. La concurrence est en effet,
avant tout, une notion économique. On parle en sciences
économiques de « workable competition ». Cependant,
cette notion a été conceptualisée juridiquement
(« competition law ») et « le droit de la
concurrence constitue (aujourd'hui) le vecteur le plus dynamique de
pénétration
261 P. TERNEYRE, « L'influence du droit communautaire sur
le droit des contrats administratifs », AJDA 1996, p.84.
262 Dir. 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation
des marchés publics, Consid. 2.
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du Droit privé dans le champs de la commande
publique »263. Or on a déjà mis en avant le
fait que la performance de l'achat public, pour être effective, doit
être conceptualisée juridiquement, mais que cela nécessite
une approche moins dichotomique du droit.
Aussi, si l'on file la comparaison jusqu'au bout, on
s'aperçoit que la libre concurrence en tant qu'impératif
juridique, est parvenue à s'imposer aux marchés publics en
passant par le haut de la pyramide des normes, à savoir le droit
communautaire. Cependant, cette exigence n'était que peu effective au
départ puisqu'aucune coercition n'étant encore permise.
Actuellement la performance est face à une difficulté un peu
différente qui nuit comme pour le droit de la mise en concurrence
à son effectivité. Cette notion s'est en effet imposée par
le bas en terme de hiérarchie juridique, n'étant accueillie que
par la science administrative.
Néanmoins, sa proximité avec la nouvelle
philosophie financière qui est quant à elle consacrée par
une loi organique, ou son objet commun avec la libre concurrence, laisse penser
que pour s'imposer la performance doit nécessairement être
consacrée. La première étape vers la
systématisation de la notion de performance semble aujourd'hui
accomplie, mais la seconde partie fait encore et toujours défaut, la
faute à une notion bien trop large et insaisissable.
La performance est théoriquement
constitutionnellement garantie. Au regard de la décision du 26
juin 2003264, rendue par le Conseil Constitutionnel, il ressort que
ce dernier considère les principes de bonne utilisation des deniers
publics et d'efficacité de la commande publique comme étant des
« exigences à valeur constitutionnelle » puisqu'il a
jugé d'une part, que la loi qu'il avait à connaître
« serait susceptible de priver de garanties légales les
exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité
devant la commande publique, à la protection des
propriétés publiques et au bon usage des deniers publics
»265. D'autre part, et plus spécifiquement, les
sages rappellent que le gouvernement qui est habilité par cette loi
à simplifier le droit par voie d'ordonnance, devra « respecter
les règles et principes de valeur constitutionnelle » et que
doivent être inscrits au nombre de ces principes, ceux de la commande
publique266. Or au sein de l'article 1er du Code
l'efficacité de la commande publique est présente au même
titre que la protection des deniers publics.
Cependant, l'objectif d'efficacité semble plus
exactement procéder de l'impératif de
263 S. BRACONNIER, Précis du droit des marchés
publics, le moniteur, 2e éd., 2009, p. 31.
264 Cons. Const., 26 juin 2003, n 2003-473 DC,
Loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit.
265 Ibid. Consid. 18.
266 Ibid. Consid. 10.
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bonne utilisation des deniers publics et lui serait donc
inférieur.
Enfin, il apparaît que dans la formulation de l'article
1er, ces différents principes doivent certes guider
l'acheteur public lorsqu'il se situe en dessous des seuils de procédure
formalisée267, comme le prévoit désormais
l'article 42 de l'ordonnance268. Mais, ces principes fondamentaux
ont aussi vocation à s'appliquer à l'ensemble des marchés
passés par les acheteurs publics.
Les sages ont ainsi cherché à «
protéger les intérêts patrimoniaux des personnes publiques
et, plus encore, à éviter que l'intervention publique vienne
fausser la concurrence sur le marché » et « c'est
donc à l'aune de ces principes qu'il convient d'apprécier toute
règle ou toute solution régissant la commande publique »
269, car comme le soulignait le commissaire du gouvernement
Didier Casas « on doit (...) reconnaître à ces principes,
qui constituent ensemble le droit commun de la commande publique, une valeur
constitutionnelle. »270
Le Conseil Constitutionnel rattache ces exigences à
l'article 14 de la DDHC qui fonde davantage la transparence des dépenses
publiques, puisque celles-ci sont permises par l'argent du contribuable. Mais
surtout, ce principe d'efficacité a pu également par la suite
faire intervenir l'article 15 de cette même DDHC271. Or
derrière cet article qui donne le droit « à la
société de demander compte à tout Agent public de son
administration », c'est un « point de responsabilités
exercées sans responsabilité assumée », selon la
formule de Guy Carcassonne272. Il faut responsabiliser
l'Administration dans les dépenses qu'elle effectue. Aussi cet article
fonde l'intervention des juridictions financières, mais fonde surtout
l'exigence de « bonne administration ». La
responsabilité dont il est question est en réalité
démocratique. Toutefois, Carcassonne relève qu'un «
exercice plus méthodique et déterminé » de cette
responsabilité, sans tomber pour autant dans l'abus, permettrait de
résoudre le problème d'endettement chronique du pays.
La véritable assise du principe de performance de
l'achat public est donc trouvée, néanmoins cela ne suffit pas
à une reconnaissance dudit principe et à une efficace
répression de l'achat inefficace. Il apparaît donc comme
étant nécessaire de donner à cette notion
267 25 000 € aujourd'hui, depuis D. n° 2015-1163 du
17 septembre 2015 modifiant certains seuils relatifs aux marchés
publics.
268 O. n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux
marchés publics.
269 G. ECKERT, « Réflexions sur l'évolution du
droit des contrats publics », RFDA 2006, p.238.
270 Concl. D. CASAS sous l'arrêt CE, 23 févr.
2005, Association pour la transparence et la moralité des
marchés publics et autres, n° 264712, RFDA 2005, p.
483.
271 Cons. Const., 24 juillet 2008, n° 2008-567 DC, Loi
relative aux contrats de partenariat.
272 G. CARCASSONNE, La Constitution introduite et
commentée, Points, coll. Essai, 2e éd., 2011, pp.
420-421.
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d'efficacité de la commande publique un contenu plus
large, en théorisant une obligation de performance, ceci afin de
parvenir un jour peut-être à son autonomie (Section
2)
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