B. L'application de la logique de performance à
l'achat public
La performance de l'achat public : une
véritable politique publique. « Le droit des
marchés publics a eu pour ambition dès ses origines de constituer
un régime juridique devant assurer la conclusion du meilleur contrat. Il
s'agissait d'imposer à une administration prodigue des obligations
garantissant une utilisation parcimonieuse des deniers publics. »218
Les finances publiques sont donc en grande partie la première
légitimation d'un droit contractuel particulier appliqué à
l'achat.
De plus, la « culture de gestion » a fait
une entrée remarquée au sein de l'Administration, puisqu'elle
s'est heurtée à de nombreux obstacles. La logique «
coût-efficacité », importée du secteur
privé, était pour certains esprits corporatistes radicalement
incompatibles avec le service public. Néanmoins, la LOLF pleinement en
vigueur depuis 2006, puis la RGPP de 2007 et finalement la nouvelle MAP de 2013
ont tout de même aidé à inscrire cette nouvelle
méthode de gouvernance dans les esprits219.
Or au sein de ces différentes politiques de
modernisation, l'achat public s'est toujours trouvé en bonne place,
comme lorsque le Conseil de modernisation des politiques publiques a
fixé comme objectif en 2007 de réduire le coût des achats
de l'Etat220. La première finalité est le moindre
coût pour les finances publiques. Ainsi, comme on avait
déjà eu l'occasion de le relever brièvement, la
performance de l'achat public devient elle même une politique publique
dont l'efficacité doit être recherchée.
Il faut donc s'intéresser à « la
performance de la performance » en matière d'achat public. Le
droit de l'achat public doit donc être revu à l'aune de cet
objectif, car c'est ainsi que cette fonction abandonnera une culture purement
administrative, pour s'adapter à la
217 R. GALLIGANI, Le contrôle de l'efficacité
économique des contrats publics, Mémoire de fin
d'étude dans le cadre du Master 2 Contrats publics et partenariats,
Université de Montpellier, 2009, p. 45.
218 F. ALLAIRE, « Dépasser le droit des
marchés publics », AJDA, 2009, p.1696.
219 M. BOUVIER, M.-C. ESCLASSAN, J.-P. LASSALE, Finances
Publiques, Op. cit., p. 123.
220 Conseil de la modernisation des politiques publiques, 12
décembre 2007.
60
« culture de marché » dont parle
Stéphane Braconnier dans son manuel de droit public de
l'économie. Cette nouvelle logique anime désormais, qu'on le
veuille ou non de plus en plus l'action publique221, et ce d'autant
plus depuis les crises financières et bancaires de 2008 et 2010 qui ont
fait apparaître la vulnérabilité des « dettes
souveraines »222.
Une situation financière préoccupante au
service d'une rénovation de l'achat public. Comme
l'écrivait Gaston Jèze, « la plupart des grandes
réformes politiques ou sociales ont eu des causes financières
»223. De même, Léon Duguit rendait lui aussi
plus précisément l'économie responsable des
évolutions juridiques puisqu'il considérait que « le
droit évolue avant tout sous l'action des besoins économiques
(É) l'objet même des obligations de l'Etat et le sens de son
action se trouvent déterminés par la situation économique
du pays et les besoins de ses habitants »224. Ainsi tant
politiquement que juridiquement, la situation financière a poussé
au changement. Les contrats vont être les premiers impactés, avec
notamment des montages au service du financement privé
d'équipement et d'infrastructures, tels que les contrats de
partenariats225.
Il devient essentiel de mesurer l'efficacité de l'achat
public afin d'en tirer toutes les conséquences pour le fonctionnement
des administrations et les règles de l'achat public. De
nécessaires économies pourraient en effet être faites,
comme le signale fort justement Jean-Arthur Pinçon, dans son livre
« Le gâchis »226, qui dénonce une
politique des achats publics qui coûterait 30 milliards d'euros par an
aux contribuables : « On peut estimer que sur ces 300 milliards (somme
consacrée aux achats publics consacrés à l'acquisition de
biens et de services), 10 %, au minimum, sont gaspillés. 30 milliards
partent donc en fumée chaque année (É), c'est tout
simplement l'équivalent de la recette liée à l'impôt
sur le revenu. »227
Maintenant que politiquement cette volonté est belle et
bien affirmée à travers le SAE et désormais le
DAE228, au sein du ministère de l'économie et des
finances, l'importance des sommes en jeu laisse ainsi présager des
changements juridiques.
221 M. BOUVIER, Les finances locales, LGDJ, coll.
Systèmes, 11e éd. 2006, p.15.
222 S. BRACONNIER, Droit public de l'économie,
Op. cit., p. 48.
223 G. JÈZE, Cours de finances publiques, Giard,
1925-1931.
224 L. DUGUIT, « Les transformations du droit public »,
La mémoire du droit, 1999, p. 50 et 51
225 Ordonnance n°2004-559 du 17 juin 2004 relative aux
contrats de partenariats.
226 V. J.-A. PINÇON, Le gâchis. 30 milliards
d'euros perdus par an dans les Achats Publics, l'Harmattan, 2015.
227 JDE Edition Loire-Atlantique, 4 septembre 2015.
228 D. n° 2016-247 du 3 mars 2016 créant la
direction des achats de l'Etat et relatif à la gouvernance des achats de
l'Etat
61
L'évolution du droit des finances publiques
à l'appui du plaidoyer pour l'évolution du droit des
marchés publics. Les principes directeurs qui ont régis
la réforme du système financier sont similaires à ceux qui
doivent aujourd'hui mener l'évolution de ce qu'on pourrait appeler le
« système acheteur ». Comme il était admis que
« l'essence des finances (était) l'ordre
»229, « les responsables de la passation des
marchés ont tendance à se focaliser sur le respect de la
règle, parfois aux dépens de la rationalité
économique »230. Comme ce fut autrefois le cas pour
le droit public financier, le droit de la commande publique se trouve
confronté à « l'urgence de modifier les dispositifs
existants en vue de mieux les adapter »231.
Cependant, l'expérience des évolutions
juridiques qui ont concerné les finances publiques doit également
nous guider dans la théorisation des réformes futures qui sont
aujourd'hui nécessaires pour le droit de l'achat public. Dès
lors, si le droit doit être réadapté et prendre en compte
des impératifs de gestion, il ne faut pas que le corpus juridique
applicable aux acheteurs soit remis en cause par une conception gestionnaire.
« L'absence de prise en compte », par la «
conception juridique », de la « conception gestionnaire
» du contrôle des deniers publics était la cause en
finances publiques d'un grave manque de pertinence232. Cette
ignorance mutuelle de la gestion et du droit est d'ailleurs
dénoncée par le professeur Linditch au sujet du droit des
marchés publics, puisqu'il considère que si la notion de
performance « occupe aujourd'hui une place prépondérante
elle le doit davantage aux praticiens, au management de la commande publique
qu'au droit lui-même. »233.
Il vient que concernant l'achat public, il faut parvenir,
comme pour les finances publiques à « concilier la recherche de
l'efficacité de gestion et celle du respect de règles juridiques
»234. La correspondance de cette recommandation
financière avec celle qui fut faite par Laurent Richer est troublante.
Ce dernier considère en effet la contrainte réglementaire comme
l'éternel adversaire du « meilleur achat public
»235. De même Florian Linditch admet que «
le droit de la commande publique produit de la non performance
»236. C'était également le cas du «
droit public financier qui, il est vrai, a souvent pu être ressenti comme
un frein à la dynamique gestionnaire, notamment en raison des
contrôles de régularité qu'il
229 L. SAY, Nouveau Dictionnaire d'économie
politique, BNF Gallica, 1894.
230 L. RICHER, Droit des contrats administratifs,
Op. Cit., p. 329.
231 M. BOUVIER, M.-C. ESCLASSAN, J.-P. LASSALE, Finances
Publiques, Op. cit., p. 27.
232 Ibid., p. 30
233 F. LINDITCH, « Le contrat et la performance, une
rencontre impossible ? », art. préc.
234 M. BOUVIER, M.-C. ESCLASSAN, J.-P. LASSALE, Finances
Publiques, Op. cit., p. 30.
235 L. RICHER, Droit des contrats administratifs,
Op. Cit., p. 329.
236 F. LINDITCH, « Le contrat et la performance, une
rencontre impossible ? », art. préc.
impose ; d'où l'image passéiste voir
archaïque qui lui a été volontiers accolée, à
l'inverse de la logique de la gestion privée, ressentie comme une voie
innovante, celle de la modernité »237. La LOLF a
dans ce contexte a été salvatrice, en donnant au nouvel
engouement pour la logique de performance, un cadre juridique adapté.
Ce nouveau droit financier qui a donné une assise
à la nouvelle gestion publique a donc dû se transformer, mais au
même titre que le droit des marchés publics, c'est bien au sein de
la « nébuleuse du droit économique et des nouvelles
régulations que ce droit prend maintenant place
»238. Droit et finance, au même titre que les
services publics sont donc devenus « des objets fondamentalement
économique »239. Aussi le droit des marchés
publics doit il devenir économiquement compatible à travers la
prise en compte d'une obligation de performance, qui suppose de profondes
modifications.
Finalement, il semble essentiel pour l'achat public de se
doter d'une « Constitution de l'achat public »,
c'est-à-dire d'un cadre juridique susceptible non seulement de prendre
en compte mais aussi parfois de permettre les évolutions de l'achat
voulues par la pratique. Or ce cadre doit nécessairement être
intégré au corpus juridique existant. C'est ainsi que les
principes fondamentaux traduisent la nouvelle vision économique qu'il
faut avoir de la commande publique (II).
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237 M. BOUVIER, M.-C. ESCLASSAN, J.-P. LASSALE, Finances
Publiques, Op. cit., p. 36.
238 Ibid.
239 S. BRACONNIER, Droit public de l'économie,
Op. cit., p. 48.
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