Chapitre 2 : La recherche d'une obligation de
performance de l'achat public
Plan. L'obligation de performance n'est pas
explicitement présente en droit positif. Cependant, de nombreux
éléments juridiques semblent implicitement faire état
d'une telle exigence de performance (Section 1). Pour
qu'une telle obligation puisse un jour exister, il faut dès maintenant
en définir ces contours et s'interroger sur son bien-fondé, son
utilité et ses inconvénients (Section
2).
Section 1. Les fondements juridiques utiles à
l'émergence d'une obligation de performance
Plan. Si l'évolution des finances
publiques vers une logique de performance semble être le fondement
principal à cette nouvelle exigence pour les marchés publics
(I). Cette dernière peut et doit désormais
prendre appui sur la législation spécifique aux marchés
publics, guidée par la garantie de libre concurrence
(II).
I. L'origine financière de l'exigence de performance
au service de sa
reconnaissance juridique
Plan. La LOLF marque un changement de
paradigme dans la gestion publique. Aussi la mise en place progressive d'une
logique de performance par une loi organique peut être vu comme la
première traduction juridique de la notion de performance qui est avant
tout économique et managériale (A). La commande
publique va être profondément marquée par ce changement de
vision (B).
A. La LOLF ou l'apparition d'une logique juridique de
performance
L'impérative rationalisation des
dépenses publiques. A partir de la première guerre
mondiale, l'Etat va changer radicalement de rôle et devenir de plus en
plus interventionniste. On parlera d'Etat providence. Il est alors amené
à intervenir de plus en plus car les progrès techniques appellent
une correction d'un certain nombre d'inégalités. L'Etat se fait
d'abord le
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bienfaiteur de l'éducation en devenant le principal
éducateur, puis il fait sien le domaine social. L'Etat va peu à
peu intervenir dans tous les domaines de l'économie. Enfin la
dépense publique qui est utilisée pour l'ensemble de ces
interventions ne peut jamais véritablement baisser, puisque le
progrès économique est conditionné par elle selon la
« loi Wagner », théorisée dès le
19ème siècle206. L'accroissement de la
dépense publique est donc avéré et est quasi-continu
depuis la Première Guerre Mondiale.
Il intervient de manière tant structurelle que
conjoncturelle, si bien que l'Etat agit également pour corriger les
crises économiques. Les crises pétrolières de 1973 et 1979
ont obligé l'Etat à intervenir massivement dans l'économie
afin de soutenir l'emploi et d'indemniser le chômage. La croissance
économique ralentie et avec elle les recettes fiscales sensées
financer la dette publique, qui finit donc par fortement augmenter, au
même titre que les taux d'intérêt de celle-ci. Les
néo-libéraux tel que Thatcher et Reagan ont ensuite imposé
de baisser les impôts et la dépense publique pour sortir de la
crise et combattre des déficits publics récurrents. Cette
méthode vient mettre un terme aux politiques dites keynésiennes
qui sont de moins en moins efficaces.
Parallèlement à cette situation
financière et budgétaire tendue ont assiste à une
augmentation des attentes des administrés vis-à-vis de l'Etat et
des services publics. De même l'avènement de l'Union
économique et monétaire a contraint les Etats membres à
réduire leurs déficits et à rationaliser l'utilisation des
deniers publics207. Finalement, c'est donc bien la gestion des
services publics qui est mise en cause. Un certain nombre d'outil vont
progressivement apparaître toujours dans le but de rationaliser la
dépense publique au niveau national. Le premier de ces outils sera la
loi organique relative aux lois de finances (LOLF) en 2001208.
La perception de l'économie dans les finances publiques
ayant évoluée, les lois de finances ne peuvent déterminer
à elles seules un équilibre économique globale. Au
contraire, elles doivent en tenir compte. C'est un changement important et
maintenant quand on lit l'article 1er de la LOLF on peut voir que
« les lois de finances tiennent compte d'un équilibre
économique définit ».
206 A. WAGNER, Les fondements de l'économie
politique, coll. Science Social, Hachette Livre BNF, 1904
207 R. (CE) n° 1466/97 du Conseil du 7 juillet 1997
relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires
ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques
économiques ; R. (CE) n° 1467/97 du Conseil du 7 juillet 1997
visant à accélérer et à clarifier la mise en oeuvre
de la procédure concernant les déficits excessifs.
208 L. organique, n° 2001-692 du 1er août 2001,
relative aux lois de finances.
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La logique de performance. Cette nouvelle
constitution budgétaire, véritable « miracle politique
»209 a instauré une nouvelle logique, celle de la
performance. Le but recherché est d'obliger ainsi l'administration
à se demander si l'argent dépensé l'a été
utilement. Auparavant les lois de finances étaient votées sous
l'empire d'une ordonnance de 1959210. Or celle-ci est en partie
responsable de la situation de surendettement actuelle. Aucune
évaluation des dépenses, ni justifications n'était
exigée, puisque 95% du budget (les services votés) était
automatiquement revoté pour l'année suivante, sans
véritable discussion, remise en cause ou critiques.
La démarche de performance va changer radicalement
cette façon de faire puisque désormais une justification des
dépenses est imposée. Les crédits donnés aux
administrations sont accompagnés d'indicateurs de performance. La
logique de moyen consistait en effet à ne s'intéresser qu'au
montant des crédits alloués, alors que la logique de
résultat est inspirée de l'entreprise privée et prend en
considération les objectifs à atteindre. Avec la logique de
résultat, si l'objectif n'est pas atteint cela signifie que la politique
mise en place est mauvaise, que le financement est mauvais, etc. Il faut
raisonner en terme de politique publique et non de ministère, ce qui
entraîne d'ailleurs une rénovation de la forme du budget, puisque
les autorisations budgétaires sont désormais accolées
à une politique publique et ne sont donc plus strictement
réparties de façon organique, selon les
ministères211.
L'efficacité de la dépense devient donc centrale
et cette préoccupation possède un fondement juridique.
L'efficacité de la gestion a fait l'objet d'une mise en forme juridique,
remettant en cause le système financier originel qui semblait pourtant
très bien établi. L'ensemble des administrations ont dû
alors adopter de nouvelles méthodes de gestion pour permettre à
cette « culture de la performance »212 de
s'imposer. Plus précisément, les gestionnaires des
administrations ont dû s'atteler à mettre au point une
stratégie budgétaire. Ce changement est laborieux, mais la
modernisation était pourtant indispensable, à tous les niveaux et
dans toutes les fonctions de l'Etat, à commencer par sa fonction
achat.
Les valeurs communes de l'achat public et de la
performance financière. La performance au sens de la LOLF
« n'a pas pour but de définir le niveau des moyens en
209 P. SUET, « Après la réforme de la LOLF.
Un nouveau partage des responsabilités », RFFP 2003,
n°82, p. 53.
210 Ordonnance n°59-2 du 2 janvier 1959 portant loi
organique relative aux lois de finances.
211 C. WALINE, P. DESROUSSEAUX, S. GODEFROY, Le budget de
l'Etat, Doc. fr., 2012, p. 177.
212 M. BOUVIER, M.-C. ESCLASSAN, J.-P. LASSALE, Finances
Publiques, 10ème éd., coll. Manuel, LGDJ, 2010,
p. 32.
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fonction des objectifs et des résultats attendus ou
réalisés mais, pour un niveau de moyens donné, d'optimiser
les résultats : elle doit permettre, sous contrainte budgétaire,
d'apprécier et d'améliorer l'efficacité de la
dépense publique et celle de la gestion des responsables de programmes
et d'évaluer la pertinence des actions financées
»213. Chercher à optimiser l'achat public en tant
qu'il est source de dépenses publiques, dans un contexte
budgétaire tendu, s'inscrit donc dans le prolongement direct de la
rénovation de la logique budgétaire voulue par la LOLF.
D'ailleurs, c'est également en 2001 que le premier Code
des marchés publics « eurocompatible » fait son
apparition. On peut y lire pour la première fois que «
l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers
publics sont assurées par la définition préalable des
besoins, le respect des obligations de publicité et de mise en
concurrence ainsi que par le choix de l'offre économiquement la plus
avantageuse. »214. Cette mention de l'efficacité et
de la préservation des deniers publics, au moment de transposer la
directive européenne, et alors que cette dernière n'en fait
aucune fois mention, ne peut être une simple coïncidence. Il
s'agissait d'un décret215 préparé par le
ministère de l'économie, des finances et de l'industrie,
simultanément à l'élaboration de la LOLF, en discussion au
Parlement, sous le contrôle de ce même ministère.
Les procédures de mise en concurrence et de
publicité ont alors trouvées, du même coup, une
justification autre que seulement la « libre concurrence »
ou l'achèvement du marché intérieur. De plus cela
s'inscrivait pleinement dans le nouveau rôle de gendarme
budgétaire que l'Europe se construit depuis le Traité de
Maastricht de 1992. Mais surtout, cette nouvelle justification avait l'immense
avantage d'être purement française et en lien avec la nouvelle
vision propagée par la LOLF. Jusqu'aux directives de 2014216,
cette idée n'était que secondaire pour l'Union Européenne.
Il s'agissait seulement pour cette dernière d'une sorte d'effet
collatéral bienvenu, rien de plus.
213 H. BIED-CHARRETON, « La démarche de
performance dans le cadre des lois de finances », Les notes bleues de
Bercy, 10 mars 2006, n° 304.
214 CMP 2001, art. 1er.
215 D. n° 2001-210, 7 mars 2001, portant code des
marchés publics.
216 Par exemple la préservation des deniers publics est
mise en avant aux considérants 63 (à propos des systèmes
d'acquisition dynamique) et 47 (à propos de l'encouragement pour
l'innovation). De même, le rapport coût/efficacité est mis
en avant à de nombreuse reprise afin de décrire à quoi
correspond une offre économiquement avantageuse.
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Enfin la LOLF « reprend à son compte un
certain vocabulaire contractuel (responsabilisation sur des objectifs et des
engagements négociés, autonomie dans la gestion des moyens,
évaluation de la performance au moyen d'indicateur) »217
Cette nouvelle justification de la soumission des personnes
publiques aux procédures de mise en concurrence et de publicité
devient de fait utile pour légitimer une application de cette logique de
performance à l'achat public (B).
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