Section II. Débats
méthodologiques entre la théorie de la régulation et les
institutions spécifiques des économies du
développement
Nous nous focalisons au sein des institutionnalismes sur les
théories de la régulation en différenciant cinq
débats méthodologiques, entre les théories de la
régulation et l'économie du développement : celui du
traitement du temps, de l'espace, de l'holindividualisme, de l'environnement et
de la diversité des formes institutionnelles.
II.1. Le développement, processus de
transformation des structures et des institutions de long terme, suppose un
traitement du temps, irréversible (Boyer, chevance, Godard). Trois
principales limites peuvent être notées.
- Les théories de la régulation renvoient, plus ou
moins explicitement, à une vision qui hiérarchise les
sociétés selon leur degré de modernité (ex du terme
employé de régime préindustriel); or, les
sociétés ont plusieurs manières de construire la
modernité. Certaines connaissent des progrès de
productivité et une diversification de leurs économies alors que
d'autres sont prises dans des trappes à pauvreté et à
vulnérabilité voire à conflictualité. La question
démographique, déterminante au coeur des dynamiques de long terme
n'est pas intégrée dans les théories de la
régulation. La jeunesse est devenue ainsi en Afrique une
catégorie déterminante du fait de l'urbanisation, des processus
d'individualisation et des réseaux sociaux. Elle peut être une
bombe à retardement, un tsunami silencieux ou un faveur de changement et
d'innovation en voulant avoir sa place dans les champs politique, social et
économique.
- Les théories de la régulation intègrent
mal les catastrophes, naturelles ou anthropiques, chocs externes,
éventualités de faible occurrence voire non probabilisables
d'apparition d'états de gravité externes. Celles-ci peuvent
être appréhendées par des systèmes dynamiques
déterministes mais instables avec une sensibilité aux conditions
initiales et une forte récurrence rendant non prévisible le futur
(vol de l'aide du papillon). La prise en compte de la pluralité des
trajectoires et de la flèche du temps incertain (schakle)
appréhendent les bifurcations, fruit du hasard et de la
nécessité. Les trappes à violence et à
vulnérabilité résultent d'un enchainement entre
insécurité et sous-développement médiatisées
par l'absence de résilience des agents, des institutions
légitimes et de stratégies réactives ou proactives des
pouvoirs (Sathanhar, Miguel, Sergent 2004).
- Enfin l'approche holiste prend peu en compte les
représentations du temps des acteurs diffèrent avec rupture des
taux d'actualisation, préférence pour l'immédiate (poids
du quotidien) et pour le très long terme préférence pour
la liquidité en situation d'incertitude radicale
II.2. La seconde question méthodologique
est celle des emboitements d'échelles territoriales des modes de
développement. La théorie de la régulation se
réfère principalement à l'Etat nation et aux compromis
socio politiques nationaux. Or, dans de nombreuses économies en
développement, le cadre de l'Etat nation a une pertinence limitée
pour analyses les processus de régulation. Les Etats qui ont
proliféré, sont souvent faillis et débordés. Les
frontières de nombreux pays en développement sont arbitraires et
résultent moins de combats internes que de facteurs
hétéronomes et sont dans les pays africains, du proche et du
Moyen Orient remis en question. L'Etat nation est rarement le cadre le plus
adéquat pour comprendre les modes de régulation des
sociétés. La conscience nationale et la citoyenneté sont
le plus souvent faibles ou fragiles. En situation de crises, les marqueurs
identitaires religieux, ethno régionaux et linguistiques, les
référents tribaux se renforcent. La pertinence limitée de
l'Etat nation comme lieu principal de régulation peut être
analysée au niveau des conflits et des modes de développement
économique. La pertinence limitée du cadre national apparait
également au niveau du développement économique. D'un
côté, le capitalisme mondialisé ne peut être
réduit à unjusta position de capitalismes nationaux. Il est
financiarise, caractérisé par la mobilité du capital et
les rôles déterminants des firmes transnationales (plus de 80% du
commerce mondial), l'interconnexion des informations par les réseaux
liés aux NTIC et par une compétitivité processus
d'innovations. Les Etats et les politiques nationales sont
débordés. L'insertion des sociétés dans une
économie mondialisée ne peut être analysée par la
seule théorie des régimes internationaux mobilisée par les
régulationnistes (Hugon, Michalet 2005).
II.3. Le troisième débat est celui
des liens entre l'individualisme méthodologique et l'holisme et d'une
théorie explicative des stratégies des acteurs.
L'analyse économique inspirée Keysien explique
également comment dans un contexte instable et incertain, les acteurs
subissant des chocs ont différents modes de résilience. Ils
tendent à minimiser les risques et à jouer sur des réseaux
et communautés réducteurs d'incertitude et à s'accommoder
à la pauvreté et à la vulnérabilité. Les
risques sont des processus à l'issue imparfaitement maitrise mais dont
les scénarios de sortie sont a priori connus et auquel il est possible
d'affecter une probabilité d'occurrence; le marché permet,
à priori, à la fois la prise de risque et l'assurance contre le
risque des acteurs précautionneux. De plus, l'incertitude radicale non
probabilisable (Knight, Keynes) est une situation aux devenirs inconnus ou tut
au moins non probabilisable; les réducteurs d'incertitude renvoient
à des instances non marchandes (Etats, communauté,
d'appartenance, conventions). Les réseaux et communautés
réducteurs d'incertitude comme l'analysent Keynes ou les
conventionnalistes.
II.4. La question environnementale.
La soutenabilité écologique, le rôle des
ressources non renouvelables et de l'énergie dans les régimes
d'accumulation, les externalités négatives comme la pollution
sont des questions centrales qui ont longtemps été peu
abordées par les théories de la régulation. Elles sont au
coeur de la durabilité du modèle énergivore,
carboné, producteur de Gaz à effet de terre, à cycle court
et obsolescence des produits, d'innovation/destructrices des
sociétés capitalistes. Par définition, ce modèle ne
peut êtresupporté par la planète et ne concerne que les
seuls nantis. Le non reproductibilité de certaines ressources
naturelles, la pollution, la baisse de la biodiversité, au coeur des
régimes d'accumulation des sociétés occidentales avec une
rivalité mimétique de la part des puissances dites
« émergentes » rendent par définition ce
modèle non reproductible à l'échelle des autres
sociétés de la planète... Or, cette question a
été longtemps largement évacuée de la grammaire des
théories de la régulation privilégiant le seul rapport
salarial, le rôle du capital et la théorie de la valeur travail
aux dépens de la valeur nature (Rousseau, Zuindeau 2007), Lardé,
Zuindeau 2010).
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