Le crime d'agression en droit international pénal, portée et enjeux de la révision de Kampala( Télécharger le fichier original )par Olivier Lungwe Fataki Université Catholique de Bukavu - Licence 2016 |
b. Définition de l'agression dans la Résolution 3314 (XXIX)La Résolution 3314 (XXIX) est en effet intégralement consacrée à la définition de l'agression, elle comprend une annexe intitulée « Définition de l'agression » comportant 8 articles précédés d'un long préambule en 10 points. En son article 1er, la Résolution énonce que : « l'agression est l'emploi de la force armée par un Etat contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un autre Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies, ainsi qu'il ressort de la présente définition 75(*)». Dans cette définition, le terme « Etat » est employé sans préjuger la question de la reconnaissance ou le point de savoir si un Etat est Membre de l'Organisation des Nations Unies, il y est inclus, le cas échéant, le concept de « groupe d'Etats ». L'on aura remarqué que l'agression est ici entendue comme un acte commis par un État à l'encontre d'un autre État contre sa souveraineté, son intégrité territoriale ou l'indépendance politique de cet État. En ce qui concerne la preuve de l'existence d'un acte d'agression internationale la Résolution énonce en son article 2 l'idée complémentaire que : « l'emploi de la force armée en violation de la Charte par un État agissant le premier constitue la preuve suffisante, à première vue, d'un acte d'agression ». La CIJ avait précisé à ce propos que l'agression implique la volonté précise d'un Etat d'attaquer un autre Etat76(*). Egalement, la Cour avait dit, dans une autre espèce, qu'en droit international coutumier, la fourniture d'armes à l'opposition dans un autre Etat n'équivaut pas à une agression armée contre celui-ci77(*). Lors des discussions sur l'adoption de cette résolution, les Etats-Unis avaient soutenu la considération de l'intention dans la qualification d'agression en arguant que l'intention est ce qui permet de distinguer l'agression (qui sera considérée comme un crime) et une simple rupture ou menace contre la paix78(*). Ils avaient ainsi estimé que « le Conseil de sécurité doit prendre en considération les intentions et les raisons apparentes et latentes motivant le comportement de l'Etat ou des Etats en cause »79(*). Le Canada s'était prononcé dans le même sens80(*). L'Italie avait précisé aussi que l'intention sert à distinguer l'agression d'une simple rupture de la paix, même si celle-ci constitue également un acte illicite81(*). Cette résolution comporte une liste de Sept actes constituant une agression, mais elle n'est nullement exhaustive, car la résolution laisse le soin au Conseil de sécurité de la compléter82(*). Constituent ainsi des actes d'agression internationale : a. L'invasion ou l'attaque du territoire d'un Etat par les forces armées d'un autre Etat, ou toute occupation militaire, même temporaire, résultant d'une telle invasion ou d'une telle attaque, ou toute annexion par l'emploi de la force du territoire d'un autre Etat; b. Le bombardement, par les forces armées d'un Etat, du territoire d'un autre Etat, ou l'emploi de toutes armes par un Etat contre le territoire d'un autre Etat; c. Le blocus des ports ou des côtes d'un Etat par les forces armées d'un autre Etat; d. L'attaque par les forces armées d'un Etat contre les forces armées terrestres, navales ou aériennes, la marine ou l'aviation civiles d'un autre Etat83(*); e. L'utilisation des forces armées d'un Etat qui sont stationnées sur le territoire d'un autre Etat avec l'accord de l'Etat d'accueil, contrairement aux conditions prévues dans l'accord ou toute prolongation de leur présence sur le territoire en question au-delà de la terminaison de l'accord; f. Le fait pour un Etat d'admettre que son territoire, qu.il a mis à la disposition d'un autre Etat, soit utilisé par ce dernier pour perpétrer un acte d'agression; g. L'envoi par un Etat ou en son nom de bandes ou de groupes armés, de forces irrégulières ou de mercenaires qui se livrent à des actes de force armée contre un autre Etat d'une gravité telle qu'ils équivalent aux actes énumérés ci-dessus, ou le fait de s'engager d'une manière substantielle dans une telle action84(*). Au sens de la jurisprudence de la CIJ, cette description peut être considérée comme l'expression du droit coutumier. La Cour avait relevé qu'elle ne recouvre cependant pas l'action de bandes armées dans le cas où cette action revêt une ampleur particulière, ou consiste en une assistance à des rebelles prenant la forme de fourniture d'armements ou d'assistance logistique ou autre85(*). Elle a poursuivi en disant qu'on peut voir dans une telle assistance une menace ou un emploi de la force, ou l'équivalent d'une intervention dans les affaires intérieures et extérieures d'autres Etats mais non une agression86(*). Dans l'Affaire des activités armées sur le territoire de la RDC, la Cour avait précisé que des attaques de forces irrégulières non imputables à un Etat ne sont pas une agression au sens de l'article 3, g87(*). Si, d'une part, la liste d'actes d'agression expressément énumérés à l'article 3 de Résolution 3314 (XXIX) est qualifiée de définition de l'agression directe88(*), d'autre part, la latitude donnée au Conseil de Sécurité de l'ONU (Article 4) de déterminer d'autres actes d'agression, formule ce qu'on a appelé une définition de l'agression indirecte. Celle-ci a été, en effet, dans le contexte de la guerre froide, une modalité très fréquente de l'emploi de la force89(*). En ce qui concerne l'agression directe, l'illustration en est l'arrêt rendu par la CIJ le 27 juin 1986 sur l'affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d'Amérique). La CIJ a eu l'occasion d'y préciser que le fait pour un État de fournir des armes à des rebelles agissant dans un autre État, ne constituait pas une agression armée contre ce dernier, selon le droit international coutumier. Elle s'est contentée d'y voir et d'y qualifier en l'espèce un acte d'ingérence. Elle s'est également refusée, dans la même affaire, à qualifier d'agression de la part des États-Unis le fait de poser des mines à l'entrée des ports du Nicaragua, de même que de bombarder des installations pétrolières et une base navale. Cet emploi de la force n'a été considéré que comme un manquement à l'obligation internationale de non intervention sur un territoire étranger. L'agression indirecte quant à elle, est : « l'envoi par un Etat ou en son nom de bandes ou de groupes armés, de forces irrégulières, qui se livrent à des actes de force armée contre un autre Etat d'une gravité telle qu'ils équivalent aux actes énumérés ci-dessus, c'est-à-dire aux actes mentionnés comme étant constitutifs de l'agression directe, ou le fait de s'engager substantiellement dans une telle action90(*) ». Pour illustration, dans l'Affaire du Nicaragua, les Etats-Unis soutenaient, en effet, que leurs activités militaires au Nicaragua étaient justifiées par l'exercice de la légitime défense collective en réponse à l'agression indirecte commise par le Nicaragua contre l'Etat voisin, El Salvador, en aidant les forces engagées dans des actions armées contre le gouvernement de cet Etat. La Cour a déclaré à ce sujet ne pas penser que la notion d' «agression armée» puisse recouvrir une assistance à des rebelles prenant la forme de fournitures d'armements ou d'assistance logistique91(*). L'opinion de la Cour sur ce point a été fortement critiquée par le juge Schwebel, qui s'est appuyé particulièrement sur le dernier membre de phrase cité de la définition de l'agression indirecte : « ou de s'engager substantiellement dans une telle action », pour montrer au contraire que les faits de la cause manifestaient l'existence d'une agression indirecte commise par le Nicaragua92(*). La Cour avait cité des exemples des emplois illicites non constitutifs de l'agression en s'appuyant sur les termes de la résolution 2625 (XXV), comme par exemple les représailles armées93(*). De même, si l'exercice de la légitime défense ou des actes d'intervention autorisés par le droit (comme par exemple dans certaines limites l'intervention pour la protection de la vie des nationaux en péril) comportent des modalités outrepassant ce qui est permis, ils deviennent illicites sans être nécessairement constitutifs de l'agression94(*). Dans l'arrêt du Nicaragua, en effet, la Cour a dit que les Etats-Unis ont violé l'obligation de ne pas recourir à la force mais non pas qu'ils aient commis une agression95(*). Il est généralement admis que la légitime défense ne peut être mise en oeuvre qu'en présence d'une agression réalisée, ce qui exclut son exercice préventif96(*). L'article 5 alinéa 2 de la résolution 3314 (XXIX) considère l'agression comme « un crime contre la paix internationale » commis par un État et qui « donne lieu à la responsabilité internationale ». Selon A. Pellet, à travers cette qualification d'agression comme crime international de l'État, l'accent est mis sur une dimension qualitative qui comprend deux éléments : - l'importance de l'obligation violée, et - le caractère essentiel de celle-ci pour la sauvegarde d'intérêts fondamentaux de la communauté internationale et une réprobation de cette communauté97(*). Ainsi donc, commettre une agression reviendrait à violer une obligation erga omnes98(*) ou une obligation envers la communauté internationale dans son ensemble. L'agression est considérée comme un crime international parce que ce n'est pas l'État victime de l'agression qui est seul concerné, mais l'ensemble des Etats99(*). Cela étant, voyons alors dans les lignes qui suivent, que l'agression peut également constituer un fait internationalement illicite d'un Etat. * 75 Article 1er de la Résolution 3314 (XXIX). Dans M. CIFENDE KACIKO et S. SMIS, Op. cit.,p. 89. * 76 CIJ, 6 novembre 2003, arrêt, Plates-formes pétrolières, Rec. 2003, § 64. * 77 CIJ, 27 juin 1986, arrêt, Activités militaires au Nicaragua, Rec. 1986, p. 119 * 78 A/AC.134/SR.59, 22 Juillet 1970 in A/AC.134/SR.52-66, p. 69. Disponible en ligne sur http://legal.un.org/UNJuridicalYearbook/pdfs/english/ByChapter/bibliography/1969/chpIX-X.pdf Visité le 05 mars 2016. * 79 A/C.6/SR.1203, 20 octobre 1970, p. 157, par. 3. Disponible en ligne sur http://legal.un.org/UNJuridicalYearbook/pdfs/english/ByChapter/bibliography/1969/chpIX-X.pdfVisité le 05 mars 2016. * 80 A/AC.134/SR.56, 17 Juillet 1970 in A/AC.134/SR.52-66, p. 27. Disponible en ligne sur http://legal.un.org/UNJuridicalYearbook/pdfs/english/ByChapter/bibliography/1969/chpIX-X.pdf Visité le 05 mars 2016. * 81 A/AC.134/SR.69, 3 Aout 1970 in A/AC.134/SR.67-78, p. 38. Disponible en ligne sur http://legal.un.org/UNJuridicalYearbook/pdfs/english/ByChapter/bibliography/1969/chpIX-X.pdfVisité le 05 mars 2016. * 82 Article 4 de la Résolution 3314 (XXIX). Dans M. CIFENDE et S. SMIS, Op. cit., p. 89. * 83 L'on peut signaler que dans l'Affaire des plates-formes pétrolières, la Cour avait dit que « le minage d'un seul navire de guerre peut, éventuellement suffire à justifier qu'il soit fait usage du droit naturel de légitime défense (CIJ, 6 nov. 2003, arrêt, Plates-formes pétrolières, Rec. 2003, § 72). * 84 Article 3 de la Résolution 3314 (XXIX). Dans M. CIFENDE et S. SMIS, Op. cit. p. 89. * 85 CIJ, 27 juin 1986, arrêt, Activités militaires au Nicaragua, Rec. 1986, 103. * 86Ibidem. * 87 CIJ, 19 décembre 2005, Activités armées au Congo, Rec. 2005, § 146. * 88 H. Thierry, Op., cit., p. 22. * 89Ibidem. * 90 M. CIFENDE, Op. Cit., p. 200. * 91 CIJ, 27 juin 1986, arrêt, Activités militaires au Nicaragua, §195, In CIJ, Recueil des arrêts, 1986,p. 104 * 92 Ibidem. * 93Ibidem. * 94 H. Thierry, Op. Cit., p. 139. * 95H. Thierry, Op. Cit., p. 139. * 96 M. CIFENDE, Op. cit., p. 201. * 97 A. PELLET, Remarques sur une révolution inachevée du projet d'articles de la CDI sur la responsabilité des États, AFDI, XLII, 1996, p. 23. * 98CIJ, Arrêt Barcelona Traction, Light and power Company, Limited, fond, arrêt, CIJ, Rec. 1970, p. 32, §§ 33 et 34. * 99 P.M. DUPUY, Le fait générateur de la responsabilité internationale des États, RCADI, 1984, V, p. 56. |
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