Chapitre I
De l'essence du régime politique
haïtien
Dans le second chapitre de la première partie du
travail, nous avons étudié les constitutions de 1950, 1957 et
celles des Duvalier. Sans tenir compte des diverses conjonctures de crise entre
1846 à 1957, le pays a connu une période de dictature qui
comporte deux phases. La première s'étend de 1957 à 1971
avec le père Duvalier (papa Doc) et la seconde de 1971 à 1986
avec Duvalier Fils (baby Doc). Arrivé au pouvoir en 1957 au moyen
d'élections, Duvalier chercha et parvint à neutraliser certaines
institutions et à domestiquer ou anéantir d'autres. Tout le monde
savait qu'il s'agit d'une « dictature souveraine73
».
Le pouvoir dictatorial n'est en aucun cas autorisé par
la Constitution, ni limité constitutionnellement. Il n'est pas
constitué, mais il s'impose de fait. Cette période dictatoriale
est l'affaire du Président ou d'une manière
générale de l'Exécutif et les principaux bourreaux du
pouvoir. Le 7 février 1986, ce régime s'est effondré sous
le poids de la conjonction de divers facteurs internes et externes. D'une part,
les grands soulèvements populaires qui ont ruiné l'architecture
du pays, et d'autre part, les pressions de la communauté internationale
n'ont laissé le choix qu'à la chute du régime en place.
L'Assemblée constituante originaire a voulu, de ce
fait, camper un nouveau régime sur les décombres du
précédent. La Constitution de 1987 est donc l'oeuvre de
l'émotion, de décisions hâtives sans grandes concertations,
malgré les trois mois de travail. Certains éléments du
régime parlementaire sont combinés avec ceux du
présidentiel, sans pourtant prendre l'essentiel des deux, pour nous
donner un régime particulier. Voilà pourquoi les articles
relatifs au régime seront analysés ci-dessous sans oublier la loi
sur l'amendement dont l'importance est très considérable dans le
cadre de ce travail.
Ce chapitre s'intéresse d'une manière
particulière à trouver la vraie nature du régime politique
haïtien et il se divise, en effet, en deux sections. La première
est titrée "Pour une catégorisation du régime
politique haïtien" et la seconde "Motifs pour une
qualification du régime".
73 Etienne, Sauveur Pierre, Haïti,
misère de la démocratie ; Cresfed, l'harmathan, Paris 1999,
p56
58
Section I.- Pour une catégorisation du
régime politique haïtien
« Particulier » est un adjectif
convenable pour qualifier le régime politique d'Haïti. Il est, dans
l'esprit des constituants de 1987 et de plus d'un aujourd'hui, en
adéquation avec l'attente des forces politiques et de la population de
l'époque. Le climat, dans lequel ont travaillé les constituants,
a entrainé un rejet du passé, et a conforté la
volonté de remplacer l'ancien régime. Cette motivation les a
poussés à verrouiller le pouvoir Exécutif pour
l'empêcher de faire ce qui lui plait. C'est comme lui mettre dans un
labyrinthe. L'explication de la rigidité de la procédure
d'amendement de la Constitution 1987 en découlerait, par exemple.
De surcroit, les travaux post-constitution nous permettent de
constater ce que les constituants ont voulu faire. Georges Michel74
a révélé les paroles de certains collègues,
notamment Dr Louis Roy : « Nous avons enlevé les dents au
Président de la République de sorte qu'il ne puisse plus mordre.
Tôtu pa gen dan, m pa konn kijan l ap fè mòde ».
Et il poursuit en s'adressant à Rick Garnier : « Nous avons
ficelé le Président de la République comme un saucisson.
Je crois que nous l'avons mis hors d'état de nuire ». Et il
répond : « Tais-toi ! Tu as raison, mais il ne faut pas le
crier si fort avant le referendum ».
Par contre, ce qui est prescrit dans les normes n'est pas
forcément d'une application adéquate dans les faits. En effet,
nous allons étudier d'un côté le parlement et ses
compétences (A) et de l'autre côté, l'Exécutif qui
est composé d'un Président de la République, comme chef de
l'État et le Premier Ministre, chef de gouvernement
(B).
A.- Le parlement et ses compétences
La Constitution haïtienne, fruit du processus
démocratique, a attribué en 1987 des fonctions et des
prérogatives au parlement bicaméral haïtien. On ne peut
douter qu'elle semble le plus innover dans le domaine de l'équilibre des
pouvoirs, mais c'est aussi celui dans lequel son application suscite beaucoup
plus de controverses75 parce que la réalité
témoigne toujours le niveau de respect cultivé à
l'égard de la loi.
Généralement, le fonctionnement du parlement ne
témoigne pas systématiquement la soumission aux prescrits
constitutionnels. Le mode de contrôle, qui devait jouer un rôle
fondamental dans le
74 Michel Georges, op. cit. p133.
75Manigat Mirlande, Plaidoyer pour une nouvelle
constitution, éd, Zemès, Canada 2010, p94.
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processus du respect de la séparation des pouvoirs et
de l'établissement effectif de la démocratie en Haïti, n'est
pas d'application stricte. Quoiqu'il soit formellement prévu dans la
Constitution, mais les conjonctures politiques sont très
déterminantes sur l'exercice de ce privilège démocratique,
accordé au parlement.
Il est, à ce titre, important d'étudier la
fonction législative exercée par le bicaméralisme
haïtien, une institution unitaire (a) et son comportement face à
l'exercice de ses compétences (b).
a) L'unité du bicaméralisme
haïtien
L'amendement constitutionnel n'a pas apporté de grandes
modifications à la définition matérielle du pouvoir
législatif. Il est encore exercé par deux chambres
représentatives. Une chambre des députés et un
sénat forment le corps législatif ou le parlement (art 88 de la
Constitution de 1987). Le parlement haïtien, à notre sens, serait
l'organe souverain créé par la charte fondamentale, en vue de
faire des lois sur toutes les questions d'intérêt
général et il est aussi l'organe de contrepoids du pouvoir
Exécutif.
L'inscription du parlement haïtien dans la perspective du
bicaméralisme est, à nos yeux, normale car il vise un plus grand
équilibre des pouvoirs, mais cela ne fait pas de lui un parlement au
sens moderne du terme s'il n'a pas rempli avec brio et efficacité les
fonctions pour lesquelles il a été créé. «
Le pouvoir législatif fait des lois sur tous les objets
d'intérêt public », (art 111). Par cette prescription
constitutionnelle, « aucun domaine n'échappe actuellement
à l'intervention du législateur76 ».
Il est, au sein de l'État, l'institution principale la
plus proche de tous les secteurs de la société, il
représente des circonscriptions diverses du pays. Il constitue le «
pilier central du régime politique d'interaction
égalitaire77 et il est aussi le « coeur de
toute vraie démocratie78 ». Le parlement est le
premier des pouvoirs constitutionnels qui incarne le pouvoir du peuple à
travers ses représentants79. Il doit se conformer aux
critères80 : de légiférer et
contrôler, qui ont trait à
76Dorval Monferrier, La place de la loi et de
la coutume en Haïti, in de la place de la coutume dans l'ordre juridique
Haïtien, Bilan et perspectives à la lumière du droit
comparé de Gilles Paisant (dir) presses universitaires de Grenoble,
2003, p89.
77 Latortue Youri, Le devoir de servir,
éd. group, P-au-P 2012, p51.
78 Pierre Louis Josué, Haïti et ses
institutions, imprimerie Henri Deschamps, P-au-P, Octobre 2005, p63.
79 Vladimir Yvon Mathe, Le parlement,
contrepoids de l'arbitraire, in la chronique judiciaire d'Haïti. No
163, 14ème année, Avril 1994, P17.
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l'élaboration des lois et au contrôle des actes
du gouvernement, de représentation, critère pouvant le
rappeler qu'il a été choisi par toutes les tendances de la
société, d'indépendance budgétaire et
administrative par rapport aux autres pouvoirs et enfin de
pluralisation qui accorde la liberté d'expression à tous les
parlementaires. Le parlement est, en effet, le lieu où la critique
est institutionnalisée81.
Tous les parlementaires proviennent du scrutin
réalisé au suffrage universel. Ils jouissent tous des mêmes
droits et prérogatives attachés à la fonction
parlementaire. Ils ont tous l'initiative des lois, le pouvoir d'enquêter,
etc... Cependant, suivant une approche dialectique de la relation existante
entre les deux chambres du parlement haïtien, l'on dirait que la
prééminence est accordée au sénat. La poursuite de
l'analyse peut faire comprendre que les sénateurs soient plus matures
que les députés ce dont l'effet est de "sanctionner" les actes de
jeunesse de la chambre basse.
En dehors de toutes les fonctions principales des
parlementaires, ceux-ci restent des citoyens à part entière de la
société ou de la circonscription représentée. Ils
sont, de ce fait, des agents de développement.
b) Le parlement dans l'exercice de ses
compétences
Ils ne se limitent pas exclusivement aux attributions
prévues de manière formelle dans la Constitution. Ils
s'inscrivent aussi dans une perspective de développement communautaire.
Non seulement, ils doivent remplir d'un côté, leurs fonctions
spécifiques de parlementaire, mais aussi d'un autre côté,
dans les projets communautaires de développement82, ils
jouent un rôle d'importance considérable. Ils préparent et
exécutent, en symbiose avec les maires, des projets communs de
développement. Ils financent des activités sociales
communautaires dans la zone dans un contexte de développement. Ce qui
peut, toutefois, servir acte préparatoire pour les prochaines
élections, probablement. D'ailleurs, les mandants n'évaluent pas
les parlementaires suivant le nombre de lois proposées, encore moins sur
le contrôle exercé sur le pouvoir Exécutif, mais surtout
sur la quantité de projets réalisés dans la
circonscription en question.
80 Latortue Youri, op cit. p56.
81 Hugo Victor, cité par Roy, Jean Claude,
in LES POUVOIRS : la constitution de 1987 et la fin de l'arbitraire,
Ed. Henri Deschamps, P-au-P 1991, p57.
82 Propos de Siclait Jean Mario, ancien
Député de la première circonscription de
Jérémie, 46ème législature, soit
1995-1999.
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Les parlementaires jouent le rôle de
délégués de la zone pour la recherche des projets de
développement. Ils facilitent l'arrivée des projets de
construction d'écoles nationales, de lycées et de centres de
santé communautaire. En Haïti, en période estivale surtout,
les parlementaires sont aussi financeurs de certaines activités sociales
organisées dans les communes.
Les parlementaires arrivent même à jouer un
rôle de facilitateurs de services, d'emplois, pour certains
ressortissants de leurs communes, compte tenu de la réalité du
pays. Ils se révèlent des notables de la zone, surtout dans les
milieux ruraux, ils jouissent d'un grand prestige, leurs paroles sont
respectables dans la mesure où ils font preuve de représentation
et de moralité. Ils ne doivent se livrer en effet, à des
activités louches et dévalorisantes aux yeux de la
communauté.
A côté du pouvoir législatif, existe le
pouvoir exécutif qu'il importe de voir ses attributions au regard de la
Constitution haïtienne.
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