B.- Le bicéphalisme de l'Exécutif
haïtien instauré par la Constitution de 1987
L'exercice du pouvoir Exécutif est confié au
Président de la République, chef de l'État et au
Gouvernement ayant à sa tête un Premier Ministre (art 133 de la
Constitution de 1987). Le pouvoir Exécutif n'a pas subi de grandes
modifications par la loi portant amendement de la Constitution de 1987. La
lecture de l'article 133 laisse comprendre que l'Exécutif haïtien
est bicéphale. Il s'inscrit dans une perspective dyarchique. Le statut
du Président et ses attributions sont traités au niveau de la
section A et B du chapitre III de la Constitution. Et ceux du Gouvernement, du
Premier Ministre, des ministres et des secrétaires d'État sont
présentés au niveau de la section C, D et E.
La distinction statutaire entre ces deux branches du pouvoir
Exécutif nous invite à comprendre que le Président de la
République et le Gouvernement en général sont deux
autorités distinctes formant l'unité de l'Exécutif. La
Présidence et le Gouvernement, selon le voeu de l'article 133, doivent
conjuguer leurs efforts pour exercer les compétences du pouvoir
Exécutif même si les attributions ont été
fixées séparément. Autrement dit, la Constitution veut que
ses deux organes agissent en symbiose pour la gestion des affaires publiques.
La Constitution de 1987 crée le bicéphalisme haïtien. Le
pouvoir Exécutif n'est plus l'affaire d'un seul citoyen (le
Président de la République), mais l'affaire de deux institutions,
la présidence et le Gouvernement.
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Les interprétations des principales attributions du
Président de la République et les limites prévues aux
articles 133 à 154 laissent dire qu'il est un Mineur
(a). Et celles du Gouvernement sont prévues aux
articles 155 à 172 et font du Premier Ministre un majeur responsable de
ses actes (b).
Le Président, élu sur la base d'un programme
politique, devrait être capable normalement de mettre en oeuvre ses
projets, loin de nier les négociations. Oublier qu'il doit rentrer en
pourparlers avec certains groupes du secteur privé serait un manque. Il
ne peut réaliser quoique ce soit sans s'arranger avec eux. Le cas du
vote de la loi sur le salaire minimum en octobre 2009 est un exemple type. Le
Président a dû négocier d'abord avec tout le secteur
privé avant la promulgation de cette loi. Et dans la majorité des
cas pareils, l'élite économique sortirait gagnante.
a) Un président-mineur
Le Président de la République est le chef de
l'État, il veille au respect et à l'exécution de la
Constitution et à la stabilité des institutions. Il assure le
fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la
continuité de l'État (art 136 de la Constitution de 1987).
D'entrée de jeu, cet article accorde une multitude de
responsabilités au chef de l'État. Le fait de veiller au respect
et à l'exécution de la Constitution fait de lui le garant du
principe de la séparation des trois pouvoirs, parce que cette charte
fixe les attributions chacun d'eux. Tout homme qui détient une parcelle
de pouvoir peut en abuser, il est du devoir du chef de l'État de les
dissuader. Il ne peut tolérer le dysfonctionnement des pouvoirs publics.
La mauvaise marche des institutions est sous sa responsabilité, il doit
assurer leur fonctionnement régulier pour garantir la continuité
de l'État.
Il est, en plus, le garant de l'indépendance nationale
et de l'intégrité du territoire (art 138). Ce sont des pouvoirs
moraux qu'on ne peut fuir en tant que tels. Ces articles ont
conféré implicitement le titre de père de famille au
Président de la République qui doit protéger non seulement
le physique de la maison, mais aussi tous les enfants qui y vivent ainsi que
leur intégrité.
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Il a le pouvoir de nommer, après
délibération en Conseil des Ministres et après
l'approbation du sénat :
le commandant en chef des Forces armées et celui de la
police nationale, les Directeurs Généraux de l'Administration
Publique, les Délégués et les Vices
Délégués des départements et arrondissements, les
conseils d'administration des organisations autonomes, les ambassadeurs et les
consuls généraux (art 141 et 142)83 et les juges de la
cour de cassation, des cours d'appels, des tribunaux de première
instance, ceux des tribunaux de paix le sont aussi par lui( art 175). La
mention « après délibération en conseil des ministres
» est l'oeuvre de la Constitution de 1987 rappelant qu'il ne s'agit plus
d'une seule personne, mais d'une institution, la présidence.
Il a l'initiative des lois sous formes de projets
envoyés au parlement. La loi sur le budget de la République est
de son apanage. Il participe à la construction de l'agenda
législatif du gouvernement, il influe sur les lois adoptées par
le parlement en obligeant éventuellement à une
réélaboration ou en faisant des objections. Sur le plan
international, il signe les traités et les conventions. La promulgation
et la publication de la loi (art 144),- actes finaux de la politique
législative-, sont du ressort de la présidence. Le
Président de la République est, de ce fait, un législateur
négatif84. Cette négativité consiste, à
mon avis, en ce que le Président a l'initiative des lois mais le vote
revient au parlement et une loi est loi, au sens strict, que s'elle est
votée par le pouvoir législatif.
Et de surcroit, l'article 150 prescrit que « le
Président de la République n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui
attribue la Constitution ». Cet article laisse comprendre que toute action
posée par le chef de l'État en dehors des pouvoirs qui lui sont
attribués par la Constitution est illégale et
inconstitutionnelle. C'est comme si il est enfermé quelque part, et tout
manoeuvre hors du cadre défini est une violation. Toutes les
décisions du Président sont l'objet de validation par le
parlement, ou il doit trouver l'approbation de l'une des deux chambres. Donc,
il est un mineur qui ne peut poser aucune action sans le consentement de son
tuteur. Ce dernier est là pour
83 Le choix du Premier Ministre (art 137) par le
Président est réservé pour être traité au
niveau de la deuxième section de ce chapitre. Cet article est d'une
délicatesse considérable dans la loi sur l'amendement de la
Constitution.
84 Pierre-Louis Patrick et Vernet Jacques,
Diagnostic de la politique législative en Haïti, Canada
2008, p41.
Ils ont utilisé ce concept pour montrer certes que le
Président peut prendre l'initiative des lois, mais celles-ci doivent
être votées par le parlement. Est aussi valable pour le vote de la
loi du budget dont l'initiative est exclusivement accordée à
l'exécutif, mais elle doit être votée par le parlement. A
notre avis, le vote ait lieu après toutes les négociations
possibles. Le Président est donc dans ce cas un législateur
négatif.
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entériner la majorité actes du Président
si non ils sont sans effets légaux. Le mineur n'a donc pas de
consentement.
Au final, les pouvoirs de l'Exécutif sont
désormais partagés, au regard de la Constitution, avec le Premier
Ministre, chef du Gouvernement. Ce dernier est l'organe fusible, sujet à
subir les conséquences négatives des actions du pouvoir
Exécutif. Nous dirions, en tant que majeur, il est responsable de tous
les actes de ce pouvoir parce qu'il conduit la politique de la nation.
b) Un Gouvernement majeur et responsable
Ayant à sa tête le Premier Ministre, le
Gouvernement se compose de celui-ci, des Ministres et des Secrétaires
d'État, tel que prévu par la Constitution de 1987 au niveau de
l'art 155. Sa principale mission est de conduire la politique
générale de la nation. Ici, nait un carrefour dans lequel il faut
poser les questions suivantes : quelle politique générale ?
Est-ce la politique générale sur la base de laquelle le
Président a été élu ou celle sur laquelle est assis
le Premier Ministre pour trouver le vote de confiance du parlement lors du
processus de ratification ? La réponse à cette question est
plurielle.
Oui, c'est la politique générale du
Président, car celui-ci est élu au suffrage universel direct sur
toute l'étendue du territoire et il est le plus légitime ou le
plus représentatif de tous. Oui, c'est la politique
générale présentée devant le parlement parce que le
Premier Ministre est le chef du Gouvernement, il conduit la politique
générale de la nation (art 156). D'où, se pose le
problème du respect du choix du peuple souverain.
Toute discordance est possible entre ces deux politiques, car
chacune doit être adaptée à la situation. Le
Président a été élu sur la base d'un programme
politique, arrivé au pouvoir il doit choisir un Premier Ministre qui va
présenter à son tour une politique générale devant
le pouvoir législatif. Laquelle politique qui doit satisfaire
évidemment toutes les tendances de l'heure ou la conjoncture actuelle si
non la contrepartie directe, -le vote de confiance,- ferait défaut.
Le Premier Ministre nomme ou révoque directement ou par
délégation les fonctionnaires publics selon les conditions
prévues par la Constitution et par la loi sur le statut
général de la fonction
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publique (art 161)85. Il est responsable de la
co-défense du territoire avec le Président de la
République. Le Gouvernement haïtien forme un collège. Les
actes du Premier Ministre, en effet, sont contresignés par les Ministres
et quand l'interpellation de celui-là aboutit à un vote de
censure, le Gouvernement est totalement renvoyé, car il joue le
rôle de fusible du pouvoir Exécutif et tous ses membres sont
solidairement responsables. Autrement dit, en cas de choc, c'est le
Gouvernement qui a tout subi.
La loi fait obligation d'avoir au moins dix portefeuilles
ministériels et cette fonction est incompatible avec tout autre emploi
public sauf celui de l'enseignement. En ce sens, la loi met non seulement des
garde-fous pour empêcher le cumul des salaires, mais aussi pour faciliter
l'accès à la fonction publique. Les statuts du Président
et ceux du Gouvernement ont été étudiés, mais cette
étude est insuffisante comme base sur laquelle nous devons nous asseoir
pour trouver la vraie nature du régime politique haïtien. En effet,
nous allons étudier dans la section suivante les éléments
clés du régime politique haïtien et la relation existante
entre les pouvoirs publics.
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