Section II.- Motifs pour une qualification du
régime
Dans la section précédente, il a
été question des attributions de la Présidence de la
République, du Gouvernement haïtien, du pouvoir Législatif.
Mais les questions qui nous sont fondamentales ont été
réservées pour cette seconde section. Ici, nous allons nous
s'attarder sur la relation plus ou moins directe existante entre ces deux
pouvoirs de l'État. En ce qui a trait aux régimes politiques,
parlementaire ou présidentiel, la relation s'est tissée
fondamentalement entre le Parlement et l'Exécutif. Autrement dit, la
nature du régime politique est déterminée par rapport
à la relation existante entre l'Exécutif et le
Législatif.
Cela constitue un motif suffisant pour ne pas intégrer
dans notre étude la relation du pouvoir judiciaire avec les autres
pouvoirs. La relation entre le pouvoir judiciaire et les autres pouvoirs a
toute son importance dans un État de droit, mais elle n'est pas
forcement déterminante pour trouver la nature d'un régime
politique. Et de surcroit, la Constitution de 1987, dans ses prescrits,
n'établit pas un agencement du pouvoir judiciaire de telles sortes que
les interprétations puissent influencer la nature du régime
politique.
85LE MONITEUR, Journal Officiel de la
République d'Haïti, Décret du 17 mai 2005, portant
révision du statut général de la fonction publique,
P-au-P, Vendredi 22 Juillet 2005, 160ème année, spécial no
7.
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D'entrée de jeu, nous écartons toutes les
idées que le régime politique haïtien est un parlementarisme
exacerbé ou absolu, il n'est non plus un régime
présidentiel. La charte fondamentale a agencé d'une
manière spécifique les relations entre le Parlement et
l'Exécutif. Apparemment, nous dirions qu'elle a combiné des
éléments caractéristiques du régime parlementaire
d'avec certains d'autres du régime présidentiel. D'où la
naissance d'un maquis inextricablement difficile à démêler.
En effet, une analyse minutieuse s'impose pour pouvoir qualifier le
régime politique d'Haïti.
Pour trouver la vraie nature du régime politique
haïtien, dans un premier temps, nous allons non seulement tenir compte des
attributions du Président, du Gouvernement, du Parlement et la relation
existante entre ces trois organes fondamentaux, mais aussi nous allons nous
asseoir fondamentalement sur les modalités d'accession au pouvoir du
Président et des parlementaires (A). Et dans un second temps, nous
allons nous appesantir sur le mode de contrôle existant entre ces deux
pouvoirs clés du régime. Pour le faire, nous allons
considérer à la fois la Constitution de 1987 et le texte de loi
portant son amendement (B).
A.- Modalités d'accession au pouvoir
Les modalités d'accession des acteurs politiques au
pouvoir ont tout leur poids dans la nature du régime politique d'un
pays. Dans les régimes parlementaires, parmi les organes principaux (le
Parlement, la Présidence, le Gouvernement ou le Cabinet), le
Gouvernement est responsable devant le chef de l'État. Le chef de
l'État, en Grande Bretagne, a pour vocation d'incarner la
continuité de l'État, mais en principe ne participe pas ou
participe très peu à l'exercice du pouvoir, exception faite du
choix du Chef de Gouvernement et encore doit-il le choisir dans la
majorité parlementaire.
Tout comme le régime parlementaire, le régime
présidentiel est doté de caractéristiques propres. Il
s'agit aux Etats-Unis du Congrès et de la présidence. Le
bicaméralisme du Congrès s'explique par la volonté
d'éviter la domination et la concentration du pouvoir. Mais, les organes
ne peuvent s'isoler l'un l'autre. Ce n'est pas viable. Ils fonctionnent dans le
cadre d'un État, ils poursuivent donc un but commun. Tous leurs
objectifs doivent se converger vers le progrès de la
société et le bien-être collectif.
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Cependant, plusieurs pays ont adopté cette forme
d'agencement des pouvoirs de l'État. Mais, leurs modes de fonctionnement
ne sont pas du tout identiques dans le sens que l'adaptation pure et simple est
d'une difficulté accrue. Chaque Etat, pris dans son
séparément, a une histoire politique et économique, etc...
Chacune de ces histoires n'est pas sans conséquences sur la distribution
et la répartition du pouvoir. Ces paramètres sont très
déterminants dans le cadre de l'établissement d'un régime
politique qui doit refléter dans la mesure du possible les us et
coutumes d'un peuple. Certains de ces Etats ont attribué la
prééminence des prérogatives au Président, ce qui
donne le présidentialisme et d'autres tentent à réduire
les privilèges du Président ou combinent les
éléments du type parlementaire et du présidentiel.
A l'époque moderne, les variantes du régime
parlementaire sont nombreuses. Nous en avons pu découvrir le
régime parlementaire bi-représentatif dans lequel le
Président de la République comme les parlementaires sont
élus au suffrage universel direct. Le Président de la
République est légitime, du fait de l'instauration du suffrage
universel direct, il procède d'une souveraineté nationale, mais
ne saurait être considéré comme l'unique
représentant du Peuple, au risque de dénier tout caractère
démocratique. Dans ce régime, ils sont les deux à
être élu par le peuple, détenteur de la souveraineté
nationale.
Dans la lettre de la Constitution haïtienne 1987, il a
été prévu les modalités d'élection du corps
législatif, chargé d'élaborer les lois (a) et celles du
Président de la République (b).
a) Election du corps législatif
haïtien
Le Député est élu à la
majorité absolue des suffrages exprimés dans les
Assemblées primaires, selon les conditions et le mode prescrit par la
loi électorale. Art 90.1
Le sénateur de la République élu au
suffrage universel à la majorité absolue dans les
Assemblées primaires tenues dans les Départements
Géographiques, selon les conditions prescrites par la loi
électorale. Art 94.2
Et les Députés et les Sénateurs, ils sont
élus à la majorité absolue des suffrages exprimés.
Nous dirions qu'ils jouissent, par cette lecture, de la même
légitimité parlementaire. Mais les autres articles attribuent
plus de compétences au Sénat de la République. Il doit
donner son approbation à la majorité des actes que le
Président entend poser (arts 137 et s). Et aussi, a-t-il des
attributions
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qui lui sont très propres, comme s'ériger en
haute cour de justice pour connaitre les crimes de haute trahison commis par le
Président de la République, les malversations commises par les
membres du Gouvernement dont le Premier Ministre, pour les fautes graves
commises par les membres du Conseil Électoral Permanent et de la CSC/CA
(arts 97, 185 et s.). Mais, quand les deux chambres exercent en commun les
pouvoirs qui leur sont dévolus, le parlement est, en
réalité, le lieu, par excellence, de la politique.
« Il serait inconcevable que tout le monde qui
appelle à l'instauration de la démocratie ne comprenne pas que la
charte de 1987 ait fait du parlement la source véritable de la
gouvernance politique et le lieu géométrique de construction de
l'État de droit démocratique86».
Dans cette perspective, Claude Moise veut montrer que les
parlementaires sont réellement les représentants du peuple et
sont les principaux porteurs de ses revendications. Nous dirions que les
parlementaires incarnent la représentation politique. Elle implique que
les gouvernants sont choisis d'une manière libre et démocratique
par la voie d'élection. Cette dernière se veut être un
moyen pouvant assurer l'alternance politique qui empêche, à son
tour, toute confiscation possible du pouvoir. Avant les révolutions, le
mode de désignation des successeurs au pouvoir était
héréditaire et a été incarné dans la
personne du roi qui choisissait personnellement son remplaçant. Cette
garantie est préservée dans la constitution, base sur laquelle
est assis le gouvernement démocratique.
L'élection dans un régime démocratique
est le garant de la dépersonnalisation du pouvoir. Elle assure en effet,
les principes relatifs à la souveraineté, à la
représentation ou la séparation des pouvoirs87. Elle
organise le mode de transmission, la dévolution et l'exercice du pouvoir
de telle sorte qu'il ne puisse être exercé dans
l'intérêt personnel des représentants, mais dans
l'intérêt général. Elle constitue le fondement de la
légitimité des représentants.
En effet, un Député ne peut être
élu dans une circonscription électorale du sud-est, soit Jacmel
sur la base de 49.07% du nombre des voix exprimés88. Nous ne
sommes plus au temps de Boyer
86 Moïse Claude, Un pas avant, deux pas de
côté. Chronique des années 2004-2008, Éd. UEH,
Port-au-Prince, 2011, p 218.
87 HAMON Francis et TROPER Michel, Droit
constitutionnel, 28è éd. LGDJ, Paris 2003,
p43.
88Rapport de la mission d'information et de contact
de la francophonie sur les élections présidentielle,
législatives et sénatoriales du 28 Novembre 2010 et du 20 Mars
2011 en Haïti.
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Bazelais89. Qui pis est, le nombre de bulletins
blancs dans les élections haïtiennes a une large part des suffrages
exprimés. A nos réflexions, le bulletin blanc implique la
non-confiance en aucun candidat. Aucun d'entre eux n'a présenté
un programme en cohérence avec les aspirations, les besoins des votants.
Cette situation ou cette crise de légitimité n'épargne pas
l'élection présidentielle.
b) Election du Président de la République
d'Haïti
Nous lisons aux termes de l'article 134 que : « le
Président de la République est élu au suffrage universel
direct à la majorité absolue des votants. Si celle-ci n'est pas
obtenue au premier tour, il est précédé à un second
tour.
Seuls peuvent s'y présenter les deux candidats qui
le cas échéant après retrait de candidats plus
favorisés, se trouvent avoir recueilli le plus grand nombre de voix au
premier tour ».
A notre avis, le nombre de voix obtenu lors d'un scrutin
constitue la base légitime du Président. Sous un premier angle,
un représentant n'est légitime que si le nombre de voix obtenu
est représentatif. Sous un second, il ne l'est que par la justification
de l'obéissance qui lui est due. Le pouvoir légitime est un
pouvoir dont le titre que détient le représentant est juste et
qu'il soit détenu dans les limites de la loi. La
légitimité est la perspective d'où se place d'ordinaire le
titulaire du pouvoir90.
La légitimité est faite, selon la conception de
madame Boulad-Ayoub, de deux composantes : la justification du respect dû
au pouvoir et la conformité à une certaine règle. Dans cet
ordre d'idée, un pouvoir peut avoir été légitime
dès son obtention, mais ne l'est plus au cours de son exercice dans la
mesure où c'est l'irrespect qui prévaut face à lui. Il est
clair, à l'époque moderne, la légitimité d'un
pouvoir ne provient pas de Dieu parce que le monde politique a
évolué et le peuple en a pris conscience. Toute
légitimité, en effet, vient du peuple, détenteur de la
souveraineté, qui en fait délégation aux
représentants.
89Sur 3000 électeurs potentiels, la
circonscription de Port-au-Prince n'a enregistré que seulement 900
inscrits. Sur ce nombre, 425 se sont déplacés pour aller voter,
en sorte que Boyer Bazelais n'a été élu premier
député de la capitale que par un nombre dérisoire
d'électeurs. C'était le même tableau sur l'ensemble du
territoire raconte Claude Moïse, in Constitutions et Luttes de pouvoir
en Haïti, la faillite des classes dirigeantes 1804-1915, éd.
UEH, tome 1, 2009, p251.
90Boulad-Ayoub Josiane,
Légitimité, légalité et vie politique,
collection classiques des sciences sociales, Québec 2003, p6.
70
À l'Exécutif peut appartenir une
légitimité populaire par la désignation au suffrage
universel91. La modalité d'élection
réservée au Président de la République reviendrait
donc à l'investir d'une légitimité populaire. Il est le
seul qui jouit d'une telle légitimité dans le pays. Toutefois, il
ne faut pas pour autant tirer de l'élection directe et universelle la
source d'une augmentation des pouvoirs du Président de la
République. Il n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribue la
Constitution (art 150). Par contre, il est approprié de dire que ce mode
de suffrage, combiné au scrutin majoritaire, et additionné
à d'autres éléments peut effectivement aboutir, dans la
pratique, à l'évolution de la puissance du Président de la
République.
D'où le problème de la légitimité
qui se pose au niveau de la démocratie haïtienne. Si le peuple est
le détenteur du pouvoir, il doit être capable de faire des
délégations. Il ne s'agit pas non seulement d'organiser des
élections, mais aussi on doit s'assurer d'un très fort niveau de
participation de la population en général. Dans le cas contraire,
une révision de la situation est nécessaire. Il est anormal que
les résultats des élections aient montré clairement que la
population ne participe pas au scrutin.
Certes, les parlementaires et le Président sont
élus au suffrage direct pour représenter le peuple, mais
arrivés au pouvoir leurs attributions, bien évidemment, ne sont
pas les mêmes. Même s'ils constituent tous deux, afin d'assurer la
limite de leur pouvoir, des organes de contrôle l'un pour l'autre.
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