Considerations historico-juridiques sur le regime politique haitien( Télécharger le fichier original )par Jhensly Endy Frederic Faculte de Droit et des Sciences Economiques, UEH - Droit 2014 |
Section II.- De la consolidation de la personnalisationDans la section précédente, nous avons montré les manoeuvres légales effectuées par le Président pour s'accaparer complètement du pouvoir politique pour toujours. Ayant eu toutes les provisions constitutionnelles à sa disposition, rien à craindre. Il assure aussi qu'il n'ait jamais eu d'élections pendant son règne afin qu'il reste et demeure le seul Président tout au cours de la durée de sa vie. Pendant sa présidence, vient la mort ou un empêchement grave, unique solution de laisser le pouvoir. La personnalisation du pouvoir par le Président Duvalier arrive à un point tel où son nom est inscrit en grandes lettres dans les articles de la Constitution de 1971. Le Dr François Duvalier est le président à vie. Cela montre aussi qu'il s'agit d'une constitution personnelle, sinon son nom n'y figurerait pas de la sorte. Il existe des pouvoirs à vie dans le monde où le roi ou la reine demeure en fonction jusqu'à sa mort, avec la possibilité de choisir son successeur sans que leur nom figure dans la Constitution64. Mais le cas de Duvalier est spécial, son nom a été écrit 64 Le cas de Robert Mugabe, constitutions de Zimbabwe de 2013 et de 1980.
http://www.parlzim.gov.zw/attachments/article/56/constitution.pdf
et
http://aceproject.org/ero- 48 normalement dans les dispositions de la Constitution de 1971. Il entend, de ce fait, personnaliser d'abord la constitution et ensuite le pouvoir politique pendant longtemps. Sa volonté d'individualiser le pouvoir le tient à un point tel qu'il s'immisce dans tous les domaines de la vie nationale. Tout étant, désormais, activité d'État et toute activité étant soumise à l'idéologie, une faute commise dans une activité économique et professionnelle est simultanément une faute idéologique. La fameuse phrase de Mussolini en fait le résumé : « Rien en dehors de l'État, rien contre l'État, tout dans l'État65». D'ailleurs, il n'existe pas trop de grandes différences entre ces deux régimes, totalitarisme et dictature, si ce ne sont mère et fille. Les projets politiques de Duvalier-père l'invitent à choisir un Duvalier. Comme nous l'avons dit plus haut, ce Duvalier peut l'être idéologiquement ou biologiquement mais la seconde a remporté la victoire. Il diminue considérablement l'âge requis pour être Président de la République. Dès les premiers moments de la vie politique haïtienne, l'âge retenu pour être Président était 35 ans66, augmenté de 5 ans, soit 40 ans à partir de la Constitution de 1874. Et il a fait de même pour le législatif, l'âge a été complètement diminué. Le pouvoir est donc infantilisé et personnalisé (A), même s'il a voulu créer un bicéphalisme au niveau de l'Exécutif (B) A. - Un pouvoir infantiliséLe pouvoir est pris ici dans le sens de quelqu'un qui détient la direction des organes de l'État. Diriger l'Etat n'est pas une chose ordinaire parce que cette personne morale de Droit Public est non seulement composée d'une population mais aussi d'un territoire, lesquels doivent être soumis à un pouvoir politique souverain et effectif. Ce qui fait d'elle l'autorité la plus compétente et légitime pour poser toutes les actions jugées conformes à sa volonté, mais au profit de tous. Toute personne voulant se trouver à la tête de cette entité la mieux organisée doit avoir de la capacité nécessaire, de la maturité et des compétences adéquates. Par contre, dans les dictatures totalitaires ou autoritaires ou dans les empires, il n'est pas forcement vrai. La capacité nécessaire peut faire défaut. La maturité peut ne pas être du tout présent et encore moins les compétences. Ces critères ne sont pas définis pour devenir roi, reine 65Leclerc Claude, op. cit, p54. 66 Nous n'oublions pas le cas de Faustin Soulouque qui est proclamé Empereur sous le nom de Faustin 1er. La constitution de l'empire, révision de la Constitution de 1849. 49 ou empereur. Il est plutôt une question d'hérédité67. Le roi est obligé de choisir l'ainé de sa famille. S'il arrive à un point qu'il ne peut plus gouverner ou s'il est plus proche de la mort que de la vie et s'il doit choisir son successeur, alors son dévolu sera jeté sur son fils, héritier de la famille royale. Comme nous avons dit plus haut, si Duvalier est responsable, il ne l'est que devant Dieu ou devant la mort. Et voilà, les recherches nous permettent de découvrir dans le livre de Gérard Pierre Charles68, lequel nous a permis de prendre connaissance que Duvalier a répété ceci dans un discours prononcé le 3 aout 1958 : « Aucune force au monde ne peut m'empêcher de jouer mon rôle historique, puisque je fus élu par Dieu et par le destin». Sa volonté de jouer son rôle historique se traduit par le fait qu'il soit président jusqu'à sa mort avec corollaire, choisir son successeur, et à ce qu'il contrôle le pouvoir au-delà de sa vie. Il assure en tout état de cause que toutes les sphères du pouvoir politique haïtien soient placées sous son contrôle. En effet, prenant connaissance de sa maladie et se trouvant dans l'obligation de procéder à l'organisation de sa succession, il a vite imposé un amendement à la Constitution de 1964. Laquelle constitution qui a tout chambardé en matière d'âge pour accéder aux postes électifs. Ainsi, la gouverne du pays est sujet à se trouver entre les mains des enfants (a) et le pouvoir de faire des lois n'en est pas exempt (b). a) De la gouverne du pays Pour être Président de la République d'Haïti il faut :
De ce fait, Jean Claude Duvalier remplace son père le 22 avril 1971. Hérité du pouvoir dictatorial de son père, il n'a pas pu rompre avec les anciennes pratiques. Certes, il est Duvalier de sang, mais il y a encore plus de Duvalier idéologique que de Duvalier de sang. Papa-Doc a bien pris en main sa succession au pouvoir. Il a campé une machine pouvant assurer le contrôle du pouvoir 67 Il arrive des cas que le tuteur dirige à la place du Mineur pour un certain temps jusqu'à la majorité mais, politiquement qui sera toujours un mineur. 68Pierre Charles Gérard, Radiographie d'une dictature, éditions NOUVELLE OPTIQUE, Montréal, 1973, p86. 50 même après sa mort. On ne peut se permettre d'un coup de couper court avec l'idéologie duvaliériste. A la tête du pays, se trouvait en effet, un enfant de 19 ans qui a pris les décisions concernant la nation. Une nation déjà fragilisée par les séquelles de l'occupation américaine, marginalisée par une bonne partie du monde. Elle a connu le dictateur le plus détesté des pays de l'Amérique. Le journal el caribe de Santo Domingo dans un éditorial déclara que la présidence à vie de Duvalier était une honte pour les peuples démocrates d'Amérique, plus encore que pour le peuple haïtien, forcé d'accepter par la terreur et le crime organisé « le despote le plus haï des temps modernes69 ». Désigné par le souverain, Duvalier fils est devenu aussi Président à vie de la République d'Haïti selon le voeu de l'art 10 de la Constitution de 1971. Il est obligé de diriger le pays sous l'empire de l'art 99 lequel qui a consacré Dr François Duvalier chef suprême de la nation haïtienne pour tous ses accomplissements personnels que le pays n'ait jamais connus. Le contenu de cet article lui octroie toutes les bases légales nécessaires pour accomplir ses missions de conserver et de contrôler pendant longtemps le pouvoir politique. Il contrôle non seulement le pouvoir exécutif dont il est le seul chef, mais aussi le pouvoir législatif qui devait servir en quelque sorte contrepoids au pouvoir exécutif. b) De la législation du pays La loi exprime la volonté générale disait l'autre. Cette volonté générale s'exprime à travers les représentants, estimés capables et choisis par le peuple. Quand le peuple estime que quelqu'un est apte à exercer le pouvoir politique, il le fait en fonction de ses critères établis, surtout ceux dont leurs aspirations lui sont les plus proches. Le pouvoir est attribué à des grands, à des personnes jugées mûres, qui peuvent soutenir leurs revendications jusqu'aux réponses attendues. Non seulement les revendications doivent être apportées à un niveau tel qu'elles doivent être prises en compte, mais aussi le législateur est placé pour édicter des lois pour toute une génération présente et future. Pour être membre du corps législatif il faut : 69Diederich Bernard, op. cit. p230.
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Il s'agit de la lecture faite aux articles 51 de la Constitution de 1971 et 68 de celle de 1983. La Constitution de 1971 a fixé l'âge d'accession à la présidence et au parlement à 18 ans, dans l'unique but de permettre au Président à vie, le Dr François Duvalier, de se faire succéder par son fils. Comme il serait inélégant de le fixer à 18 ans pour la présidence et non pour le législatif, il l'a fait aussi pour la chambre unique. Toujours est-il, il a été question de passer le pouvoir à son fils déjà initié au palais national dans le luxe du pouvoir. Mais, il est vraiment grave dans une société que le pouvoir de faire des lois, pour la vie ou la mort des citoyens, soit sujet à être laissé uniquement entre les mains des jeunes d'au moins dix-huit ans. Quand dans une société les lois ne sortent pas d'une délibération intelligemment débattue entre les différents membres du corps pour en retirer les faiblesses et pour saisir les éventuelles conséquences négatives que le vote d'une telle loi puisse avoir sur l'ensemble de la société, les citoyens se trouvent dans une sorte d'insécurité juridique qui peut leur coûter la vie. Ceci n'a pas empêché, par contre, à Duvalier-père, par la constitution de 1971, de donner la possibilité à tous les enfants de dix-huit, plus précisément le sien, d'accéder au pouvoir politique. En aucun cas, personne ne peut justifier en quoi est-il bon de laisser entre les mains d'un enfant le pouvoir de diriger une société. Mentalement et intellectuellement, il est incapable car, il n'a pas atteint encore le niveau de bagages intellectuelles et sociétales pour gouverner un pays tant sur le plan national qu'international. Cet enfant-là porterait uniquement le titre de Président sans pouvoir rien faire en contrepartie, si ce n'est sous le dictat de ses parents et des proches-parents. Imaginons ce Chef de l'État un jour parmi un ensemble d'autres chefs d'Etats dans le monde où il doit se prononcer sur telle situation ou doit répondre à une kyrielle de questions controversées. En tout cas, Duvalier-père a bien mené le jeu pour hisser son fils de dix-neuf ans à la tête de la magistrature suprême de l'État haïtien. Le fils ne pouvait, sans nul doute, rompre avec les pratiques de son père. Il a suivi la lignée tracée par lui quoiqu'il ait pu montrer une certaine volonté de rompre mais, qui n'était, peut-être, qu'un feinte. 52 |
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