B.- Un Président-Roi de la République
Parler de président à l'ère contemporaine
implique que l'on vit dans une République. Une république,
étymologiquement, se définit comme la chose du peuple ou le
pouvoir du peuple. Quand le peuple est le maitre du pouvoir politique, il lui
revient aussi le droit de choisir ses représentants parce qu'il ne peut
l'exercer directement de par sa forte densité. Autrement dit, quand on
parle de Président, on fait allusion à une république qui
implique élection, l'un des moyens de faire participer les citoyens dans
la direction du pays.
Et généralement, quand on parle de roi ou reine,
il est question de monarchie. Ils sont nombreux les hommes et les femmes qui
ont porté ce titre dans le monde, même en occident qui se
réjouisse d'avoir théorisé adéquatement la
démocratie à tous les peuples du monde. Dans la majorité
des cas, en attendant le chambardement par certaines révolutions et
l'encadrement juridique de la sphère politique, la passation du pouvoir
héréditaire entre les rois ou les reines se fait en
famille61. A ce stade, beaucoup de pays dans le monde ont connu une
monarchie avant de devenir république62. Mais nous doutons
fort que ces pays passent de république en monarchie.
Il est paradoxal, pour nous et pour les autres
éventuellement, qu'un homme puisse être un président-roi.
On peut être Président en République et roi en monarchie.
Ce sont deux régimes
61 La famille Bourbon en Espagne, la famille
Bernadotte en suède, etc...
62 L'Allemagne, de 1871 à 1919, avec
l'Empire allemand ; le Brésil, de 1822 à 1889, avec l'Empire du
Brésil ; l'Italie de 1861 à 1928 puis de 1943 à 1946 en
tant que Royaume d'Italie ; la France, avec le Royaume de France, de 1791
à 1792 puis de 1814 à 1848 (Restauration française et
Monarchie de Juillet) ;
45
politiques différents. Par contre, Haïti, pays
tout à fait spécial, peut-être, a concilié
président et roi pour en faire un autre, président-roi. Nous
dirions que c'est compréhensible si les éléments qui font
de quelqu'un un président existe et ceux qui font d'un autre un roi sont
présents, un simple mélange des compétences les plus
fondamentales suffit pour être un président-roi.
Haïti est, dans ce cas, une république monarchique
ou une monarchie républicaine, mais il n'est pas question de cette
dénomination. Liberté, Egalité, Fraternité et
République d'Haïti sont les mentions qui sont toujours
figurées au frontispice de toutes les constitutions d'Haïti. Et
l'article premier est toujours consacré à : Haïti est
une république indivisible, souveraine, indépendante,
démocratique et sociale. Il est tout à fait
incompréhensible qu'il existe, légalement et
constitutionnellement, tant de contradictions dans les sphères du
pouvoir politique haïtien. Nous ne sommes pas au niveau de
l'inadéquation existante entre les actions politiques et les prescrits
constitutionnels, ce qui relèverait de la science politique, mais nous
sommes dans l'interprétation des règles juridiques
constitutionnelles.
Personne ne peut douter que les Duvalier ont
développé un rapport très étroit avec
l'hérédité (a) et la mort (b),
au niveau des constitutions élaborées à leur
profit.
a) Le fameux droit de désignation de son
successeur
Les rois et les reines ont eu toujours le pouvoir ou le
privilège de choisir leur successeur et généralement le
choix se portait sur leur fils ainé, selon la tradition. Ces cas de
figure font référence aux régimes monarchiques et
héréditaires où la possibilité d'accession au
pouvoir n'existait pratiquement pas sans être membre de la famille
royale. Même si l'inverse n'est pas forcement vraie, on peut être
membre de la famille royale sans devenir jamais roi ou reine. Avec les grandes
révolutions qui ont chambardé un ensemble de systèmes dans
le monde, ce temps-là est révolu mais en Haïti, nous lisons
que :
Le citoyen Dr François Duvalier, chef suprême
de la nation haïtienne ayant provoqué pour la première fois,
depuis mil huit cent quatre (1804) une prise de conscience nationale à
travers un changement radical au point de vue politique, économique,
social, culturel et
46
religieux en Haïti, élu Président
à vie le 14juin 1964, afin d'assurer les conquêtes et la
performance de la République duvaliériste, sous l'étendard
de l'unité nationale63.
Aux termes de l'interprétation de cet article, il est
le seul, depuis 1804, qui a fait ce qu'il a pu faire, en matière de
prise de conscience nationale, pour la première fois. Il est le seul qui
a pu provoquer un changement radical dans le pays sur tous les plans. Et tout
cela lui a valu le titre de Président à vie de la
République. Il aurait pu se faire appeler roi de la République.
Pratiquement, ce sont les rois qui jouissent de la mention à vie sans
même pourtant inscrit quelque part puisque le pouvoir n'était pas
codifié dans une charte fondamentale.
Etre président à vie d'une république,
à notre avis accorde le titre de Président-roi. Lequel statut qui
marche avec le droit de vie et de mort sur tous les individus vivant dans le
pays. Pratiquement, quand on est responsable devant personne, il est facile de
faire ce qu'on veut car aucune barrière n'existe. Tout président
à vie ne va pas avoir de craintes pour personne et n'a non plus de
comptes à rendre. Il est maitre et seigneur. Il peut faire ce qui lui
semble bon à sa propre satisfaction au détriment de tout autre.
S'il est responsable, ce n'est que devant lui-même ou devant Dieu s'il
croit que son pouvoir est divin ou encore devant la mort.
b) La mort et le Président de la
République
Seule la mort peut juger quelqu'un qui jouit d'une
présidence à vie. Il n'est responsable, nous dirions, que devant
la mort. Aucun parlementaire ne peut se permettre le droit de questionner le
Président, ce dernier n'est pas responsable devant eux. Nul ne peut se
permettre de mener une campagne contre le Président-roi, il n'a plus
à participer dans une course électorale pour être
réélu. Présidence à vie a pour corollaire la mort
comme interpellateur ou juge. Nul ne peut se prévaloir le droit que le
Chef à vie a mal agi. Tout ce qu'il a fait est bien. D'ailleurs, son
successeur est celui qui partage la même vision que lui.
Le Président à vie de la République
Dr François Duvalier a le droit de désigner comme successeur,
tout citoyen remplissant les conditions prévues à l'article 91 de
la Constitution. (Art 100 de la même constitution).
63 Art 99 de la constitution de 1971).
LE MONITEUR, Journal Officiel de la République
d'Haïti, Constitution de la République d'Haïti 1964
amendée-Reproductions pour erreurs matérielles, P-au-P,
jeudi 25 fév. 1971, 126ème année, No 16.
47
Il n'est pas du tout permis à n'importe qui de briguer
la plus haute magistrature de l'État haïtien ou de succéder
au Dr François Duvalier sans être un adepte, un partisan ou le
fils de ce dernier. Il est le seul qui peut choisir quelqu'un pour le remplacer
en cas d'empêchement éventuel ou après sa mort. Personne,
après lui qui a pu opérer un changement radical sur les plans
économique, social, politique et religieux, ne peut faire valoir la
prétention de mieux diriger le pays, selon la Constitution de 1971.
François Duvalier a été un vrai amoureux
du pouvoir. Il a fait de son mieux, constitutionnellement et pratiquement, pour
garder ou conserver sous son contrôle le pouvoir. Il doit rester toujours
sous sa domination même après sa mort. Celui qu'il a choisi, fut
celui qui se montre le plus digne et le plus apte à sa doctrine ou
à sa politique de gouvernance. Dès le départ, il avait
déjà en tête celui qu'il faut choisir. D'ailleurs, il a
aménagé, à cet effet, des provisions légales et
constitutionnelles pour lui permettre de bien asseoir son projet politique,
rien d'autre que la consolidation et la personnalisation du pouvoir.
|