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Considerations historico-juridiques sur le regime politique haitien

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par Jhensly Endy Frederic
Faculte de Droit et des Sciences Economiques, UEH - Droit 2014
  

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Chapitre II

La résurgence de la personnalisation du pouvoir politique haïtien

D'un bout à l'autre, les choses s'empirent. Après la Constitution de 1950 qui a donné une assise au Président de la République pour mener à bien ses projets, le pays a connu entre temps les Constitutions de 1964, de 1971 et de 1983. Ces constitutions, dans le mauvais sens, ont rompu très catégoriquement avec celle de 1950 qui a posé les bases d'un système démocratique en Haïti. En parlant de base démocratique, l'allusion est faite à l'élection du Président de la République aux suffrages directs (art 88) et la double chambre.

En effet, les constitutions élaborées sous le régime des Duvalier n'ont pas changé la nature monocamérale du parlement, car cela leur est très profitable. Cette situation va perdurer tellement longtemps, le pays va connaitre environ une trentaine d'années sous l'empire des actes contraires aux libertés individuelles. Ainsi, le régime serait-il très loin d'être démocratique par rapport aux nouvelles dispositions constitutionnelles.

S'il nous est permis de le dire, la Constitution était légitimement non-démocratique et certains actes posés étaient légalement constitutionnels. Autrement dit, les clauses liberticides se trouvent dans les constitutions, donc légales mais illégitimes. Tout acte posé dans le cadre de cette Constitution était légale mais illégitime. Si nous voulons contribuer théoriquement au positivisme juridique, nous devons faire ressortir surtout le côté juridique de toute la question. La Constitution fixe les limites et les barrières. Tout ce qui est autorisé par la Constitution était donc légal, mais cette légalité était illégitime puisque les citoyens étaient très loin de donner leur adhésion à de telles clauses sinon que par la force ou sous l'empire de la violence non légitime.

Et l'esprit et la lettre de ces constitutions traduisaient explicitement la volonté du Chef de l'État de tout contrôler dans le pays. Et il assurait, par les constitutions de 1964, de 1971 et l'amendement de 1983, provisions légales sur la base desquelles des actes étaient posés, que le pouvoir reste et demeure sous son contrôle même au-delà de sa mort. La volonté même de conserver le pouvoir pendant très longtemps l'incitait à commander certains actes. Quand tous les obstacles sont anéantis, il serait plus libre pour la perpétration de telle ou telle action jugée conforme à sa volonté au détriment de tout un peuple.

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Le légalisme nous invite à nous attacher davantage aux lois parce qu'elles doivent servir de boussoles aux actions humaines. Même si toutes les lois, en général, le fait d'être écrites par l'Homme sont attachées d'un signe d'imperfection mais, certaines sont autoritaires ou liberticides dès la conception. Pour faire du droit, les constitutions des Duvalier, d'entrée de jeu, étaient illégitimes car elles ne venaient pas de la volonté générale. Elles ont instauré un climat terrifiant dans les sphères politiques du pays. Ce qui permettait d'aboutir à un pouvoir politique personnalisé, conservé entre les mains du Président de la République (Section I). Et de jour en jour, les choses étaient empirées par de nouvelles clauses totalitaires, dans le seul objectif de mieux consolider son travail de personnalisation (Section II).

Section I.- Un pouvoir accaparé et personnalisé

« Toute dictature est le fruit d'une crise53». Il peut s'agir d'une crise économique, telle que celle de 1929, dont la montée du fascisme et du nazisme y était considérable. Il peut s'agir d'une crise morale ; elle a pour fondement la sauvegarde des valeurs traditionnelles, notamment liées à la démocratie. Finalement, il peut être question d'une crise politique, liée au comportement des acteurs politiques entre eux ou face à la charte fondamentale. Dans cette dernière catégorie, les acteurs de chaque organe principal du pouvoir cherchent à anéantir les autres politiquement pour pouvoir atteindre leurs buts.

Sous la période des Duvalier, le pouvoir a été accaparé et personnalisé. Dans un premier temps, le père travaille à ce qu'il, non seulement, conserve le pouvoir tout au long du temps qu'il est sujet à passer sur cette terre, mais aussi il assure que le pouvoir soit toujours entre les mains d'un Duvalier après son départ. Un Duvalier de sang comme son fils54 ou d'idéologie. Mais le second cas de figure ne pouvait tenir tête au premier. Dans un second temps, il s'entête que tout se déroule sous sa supervision, sous son autorisation ou sous son contrôle. Tout doit passer par le Président. En tant que tel, Duvalier fait preuve de ténacité à tout manigancer par la Constitution et tout ce qui se fait ne l'est pas à son insu.

Quand la charte fondamentale d'un pays est dictatoriale dans son esprit et dans sa lettre, toutes les actions posées dans ses limites le sont aussi. La Constitution de 1957, dans le cadre de la période que nous définissons pour la réalisation de notre travail, a assuré la base de la dictature

53Leclerc Claude, Institutions politiques et Droit Constitutionnel, 3e éd, litec droit. Paris 1989, p215. 54Il procède de la même manière que les Rois. Dans les empires, le pouvoir est transmis de père en fils.

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duvaliériste par l'élimination du Sénat. L'histoire politique montre que les sénateurs sont toujours les plus récalcitrants aux mauvaises actions du pouvoir exécutif, voilà pourquoi ils étaient d'abord éliminés et ensuite les actes désirés étaient devenus plus faciles à commettre. Le cas du Sénat de 1934, à titre d'exemple, sous la présidence de Vincent55. Il est une branche du Parlement dont le mandat et les attributions sont définies par la Constitution. On ne peut y porter atteinte que par un coup de force56.

Les constitutions de Duvalier étaient des constitutions dictatoriales par excellence. Les clauses, qui y sont insérées, étaient contraires à toute forme de démocratie et tout processus d'institutionnalisation du pouvoir. La majorité des articles, se référant à la nature du régime, portaient atteinte au principe de la distribution des pouvoirs. L'articulation ou l'harmonie entre les articles ne faisait que renforcer les possibilités de tout contrôler.

L'ensemble des constitutions duvaliéristes avait empêché que le pays connaisse la notion d'alternance en politique, puisque les possibilités d'institutionnalisation sont minimes ou du moins inexistantes (A). Cette impossibilité se traduisait par la faculté que le Président détenait pour agir comme les rois dans certaines monarchies européennes. Et nous connaissons, par contre, qu'Haïti est une République et elle n'est plus une monarchie. Mais, le comportement du Président de la République et les moyens constitutionnels détenus pour réaliser ce qu'il voulait nous amène à dire qu'il était un Président-Roi de la République (B).

A.- Un pouvoir sans possibilités d'alternance

L'alternance est le fait par plusieurs acteurs politiques ou plusieurs partis de se substituer au pouvoir par le biais d'élections régulières. On dit généralement qu'elle entraîne la permutation de deux partis ou de deux coalitions au pouvoir et dans l'opposition57. La situation est différente s'il s'agit d'un système multipartite, bipartite ou parti unique adapté à un régime parlementaire ou présidentiel. Quand le système de partis est bien ancré avec le cadre constitutionnel qui fixe les limites de chaque acteur, les pouvoirs sont donc réellement séparés.

55Moise Claude, Constitutions et Luttes de pouvoir en Haïti, la solution américaine 1915-1946, tome 2, 1ère édition, Editions CIDHICA, Montréal 1990, pp280-290.

56 L'histoire politique haïtienne retient plusieurs coups de force portés contre le Sénat pour atteindre certains buts fixés par le pouvoir exécutif.

57 Quermonne Jean-Louis, L'alternance au pouvoir, Col. Clefs, L.G.D.J, Paris, mai 2003, p23.

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Le multipartisme qui, d'une manière générale, tend à la séparation des pouvoirs, laisse jouer librement la séparation constitutionnelle. Dans un régime parlementaire, quand plusieurs partis sont siégés au parlement, la notion de cohabitation tend à céder sa place à la notion de coalition politique, mécanisme par lequel le gouvernement cherche à dégager une majorité à son profit.

Cependant, la minorité ne cesse de nouer et de renouer des intrigues dans les couloirs des assemblées pour dissocier et émietter la présente alliance. Le multipartisme est plus viable dans un régime présidentiel, car le gouvernement ne reflète pas les différentes divisions des assemblées. Ce n'est pas le véritable problème dans la mesure où les partis se rappellent toujours de leurs missions, celles de représenter et de travailler dans l'intérêt du peuple.

Dans un système bipartite, les rivalités sont institutionnalisées et se présentent sous la forme de programmes de gouvernement qui s'excluent mutuellement. La discussion trouve la possibilité d'être éclose ou ne pas être tuée à l'oeuf. Le système bipartite présente toutefois un grand avantage, car en fait les rivalités, les discussions sont toujours portées au grand public, selon William R. Brock58 et chaque proposition politique est soumise au feu roulant de critiques.

En régime parlementaire, la cohésion et la discipline du parti majoritaire renforcent la concentration. Et dans un régime présidentiel, l'influence de l'organisation interne est très variable suivant que le même parti réunit la présidence et la même majorité parlementaire. Mais si les deux partis partagent presque la même quantité de sièges au parlement ou la présidence détient moins de sièges au parlement, la cohabitation politique est bien présente et le principe de la séparation est mieux assuré et le contrôle réciproque est possiblement réalisable. Dans un système bipartite, la marge que les partis se sont alternés est grande moyennant deux partis dont leurs travaux sont étiquetés de constance et de dynamique.

Sous l'ère des constitutions des Duvalier en Haïti, l'alternance politique était à fausses possibilités. Nous dirions qu'il s'agissait d'un système de parti unique qui renforce bien évidemment l'autorité du pouvoir exécutif. Et dans des cas pareils, l'assemblée pourrait est considérée comme un « parlement-croupion59», où l'acclamation bien réglée remplace les débats, et le vote devient le premier acte du processus délibératif. Quand le chef de l'État, dans

58 Brock William R., L'évolution de la démocratie en Amérique, tome 1, nouveaux horizons, Paris 1974, p184-186.

59 Duverger Maurice, Les partis politiques, essais, Armand Colin, Paris 1992, p124.

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ses manoeuvres ne laissent aucune possibilité pour l'organisation d'élections régulières dans le pays, il nous est difficile de parler de substitution des acteurs au pouvoir (a) et l'alternance politique devient une simple parole (b).

a) L'alternance politique sous Duvalier

L'alternance politique entraîne la permutation de deux ou plusieurs partis ou de deux coalitions au pouvoir et dans l'opposition. Opposition dans le sens de deux acteurs qui voient la direction du pays différemment. Ils veulent tous deux prendre le pouvoir ou la reine du pays en main au profit de la population par les moyens d'élections régulières. Sous l'ère des Duvalier, soit sous l'empire des constitutions de 1964, 1971 et 1983, être Président de la République d'Haïti serait un don du ciel.

La Constitution de 1957 qui a conservé l'élection du Président aux suffrages directs n'existait plus à cause de celle de 1964, la nouvelle Constitution qui a enlevé le verbe ELIRE au niveau de l'article 91. À première vue, nous dirions qu'il n'est plus question d'élection, il suffit d'avoir quarante ans pour être Président de la République par n'importe moyen. Mais ce serait trop cruel pour les constituants de 1964, l'art 101 a ajouté un bémol pour dire que le Président de la République est élu au scrutin secret. Jusque-là, ça peut aller même si ce procédé est sur le point d'être éliminé à petites doses.

Tout régime qui se veut être démocratique doit être capable d'organiser des élections dans les limites prévues par les textes légaux. Nous ne nions pas pourtant qu'un régime puisse être démocratique sans choisir les représentants par la voie des urnes mais il y a un manque. Il a été prévu que le Président de la République d'Haïti doit être élu aux suffrages directs et après amendement de la Constitution de 1964, il n'est plus question d'élection. Cet amendement constitutionnel pousse le pays vers le chaos, vers l'anarchie ou vers la dictature. Au lieu de progresser vers une répartition ou une distribution plus parfaite du pouvoir politique, la Constitution de 1971 revient plutôt avec les vieilles pratiques et consolidait la personnalisation du pouvoir.

Toute constitution prévoit comment parvenir à la magistrature suprême de l'État. Il ne revient à personne la possibilité d'accéder au pouvoir dans une démocratie sans jouir du consentement du peuple, ce qui lui confère une sorte de légitimité. A l'époque, Haïti a été loin d'être un pays

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démocratique, mais chaque pas positif vers le respect des valeurs ou des caractéristiques de la démocratie constitue un plus vers la dépersonnalisation du pouvoir. Election implique que le peuple, en tant que souverain et celui qui détient le pouvoir, participe au choix de ceux qui vont exercer la délégation de la souveraineté et du pouvoir. Autrement dit, le peuple doit choisir les mandatés par la voie des urnes parce que ces derniers agissent par délégation de compétences et de pouvoir.

A ce titre, sous Duvalier, les acteurs politiques, s'il y a en avait plusieurs, ne pouvaient pas substituer l'un à l'autre au pouvoir parce que les moyens de le prendre étaient inexistants. L'élection, principal moyen de s'alterner, a été supprimée dans la vie politique par la Constitution de 1971. Donc, le pouvoir de Duvalier n'a pas connu ce concept, si oui, les possibilités d'existence étaient immatérielles.

b) Une alternance immatérielle

Et dans les prescrits constitutionnels et dans la réalité politique, -une sphère que nous ne voulons pas trop toucher dans le cadre de ce travail qui vise à contribuer théoriquement au positivisme juridique-, le concept d'alternance, critère d'empêchement de la personnalisation du pouvoir, n'a été existé sous Duvalier. Sous sa période, le pays a connu la Constitution de 1957, non instituée par lui mais en jouit beaucoup. Il a connu aussi celles de 1964 révisée par celles de 1971 et de 1983. Ces dernières-là sont ses principales oeuvres pour asseoir ses projets politiques dictatoriaux. Le pire, les Duvalier ont passé trente ans environ au pouvoir, soit 1957-1986.

Non seulement la Constitution de 1964 a commencé le processus d'élimination de l'élection au suffrage pour être abouti par la constitution de 1971, mais aussi le chef de l'État, dans l'objectif de conserver le pouvoir, n'a jamais manifesté la volonté d'organiser des élections dans le pays, sinon que des referendums60 truqués à son profit. L'ensemble des constitutions élaborées par papa doc et baby doc sont porteuses d'effets dictatoriaux. Elles étaient des outils de construction de l'édifice dictatorial contraire à l'instauration d'un climat démocratique en Haïti.

60 Le 14 juin 1971, eut lieu le referendum de la constitution de 1971. Le « oui » était la seule réponse inscrite sur les bulletins de vote.

Diederich Bernard, le prix du sang, la résistance du peuple haïtien à la tyrannie, tome 1 ; François Duvalier (19571971), traduction de l'anglais par Jean-Claude Bajeux, Ed Henri Deschamps, P-au-P, oct. 2005, p230.

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Quoique la notion d'alternance n'ait jamais été dans la tête du Président et a été, certes, peu répandue dans le monde à l'époque mais les prescrits et pratiques constitutionnels n'ont jamais laissé de possibilités aux autres acteurs politiques de briguer la fonction suprême de l'État haïtien. Si des élections étaient organisées dans le pays et quelqu'un d'autre succédait à Duvalier père dans les limites prévues par la Constitution, nous dirions que l'alternance politique a vécu dans le pays même pour une seconde.

Somme toute, le Président François Duvalier n'a jamais manifesté la volonté de laisser le pouvoir politique, voir à organiser des élections. D'ailleurs, il a changé, à sa guise, les constitutions, bases légales pour l'accomplissement de ses actes. Certaines clauses instaurées dans ses constitutions nous amènent à dire qu'il était un Président-Roi de la République.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon