Section II.- Vers l'amorce d'une personnalisation
Les considérations faites sur la Constitution de 1950
laissent comprendre qu'il y avait une volonté de démocratiser le
pouvoir politique en Haïti, ce que nous appelons dans le cadre de ce
travail, une présomption démocratique du pouvoir politique
haïtien. Dans tout régime qui se veut être
démocratique, le pouvoir doit être constitué. Même si
cela a été déjà fait depuis 1801 en Haïti,
cela ne veut pas dire que le pays était, dès lors,
démocratique. D'ailleurs, l'idéal démocratique veut en
effet que les représentants soient choisis au suffrage universel.
L'idée même de suffrage universel, produit
historique, implique l'inclusion. Dans toutes les démocraties du monde,
l'élection n'est pas synonyme de démocratie mais elle constitue
un pilier important sur lequel doit reposer toute démocratie. Elle est
pour elle l'une des caractéristiques premières. Et la
Constitution de 1950 a été la première qui a
instauré le système de suffrage en Haïti. Désormais,
tous les dirigeants de ce pays sont issus de la voie des urnes. Lequel
mécanisme qui a créé l'opportunité à tous de
participer d'une manière ou d'une autre dans la vie politique.
Autrement dit, quelles que soient la religion des citoyens,
leurs races, leurs couleurs, leurs niveaux d'instruction, ils sont aptes
à choisir les représentants par le droit de vote. Parce que la
démocratie représentative est justement une façon pour le
peuple d'exercer le pouvoir. Quand il a choisi les représentants par
l'élection, il est pour lui en démocratie représentative
l'une des meilleures façons de participer à la vie politique.
Nous sommes loin de dire que l'élection est le moyen le plus parfait
d'empêcher l'arbitrage mais il se révèle un
élément important pour toute démocratie.
Quand on parle de pouvoir politique en Haïti, il est
l'objet de codification dans plusieurs textes fondamentaux dont la Constitution
de 1957 et de 1964 qui amènent de nouvelles configurations
institutionnelles. Malheureusement, ce nouvel agencement n'est pas une reforme
car cette dernière est par essence changement en vue d'apporter une
amélioration. Nous doutons fort que les constitutions de 1957 et de 1964
partagent cette idée. La nouvelle façon de concevoir les pouvoirs
publics est loin d'être en harmonie avec la notion de contre-pouvoir
étudiée plus haut.
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Les contre-pouvoirs, qui sont des moteurs d'équilibre
des attributions d'un autre pouvoir théoriquement, ne font pas l'affaire
des dirigeants de l'époque. Ils ne souhaitent pas avoir des
empêchements ou des barrières, car en réalité tout
pouvoir est un contre-pouvoir. Autre façon de dire, pouvoirs et
contre-pouvoirs sont les deux faces d'une même médaille. Dans
toutes les sociétés à volonté démocratique,
il existe des moyens de contrepoids quoique ceux qui sont au pouvoir ne
souhaitent pas en avoir. Nous dirions tout le monde mais en matière
politique, une formule est nécessaire pour constituer des freins aux
éventuels abus du pouvoir par ceux qui en détiennent.
Mais, dans cette période, il n'était pas
questions de freins, ni de contre-pouvoirs. Nous dirions que le
Président fraichement débarqué, soit le 22 octobre 1957
avait son projet anti-parlement. Il a justement profité les assises
données par la Constitution de décembre 1957. Elle a tracé
les possibilités de passage du bicaméralisme au
monocaméralisme, serviteur du Président (A) et
un pouvoir exécutif en état de consolidation
(B).
A.- Un monocaméralisme-Serviteur
Dans les assemblées parlementaires, il est
opposé le mono caméralisme, fondé sur l'existence d'une
assemblée élective, au bicaméralisme. Dans la logique
abstraite, le monocaméralisme apparait comme la conséquence
logique du système de représentation. Si on considère que
les députés élus au suffrage universel direct dans le
cadre d'une ou plusieurs circonscriptions électorales
représentent le peuple, il n'y a aucun problème qu'une seule
assemblée constitue le parlement.
Par contre, selon d'autres raisonnements, la première
chambre, celle des députés, représenterait seulement la
population, individu par individu et la seconde défendant les
intérêts des communautés intermédiaires entre
l'État et le citoyen. Ou encore, la seconde chambre peut être
constituée de sages, des personnages qui ont certaines
expériences. Dans ce cas, il est attendu une plus grande
réflexion et des actions plus matures.
Dans la majorité des Etats dont le régime est
construit suivant le modèle britannique, la fonction législative
est accordée à un bicaméralisme. Dès l'origine du
parlementarisme classique, soit le modèle anglais, trois
autorités exerçaient en théorie la fonction
législative. Dans la pratique, la dénomination parlement est
prise dans un sens restreint comme l'ensemble formé par les deux
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chambres car le Roi n'a pas joui de son droit de veto. Elle
était réservée à un bicaméralisme, la
chambre des communes et la chambre des Lords et non à une chambre
unique.
Donc, tout régime construit sur ce modèle, mais
qui à un moment donné fait d'autres choix, est
considéré comme des régimes déviés du
parlementarisme classique. Cette déviation peut être due à
cause de plusieurs facteurs, généralement des
préoccupations personnelles du Chef. Cette déviation peut
être un empiètement de compétences par un pouvoir sur les
attributions d'un autre pouvoir. Et cela n'amène jamais le pays un bon
port, d'ailleurs l'histoire a déjà prouvé que toute
concentration du pouvoir conduit aux abus.
La Constitution haïtienne de 1950 déléguait
la puissance législative à deux chambres, celle des
députés et un Sénat. Dans un temps record, nous avons
passé du bicaméralisme au monocaméralisme entre 1950 et
1957 en deux constitutions. Suivant les considérations faites plus haut,
il n'y aurait aucun problème de poser un tel acte moyennant une
justification juste, raisonnable et cohérente. Jusque-là, il est
concevable, mais une interprétation des constitutions et actes
posés postérieurement à la Constitution de 1957 nous
permettra de voir les conséquences négatives de ce passage de la
double chambre à l'unité.
Un agencement pareil constitue une attaque frontale
(a) provoquant un parlement sans maturité avec une
chambre des Députés sans grands frères
(b).
a) Une attaque par le haut
La meilleure façon d'attaquer ses ennemis est une
attaque par le haut, au niveau de son moral. Depuis aux environs de
l'année 1955, on parlait de la chambre basse, celle des
Députés et de la chambre haute, le sénat. Dans cette
logique, la seconde chambre doit réunir des personnes plus mûres,
des seniors pour faire court. Cela implique des compétences
confirmées et des expériences sur le plan professionnel ou
législatif. Par contre, les constituants de 1957 ont supprimé le
Senat de la Constitution de 1950.
Une telle action constitue une préparation de passage
à un acte délictuel. On attaque le moral du parlement par
l'amputation du Senat qui rassemblerait les sages, les personnes les plus
raisonnables. Le pouvoir législatif est dans ce cas exercé par
une assemblée unique qui porte le
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nom de la Chambre Législative (Art 48 de la
constitution de 1957). Et pour être député, il faut avoir
25 ans accomplis (art 50).
Et c'est cette même assemblée unique qui se
conduit d'office en Assemblée Nationale. Ses attributions, selon
l'article 55 sont :
1) De recevoir le serment constitutionnel du
Président de la République ,
2) Déclarer la guerre sur le rapport du Pouvoir
Exécutif ,
3) D'approuver ou de rejeter des traités de paix
et autres traités et conventions internationales ,
4) De réviser la constitution ,
5) De s'ériger en haute cour de justice ,
Quelqu'un qui est âgé de 25 ans, serait-il en
mesure d'analyser les différentes portées et retombées
d'un texte de loi surtout en tenant compte de l'époque, soit 1957 ? Une
époque où le taux de scolarisation en Haïti n'était
pas trop élevé. On pourrait être Député
à 25 ans, mais il y aurait une autre chambre composée de
personnes plus matures pour pouvoir s'appesantir davantage sur les clauses
compromissoires d'un texte législatif ou d'une convention
internationale. Ou encore pour faire freins contre un acte liberticide du
pouvoir exécutif. Le Senat est la chambre qui doit se soucier avec
rigueur de la fonction de législateur. Souvent une chambre unique est
amenée à voter un texte dans l'urgence ou dans l'emportement.
Le Président de la République peut
décider de faire la guerre, mais l'Assemblée Nationale doit
être munie de bonnes réflexions pour décider s'il faut ou
pas déclarer la guerre parce que cette dernière est une question
de vie ou de mort, de destruction de toute une population. Cette
assemblée a le pouvoir de réviser la Constitution qui est une
question très délicate. Tout constituant doit être capable
de saisir la portée positive ou négative de l'agencement du
pouvoir entre les différents organes de l'État. Donc, amputer le
parlement haïtien de 1957 du Senat a été une attaque
frontale laissant les Députés sans couverture de protection.
b) Chambre unique et sans coéquipiers
La suppression du Sénat par la Constitution de 1957 est
porteuse d'effets négatifs pour l'instauration d'un contre-pouvoir du
pouvoir exécutif. Dans le raisonnement de la séparation des
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pouvoirs, chaque pouvoir est un contre-pouvoir. Les
attributions du Sénat étaient un contrepouvoir. Un parlement
à double chambre est une garantie pour la séparation des pouvoirs
et ses effets positifs. Avec lequel parlement, les lois votées sont des
produits de débats, de mûre réflexion et de concertations.
Dans cette perspective, il y a une sécurité juridique parce que
les deux chambres, l'une considérée comme junior et l'autre comme
Senior surveillent à ce que le texte en question soit exempt
d'éléments liberticides.
L'absence du Sénat laisse la chambre des
Députés sans coéquipiers et sans renfort. Il jouait un
rôle de défense et de signe de respect suivant que les
sénateurs sont plus expérimentés et plus âgés
que les députés. Et dans l'idée que les assemblées
représentent le peuple, cette suppression est une atteinte parce que la
représentation politique est en réduction. Les parlementaires
sont aussi des défenseurs des droits du peuple haïtien mais avec la
Constitution de 1957, ces droits étaient peu défendus car
l'organe le mieux armé du Parlement a été détruit.
Pour prêter les mots de l'autre49, les constituants de 1957
ont édenté le parlement haïtien.
Suite à un Sénat évincé des
pouvoirs publics, cette même Constitution laisse toutes les
possibilités au Pouvoir Exécutif de tout contrôler. Ce qui
nous amène à dire qu'il s'agit des actions de concentration du
pouvoir.
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