Section II.- Souhaits sur le devenir du régime
politique
Le régime parlementaire bi-représentatif
instauré par la Constitution de 1987 fonctionne depuis plus d'un quart
siècle. D'aucuns pensent qu'il est à la base de toutes les crises
de la société, loin de là, nous-même, nous avons
relaté les cas dans lesquels il constitue une cause d'instabilité
dans le pays et les défis juridiques auxquels il fait face. Dans un
régime où la nomination d'un Premier Ministre suscite tant de
remous, tant de contestations, tant de négociations, tant de perte de
temps, cela constitue en quelque sorte une source d'instabilité.
En parlant de Premier Ministre, il est important de voir ce
dernier tant au niveau de sa nomination qu'au niveau des conséquences de
son renvoi ou de sa démission. Comme nous venons tout juste de le dire,
sa nomination implique beaucoup de négociations. Demeurer en fonction
pendant plus de deux ans l'est aussi sur la base de négociations. Quand
nous disons négociations, nous faisons allusion à l'argent et aux
portefeuilles ministériels à donner. Il joue le
117 Rapport national de la République d'Haïti.
Tendances récentes et situation actuelle de l'éducation et de
la formation des Adultes. (EDFoA, Avril 2008).
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rôle fusible du pouvoir Exécutif, il
reçoit tous les chocs que doit subir ce dit pouvoir. Il est le
responsable politique de tous les actes de ce pouvoir.
En cas de démission ou de renvoi, le Gouvernement ne
peut rien faire pour l'État que d'en liquider les affaires courantes.
Les programmes déjà élaborés par le Gouvernement
renvoyé sont susceptibles de rester dans les tiroirs ou dans les
poubelles pour toujours si le nouveau Gouvernement ne s'y identifie pas pour
une quelconque raison que ce soit. Et dès lors, tous les deniers qui ont
été dépensés à cette fin sont
dilapidés. Un pays pauvre ne peut se permettre de se baigner dans le
gaspillage économique. Jamais, il ne doit se lancer dans des
activités dont les conséquences seront néfastes à
sa propre économie.
La bonne marche d'un régime dépend aussi de sa
relation avec le peuple. Nous l'avons dit plus haut que le niveau de
participation du peuple dans les sphères politiques est aussi
déterminant dans le fonctionnement d'un régime politique. Si le
choix du candidat ne se fait pas par la voie des urnes, cela a une
conséquence sur la nature du régime. La représentation
politique implique que le peuple participe aux décisions politiques par
le choix des représentants. Si les représentants vont diriger au
nom du peuple, ce dernier doit choisir librement et consciemment les personnes
capable d'apporter le mieux ses revendications.
Par rapport à toutes ces considérations, nous
entendons proposer un régime présidentiel qui charrie avec lui
les moeurs et us du peuple haïtien (A) et d'un coup, nous nous attendons
à des résultats possibles(B).
A.- Un régime présidentiel à
l'haïtienne
Sans autorité que nous sommes, un régime
présidentiel serait bienvenu pour pallier à une série de
problèmes auxquels confronte la République d'Haïti. Dans
lequel, l'Exécutif monocéphale est doté d'une
administration pour conduire la politique sur la base de laquelle a
été élu le Chef de l'État au suffrage universel
direct. D'où une sécurité de choix du programme politique.
Le candidat sera élu sur la base d'un programme politique, et le choix
du peuple serait respecté parce qu'il n'y aurait pas un Premier Ministre
pour présenter une politique générale dont la ratification
dépendrait de la volonté d'un parlement.
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Il n'y aurait pas de Gouvernement jouant le rôle de
fusible dont l'absence constituerait un handicap majeur pour le fonctionnement
du pays. L'administration présidentielle serait pourvue de
Secrétaires d'État compétents pour appliquer la politique
de ladite administration dans un domaine bien spécifique. Plus le peuple
est proche du pouvoir, plus il lui est facile d'exercer son influence sur les
grandes décisions nationales118. On aurait, en effet, dix
administrations périphériques placées sous le
contrôle de l'administration centrale ayant à sa tête
l'Administrateur Centrale ou Générale nommé par le
Président de la République, après avis facultatif des
Présidents des deux chambres.
Cet Administrateur Central pourrait être
questionné par le parlement sur l'application de la politique
générale du Président et en cas d'insatisfaction, il
demande, par une résolution, au Président de la République
de choisir un autre Administrateur sans que les administrateurs
périphériques ne sont pas obligés de partir. Et le
Président peut décider, de son propre gré, de mettre fin
au mandat de cet Administrateur Central. Et dans les deux cas, cela ne peut se
faire une seule fois par an.
Dans lequel régime, la place d'un parlement dont les
membres seront élus à la majorité des suffrages
exprimés, serait tout à fait de mise, car il remplirait
normalement sa mission principale de faire des lois sur toutes les questions
d'intérêt général. Légiférer est une
fonction politique moderne119. La loi est au coeur de la politique
moderne, elle doit contribuer au recul des conceptions séculaires qui
font de la politique une simple affaire de pouvoir en Haïti. A cet
égard, les parlementaires n'auraient pas l'envie d'être porteurs
des programmes de développement pour leur département ou leur
circonscription, car l'administration départementale y serait
présente et prendrait connaissance de tous les problèmes y
relatifs.
a) Régime respectant les valeurs
démocratiques
Un régime démocratique moderne est nanti d'un
ensemble de mécanismes et d'exigences différents de ceux qui ont
été retenus pour expliquer la démocratie
athénienne. Il n'est plus
118 Ici, nous nous situons dans la même position que
Jean Rénol Elie, qui veut que le peuple soit plus proche du pouvoir,
in Participation, Décentralisation, Collectivités
territoriales en Haïti. Bibliothèque nationale, P-au-P, Mars
2008, p 63-75.
119 Castagnède Bernard, La politique sans
pouvoir, puf, 2007, p49.
***Aux yeux de Castagnède, cette fonction ne peut
être entre les mains de n'importe qui, mais entre les mains des
représentants élus. La loi est le reflet de la volonté
générale, elle doit être votée par les
représentants de la majorité.
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question d'un assemblage de textes théoriques
dépourvu d'application ou l'éloge d'un ensemble de valeurs dont
le respect est minime. Ce n'est pas non plus un régime de vingt mille
personnes dont douze milles sont des hommes citoyens pouvant participer
à la vie politique, et les autres sont écartés du champ
politique parce qu'ils n'ont pas la qualité de citoyen. Il est
plutôt un régime d'inclusion de plus de citoyens possible dans la
vie sociale et dans les sphères du pouvoir.
L'un des plus grands accrocs à l'implémentation
de la décentralisation dans ce pays à rêve
démocratique, en plus de l'absence de la volonté de
l'État, est un déficit de cadres administratifs compétents
existant dans les autres villes du pays. L'État doit procéder,
avant tout, à la formation des citoyens pour remplacer la
médiocrité par l'excellence, la corruption et la
malhonnêteté par l'intégrité, la
lâcheté par la bravoure. D'où un véritable processus
de décentralisation du pouvoir au profit de la collectivité.
Ce régime doit être pourvu d'un ensemble de
mécanismes pour le respect de la Constitution et de la loi, comme valeur
démocratique. Les règles constitutionnelles doivent être
d'application stricte. Les lois ne doivent pas être bafouées au
moment voulu. A titre d'exemple, nous pouvons considérer la violation
très récente et flagrante enregistrée le 24 Octobre 2011,
relative à l'arrestation du député en fonction Anel
Belizaire. Le corps des membres du parlement est inviolable du jour de leur
prestation de serment jusqu'à l'expiration de leur mandat. Les
parlementaires jouissent tous de l'immunité, c'est-à-dire qu'ils
ne sont pas l'objet d'arrestation pour les crimes de droit commun sauf en cas
de flagrant délit pour les cas emportant une peine afflictive et
infamante (art 115). Le côté politique de la question ne nous
intéresse guère mais l'arrestation d'un parlementaire doit se
faire dans le respect de la loi.
Les punitions pour les violations constitutionnelles doivent
être juridiques et non politiques. Toute violation juridique
nécessite une sanction juridique et non politique. A la politique de
sanctionner les violations politiques mais au Juridique de réglementer
ou de sanctionner les pratiques illégales ou non-juridiques.
En somme, ce régime politique doit se préoccuper
de la participation active du citoyen dans la prise de décisions
politiques dont la première possibilité est les élections.
Un représentant peut
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être légal sans être légitime et
tout pouvoir, dans un État moderne, doit être à la fois
légal et légitime. Le non-respect de la loi comme boussole
conduit à une entité chaotique ingouvernable.
b) De l'encadrement du régime
souhaité
Le parlement ne serait plus un organe fondamentalement
négociateur, mais toujours est-il, nous n'écartons pas la
possibilité que ces deux pouvoirs établissent des relations
réciproques. Le Président pourrait toujours utiliser son droit de
veto sur les lois votées par le parlement, et celui-ci peut toujours
mettre en accusation le Chef de l'État en cas d'abus de pouvoir sur une
question donnée, et le pouvoir judiciaire serait normalement l'organe de
contrôle principal des actes de ces deux pouvoirs. Les membres du pouvoir
judiciaire seraient nommés par le Président sur une liste
envoyée par le parlement en consultation avec les conseils communaux et
départementaux. Passé le délai de trois mois sans faire
ces nominations, l'assemblée nationale serait de plein-pouvoirs de le
faire à sa place sur une majorité aggravée ou
surqualifiée.
La fortification de ce régime politique en Haïti
nécessite un système de partis dynamique. Le système de
partis réduit au système de clans doit tirer sa
révérence pour faire place à un système constant et
dynamique. Dans une démocratie, limiter le nombre de partis n'est pas
recommandé. Mais, la Constitution doit établir les grands
principes concernant la naissance d'un parti politique. Et chaque parti doit
être le véhicule de transport de formation juridique de ses
membres et non pas porteur d'un discours démagogique conjoncturel.
Un parti politique doit atteindre un certain niveau
d'âge avancé et de maturité avant de participer aux
élections législatives et présidentielles. Un parti
politique a un rôle très important à jouer dans un
régime politique. La majorité que demande la Constitution pour
voter une loi ou ratifier une convention doit être issue d'un parti ou
plusieurs partis politiques. Donc, ces derniers doivent avoir juridiquement une
certaine maturité, soit 5 ans ou dix ans d'existence.
Il est anormal, de se sentir bien dormir un soir, de se
réveiller dans la matinée et décider de camper un parti
politique sans objectif aucun et sans avoir la prétention de respecter
les valeurs démocratiques. On ne peut décider de faire un parti
politique sans connaître en réalité son rôle qui
n'est pas uniquement la prise du pouvoir. Les partis jouent un rôle
multiple dans la vie politique. Ils sont le moteur qui fait atterrir ou
respecter le principe de la séparation des pouvoirs.
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L'on peut même dire que le degré de
séparation des pouvoirs dépend beaucoup plus du système de
partis que des dispositions constitutionnelles.
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