Considerations historico-juridiques sur le regime politique haitien( Télécharger le fichier original )par Jhensly Endy Frederic Faculte de Droit et des Sciences Economiques, UEH - Droit 2014 |
Chapitre ILes premières tentatives d'institutionnalisation du pouvoir politique Dans l'antiquité et dans les monarchies, le pouvoir a été d'origine divine et n'a pas été constitué, c'est-à-dire qu'il n'a pas été institutionnalisé. Ce qui laisse entendre qu'il a été l'affaire d'un détenteur unique. Le Roi pouvait l'utiliser à son bon vouloir, dans certains pays. En Haïti, nous avons connu, en ce sens, des Généraux en chef, des Empereurs, des Présidents et Présidents à vie. Quand on assiste au cas où le pouvoir est détenu par un seul, cette autorité unique est à la fois juge et partie disant, ce qui est prohibé ou pas, celui qui a tort ou pas. Ou encore, elle décide, de son propre gré, de la vie ou de la mort d'un individu et enfin, elle jouit de toutes les prérogatives. Lequel détenteur n'a de comptes à rendre à personne, car il est le seul dans son royaume, il fait ce qui lui semble bon au bénéfice de ses insatiables aspirations. De là étant, les auteurs contractualistes n'ont pas cessé de théoriser sur la question et ont demandé à ce que le pouvoir soit partagé. De Locke passant par Rousseau jusqu'à Montesquieu, pour ne retenir que ceux-là, ont recommandé à ce que le pouvoir soit distribué entre plusieurs organes étatiques. La théorie de la séparation des pouvoirs est comprise comme étant un principe de division technique du travail étatique40. Elle est le socle du fonctionnement des États démocratiques. Toute dépersonnalisation ou institutionnalisation du pouvoir ne peut être possible que dans les États à bases démocratiques. La théorie démocratique exige que chaque pays soit doté d'une constitution pour assurer la garantie des droits, pour délimiter les actions des dirigeants. Aussi, toute constitution doit-elle agencer d'une certaine manière la relation entre les trois pouvoirs afin qu'ils servent de contrepoids l'un pour l'autre. Du coup, toute concentration des trois fonctions de l'Etat entre les mains d'un seul organe est condamnée. Le respect de ces garanties constitutionnelles est accepté comme un principe fondamental dans les démocraties. En voulant condamner certaines conduites en Haïti, la distribution du pouvoir a fait l'objet de plusieurs constitutions. Celle de 1950, faisant partie intégrante de ce travail, a instauré des organes qui pouvaient assurer, en quelque sorte, le principe de la séparation des pouvoirs. Ce texte fondamental n'a pas été, comme toute création humaine, une oeuvre parfaite parce qu'elle 40 Zarka Jean Claude, Introduction au Droit Constitutionnel, 4e éd., ellipses, Toulouse, France, p91. 23 avait ses faiblesses et ses lacunes. Toutefois, le mode de relation entre les organes laisse la possibilité de classer cette Constitution parmi celles qui avaient la prétention d'instituer un pouvoir politique à présomption démocratique (Section I). Par contre, avec l'évolution de la dynamique, le pays va connaitre la Constitution de 1957, laquelle constitution va reformater certaines institutions, ce qui a abouti à un commencement de la personnalisation du pouvoir politique au cours de la période post 1950 (Section II). Section I.- De la présomption d'un pouvoir démocratiqueNous voulons le répéter haut et fort que Haïti, depuis 1801, fonctionne sur la base des constitutions41. Chacune, est porteuse d'un idéal ou, a une autre façon de concevoir le partage du pouvoir. Nous dirions que les dirigeants d'alors recherchent un bonheur difficile à trouver et qu'ils sont obligés d'essayer d'accommoder la charte fondamentale à leurs visions. Une vision qui convoite généralement, à notre avis, à conserver le pouvoir puisque dans la majorité des cas, mis à part la Constitution de 181642, toutes les autres n'ont pas eu une longue vie. Toujours est-il, les plus grandes modifications sont portées sur les attributions et les compétences du Chef de l'État. Cela ne nie toutefois, dans certains cas, le mode d'accession des titulaires aux postes de l'Exécutif et du Législatif, ce qui est très déterminant dans la nature du régime politique. L'ensemble des ajustements et suppressions faites des constitutions haïtiennes jouent d'office sur le principe de la séparation des pouvoirs. La garantie de la bonne gestion du pouvoir ne peut être assurée que par sa dépersonnalisation, car l'essence même d'un régime démocratique se trouve dans l'organisation et la répartition du pouvoir. Les règles de la démocratie ne permettent pas à un seul homme d'incarner tout le pouvoir, si oui, ce cas est le propre des régimes tyranniques. Le principe de la séparation du pouvoir n'a pas eu sa naissance sur le terroir haïtien mais les dirigeants ont partagé l'idée que le pouvoir ne peut être concentré entre les mains d'une seule personne. Ce qui est paradoxal, chacun des dirigeants aimerait, quand il est au pouvoir, que sa 41 Nous avons dit « sur la base des constitutions» parce que chaque nouveau groupe, qui arrive au pouvoir, soit par conséquences d'un coup d'état ou autres, estime que tel ou tel organe a plus de pouvoirs que l'autre ou le pouvoir Exécutif en manque et décide de faire écrire une nouvelle constitution. 42 La Constitution haïtienne de 1816 a duré 26 ans. L'on dit qu'elle a été la révision de celle de 1807 à petit-goâve en date du 2 juin 1816. A notre avis, c'est incompréhensible parce que le pays a connu entre temps la constitution de 1811, on aurait pu réviser cette dernière. Donc, c'est une constitution toute neuve car celle de 1807 était despotique. 24 volonté commande car les actions sont posées unilatéralement et ne sont pas responsables de leur gestion, n'ont ni de comptes à rendre à personne. Quand ces genres de situations se présentent, les détenteurs utilisent des groupes d'orchestrateurs, généralement l'armée, pour donner une sorte de légitimité à leurs actions et pour les maintenir toujours à la plus haute fonction de l'État. La principale caractéristique de ces situations est le refus des dirigeants de soumettre leur pouvoir au contrôle43. Ils sont à la fois juges et parties de leurs actions. Sous la présidence de Dantès Bellegarde, l'assemblée constituante des Gonaïves a voté, le 25 novembre 1950, une constitution démocratique44 garantissant les droits et libertés du peuple haïtien. À la tête du pays se trouve Franck Lavaud, Président du Comité militaire exécutif provisoire qui a publié cette constitution annonçant la couleur. De nouvelles clauses plus ou moins démocratiques ont vu le jour pour la première fois en Haïti. Parmi lesquelles, les modalités d'accéder institutionnellement au pouvoir en Haïti peuvent être citées (A). Surgit aussi la possibilité de parler d'alternance politique. Cette dernière, le propre des régimes démocratiques, veut assurer la substitution des acteurs au pouvoir par le biais d'élections régulières. Cette constitution, voulant divorcer avec une suite de pratiques, a prévu dans sa lettre et à sa manière, le mode de collaboration et de contrôle du pouvoir Exécutif par le Législatif et vice-versa (B). A.- Une institutionnalisation en gestationDepuis bon nombre de temps, soit après certaines révolutions à portée mondiale, le pouvoir politique est devenu en effet la chose publique, l'affaire du peuple. Et c'est avec la naissance de la démocratie représentative que l'institutionnalisation du pouvoir allait avoir son pesant d'or. Les doctrines élaborées sur la représentation politique obéissent toutes à cet accord : il existe un souverain, distinct des gouvernants, mais qui ne peut exercer le pouvoir lui-même. Haïti a choisi, dans une logique d'institutionnalisation du pouvoir, la voix élective pour se doter des représentants en 1950. L'élection implique la représentation politique, caractéristique essentielle de la démocratie représentative, gouvernement des modernes. Elle engendre la notion de mandat représentatif, outil permettant de sanctionner les mauvais dirigeants. Et l'objectif 43 Zarka Jean-Claude, op cit. p125. 44 Ainsi lisons-nous dans le préambule de la Constitution de 1950. 25 même de la représentation est de rendre possible la stabilité de la démocratie. Elle veut assurer une plus large participation possible du citoyen à la sphère du pouvoir, ce afin de compter sur un point d'appui à la fois pour faire avancer leurs revendications et de résister aux tendances du pouvoir en place. L'une des conditions de réalisation de la démocratie est la participation du peuple à l'exercice du pouvoir politique lors d'élections périodiques et concurrentielles où le citoyen est libre de choisir le candidat dont il apprécie le programme. La démocratie représentative est justement une façon pour le peuple d'exercer le pouvoir parce que l'idéal démocratique veut que l'exercice et la jouissance d'un certain nombre de droits soient attribués à la personne humaine45. Dans cette lignée, la Constitution de 1950 proclame qu'Haïti est une République démocratique (Art 1er). Quoique les autres constitutions, elles aussi, fassent cette mention mais une lecture entre les lignes permettra de saisir la quintessence de ce caractère démocratique prôné par le texte de 1950. Ce dernier établit de nouvelles règles constituant un embryon d'institutionnalisation. Cette nouvelle façon de concevoir le pouvoir politique a voulu couper court avec le passé. Dans cette perspective, on aimerait que le peuple soit le détenteur principal du pouvoir. Du coup, il lui revient le droit de choisir les personnes auxquelles il veut en attribuer l'exercice. a) De l'élection au suffrage universel L'élection au suffrage universel est perçue comme le mode supérieur de désignation des gouvernants car elle suppose même un acte de volonté du citoyen qui doit jouir de ces droits civils et politiques. Dans le cadre de la Constitution de 1950, le pouvoir de faire des lois pour la bonne marche de l'État a été délégué à deux chambres représentatives : une chambre des Députés et un Sénat formant le corps législatif (Art 35). Ce dernier incarne la représentation nationale. Il représente le peuple, car il lui est le plus proche, dirions-nous. Tout membre de la chambre des Députés doit avoir 25 ans accomplis (Art 37). Cette Constitution va jusque-là prévoir même les modalités de remplacement d'un Député démissionné, déchu, interdit judiciairement, radié ou nommé à un poste incompatible avec celui 45 Guillaume - groupe Durruti (Lyon), La démocratie participative ou l'art d'absorber la contestation sociale, disponible sur http://kropot.free.fr/demopart.htm (consultée le 15 février 2014). 26 du Député. Pour le Sénat, il est clair que la loi a fixé le nombre des Sénateurs par département et tout membre doit être âgé de 35 ans accomplis. Les modalités de remplacement d'un Député sont aussi valables pour un Sénateur se trouvant dans les cas cités plus haut. Ensuite, le pouvoir Exécutif est exercé par un citoyen, ce qui exclut d'office ceux qui ne jouissent pas de cette qualité. Il reçoit le titre de Président de la République, élu pour six ans avec un mandat non renouvelable immédiatement (Art 76). Le Président doit être élu et pour l'être, l'aspirant doit être âgé de 40 ans. Et les modalités sont encore plus compliquées en ce qui a trait à la nationalité haïtienne. Quand on parle d'élection du Président, selon la Constitution de 1950 en ses articles 88 et suivant, il est important de se référer aux suffrages directs et à la majorité relative des voix exprimées par les électeurs de toutes les communes de la République. Ici, l'accent est mis sur le peuple comme le principal détenteur de la souveraineté nationale. En tant que tel, il choisit directement et le Chef de l'Exécutif et les membres du corps législatif. Et dans cette lignée, cette Constitution a carrément rompu avec les modalités d'antan de pourvoir à la magistrature suprême de l'État haïtien. b) A l'esquisse d'une réforme du pouvoir Dans la logique d'une réforme du pouvoir politique, la Constitution de 1950 donne des attributions claire et nette à trois pouvoirs : le Pouvoir Législatif, le Pouvoir Exécutif et le Pouvoir Judiciaire formant le Gouvernement de la République46, lequel est essentiellement civil, démocratique et représentatif. Premièrement, la (civilité) tient du fait que les constituants ont voulu démilitariser le pouvoir. L'histoire politique haïtienne a montré que, depuis Salomon, il n'y avait qu'un seul civil qui a pu se hisser à la plus haute magistrature de l'État haïtien. Le pouvoir d'alors était plutôt l'affaire des Généraux de l'armée. Dans un processus de réforme, la constitution de 1950 vise à obtenir la participation de la population à la sphère du pouvoir par le choix des dirigeants qui peuvent être aussi des civils. Etant donné que chaque personne détient une parcelle de souveraineté dont la totalité conduit à celle de la nation, par la voie des urnes, chacun doit trouver la manière la plus parfaite d'exprimer son choix en faveur de celui dont les aspirations lui sont les plus proches. 46 Art 33 de la Constitution haïtienne de 1950. 27 Deuxièmement, la démocratisation s'explique par le fait que le pouvoir va arrêter le pouvoir par son institutionnalisation. Un pouvoir peut faire contrepoids aux actions et aux décisions d'un autre pouvoir toutefois que les actes ne sont pas conformes à ce que dit la loi. Troisièmement, la représentativité vient du fait que les dirigeants sont mandatés par le peuple. Autrement dit, le peuple s'autogouverne. Il participe à l'élaboration des lois et à la prise des décisions par l'entremise de ses mandatés. Le choix des représentants est le pilier sur lequel repose cette réforme amorcée par la Constitution de 1950. Il s'agit, de ce fait, d'un processus d'institutionnalisation. L'État ne s'improvise pas selon le voeu d'une seule personne mais selon les écrits qui restent et font preuve. Tout membre du pouvoir, selon la Constitution de 1950, doit être issu d'élection considérée comme l'acte médian à la participation du citoyen dans le choix des gouvernants. Cette caractéristique est fondamentale pour la démocratie. |
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