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Piraterie ou contrefaçon des oeuvres musicales: facteurs explicatifs, modes opératoires et impact sur les artistes-musiciens à  Yaoundé

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par Joel Christian NKENG à NKENG
Université de Yaoundé 1 - Master 2 en Sociologie 2010
  

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III.1- Une crise multidimensionnelle

De l'analyse qui précède, il ressort que le corps social camerounais est traversé par de nombreuses crises, dont le nombre est révélateur de l'ampleur du malaise observé au sein de cette société. Nous allons nous limiter à évoquer quelques aspects saillants de cette crise que nous choisissons au hasard, afin d'illustrer notre propos. Il s'agit notamment des phénomènes tels que : l'homosexualité, la corruption et la prédation généralisée, puis les faux diplômes, qui sont les modèles les plus représentatifs, et qui écornent sérieusement l'image de notre pays.

a)- L'homosexualité

Le phénomène de l'homosexualité en Afrique en général et au Cameroun en particulier, restait jusqu'à il y a quelques années, encore mal connu et largement marginalisé. Dans ces sociétés, dans une large mesure, l'homosexualité était déniée. Comme argument, on faisait appel au « Vide conceptuel » (JEAY, cité par GUEBOGUO)187(*) et linguistique qui est constaté au niveau des langues locales, pour ce qui est de la qualification même de l'homosexualité, puisqu'on ne peut « se sentir quelque chose dont on n'a pas le mot » (JEAY, Idem, p.64). Bien que très peu étudié, le phénomène de l'homosexualité n'en est pas moins une réalité indéniable au Cameroun. Charles GUEBOGUO en faisait déjà le triste constat. Selon lui : « L'homosexualité au Cameroun ne relève pas du mythe, c'est une réalité observable. Les homosexuels forment aujourd'hui au Cameroun, une sorte de communauté plus ou moins cohérente, ils ont leur propre marché sexuel...» 188(*) . Cette pratique sexuelle n'est pas toujours en accord avec « l'imaginaire social et ses moeurs, ses règles et ses lois ...»189(*). C'est sans doute pour cette raison que le regard de la société face à l'homosexualité est désapprobateur et hostile. La société n'ouvre pas spontanément ses bras aux individus ayant une telle orientation sexuelle. A ce niveau, la société est très souvent inquiète, et ce qui l'inquiète, c'est la transgression de la loi, la multiplication des partenaires, mais aussi la sodomie (paedicatio) selon AGACINSKI190(*). C'est HENDIN qui, longtemps avant, résumait cette situation sociale des plus sévères, par ces propos :

«Certainly the pain and suffering experienced
by homosexuals is partly the outgrowth of
social disapproval, repression, and discrimination».191(*)

L'activité homosexuelle est condamnée par le code pénal camerounais, dans l'article 347 bis. Il y est clairement stipulé qu'est puni d'un emprisonnement de 6 mois à 5 ans et d'une amende de 20 000 à 200 000 FCFA, toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe.

Au Cameroun, ce phénomène s'est véritablement révélé sous la forme de rumeurs, notamment celle faisant état des joueurs d'une certaine équipe de football camerounais très réputée, qui seraient homosexuels dans le sens africain du terme, c'est-à-dire qu'ils sont, officiellement mariés avec des femmes, mais ils entretiendraient officieusement des rapports homosexuels réguliers avec les individus de même sexe qu'eux. Il y a aussi cette rumeur qui annonçait qu'un ancien ministre de la République aurait été surpris en flagrant délit d'homosexualité avec un diplomate étranger. Cette information a été relayée par de nombreux journaux. Qui plus est, un haut responsable d'une certaine grande école du pays, avait été présenté comme étant amateur de jeunes garçons ayant la particularité d'être « bien montés ». Un député de l'Assemblée nationale camerounaise, serait régulier dans une vente à emporter, qui sert également de lieu de rendez-vous aux pédés. L'expression «promotion canapé » très répandue au pays, renvoie à l'idée selon laquelle une femme, pour avoir une promotion au sein d'une entreprise donnée, doit nécessairement coucher avec son ou ses patrons. Au Cameroun, il était désormais établi que cette promotion particulière avait pris un caractère homosexualisant.

Les hommes n'en sont plus à l'abri. Charles GUEBOGUO, dans son mémoire de Maîtrise, estime que l'homosexualité au Cameroun est une activité qui s'inscrivait exclusivement dans les cadres rituels ou dans les cadres initiatiques, car elle n'était pas perçue comme un autre moyen de vivre la sexualité dans un groupe, puisque ce moyen était stérile, improductif. Or, en Afrique l'un des buts ultimes de la sexualité, c'était la reproduction sans laquelle le groupe social ne pouvait se perpétuer. Mais, cette vision des choses a été dépassée au point qu'aujourd'hui, au Cameroun, l'homosexualité n'est plus manifestée ou vécue dans un cadre rituel, donc fermé à tout intrus, exception faite de certains milieux ésotériques. Au contraire elle se manifeste de manière de plus en plus visible. Elle est devenue pour certains un signe qui garantit une ascension sociale, un moyen de sortir de la misère, une activité faite par mimétisme (à travers l'influence médiatique) et une sorte de légitimation à travers l'attitude des détenteurs du pouvoir qui apparaît comme laxiste.

Au Cameroun, depuis quelques années, le discours sur l'homosexualité a été rendu sur la place publique. Quelques journaux de la place (La Météo, L'Anecdote, Nouvelle Afrique) avaient même poussé l'outrecuidance jusqu'à publier dans leurs colonnes respectives, des listes de personnalités (ministres, hommes d'affaires et autres artistes) qui sont, selon eux, homosexuelles.

Voilà donc un phénomène repréhensible qui prend véritablement corps et prospère dans notre société. Son évocation nous rappelle l'exemple biblique de la ville de Sodome et la cité voisine de Gomorrhe, dans lesquelles le péché était énorme et où les habitants vivaient une vie aux moeurs condamnées par la morale religieuse, en pratiquant notamment la sodomie et l'homosexualité. L'évocation des exemples qui précèdent et qui sont en rapport avec ce phénomène, permet de soutenir l'idée selon laquelle notre société vit un véritable drame. Toutefois, en marge de l'homosexualité, d'autres phénomènes méritent d'être aussi évoqués pour montrer l'ampleur de la décrépitude des valeurs morales au Cameroun.

b)- La corruption et la prédation généralisée

L'un des discours les plus actuels au Cameroun est incontestablement celui de la lutte contre la corruption et le détournement des deniers publics. Thèmes hautement à la mode, la corruption et le détournement des deniers publics sont très accentués dans notre société, et leur ampleur a souvent valu au Cameroun les critiques les plus acerbes de la part de la Communauté internationale.

Parlant des détournements de fonds, les services du Contrôle supérieur de l'Etat estiment à plus de 1.845 milliards de F Cfa, le montant total des distractions des deniers publics opérées entre 1998 et 2004, soit 300 milliards par an192(*). Le constat est implacable. Cette somme est bien proche du montant du budget de l'Etat pour l'exercice 2006 qui s'élevait à 1 861 milliards F Cfa. Les statistiques avancées par cette institution se fondent sur quarante et une missions effectuées par ses agents auprès des collectivités territoriales décentralisées, des organismes publics et des entreprises publiques, en l'espace de six années. Celles-ci ont permis de déceler des irrégularités préjudiciables à la fortune publique, et qui peuvent se résumer comme suit : distraction des fonds ; violation de la réglementation dans la passation des marchés publics ; livraison partielle ou fictive ; déficit de caisse ; cession irrégulière ou distraction des biens meubles de l'Etat ; engagement des structures de l'Etat dans les dépenses manifestement ruineuses ; octroi des avantages indus ; surfacturation ; certification des états financiers dont certaines prestations se sont avérées fictives dans les entreprises publiques ; non reversement à la Cnps des cotisations sociales ; recrutements irréguliers du personnel ; non prélèvement ou non reversement des impôts et droits de taxes par les gestionnaires de fonds publics ; dépassements non autorisés des crédits budgétaires ». Cette situation justifie parfaitement la détermination des autorités à éradiquer ces comportements asociaux, à travers des sanctions sévères prises au cours des derniers mois à l'encontre de ces nombreuses personnalités suspectées de crime économique. C'est ce qui a été baptisé « Opération épervier ». Par ailleurs, s'agissant de la corruption, elle est définie selon l'Ong Transparency International, comme étant « l'abus de pouvoir à des fins d'enrichissement personnel »193(*). Abondant dans le même sens, AYISSI, L. pense que : « Il y a corruption lorsqu'un individu place de manière illicite ses propres intérêts au-dessus de ceux des gens et des idéaux qu'il s'est engagé à servir (...) Elle fleurit dans le secteur privé comme dans le secteur public »194(*).

Pendant deux années consécutives, l'organisation Transparency International a signalé par deux fois le Cameroun comme le pays ayant le plus grand indice perceptible de corruption. La pluralité des noms servant à désigner la corruption témoigne bien de son importance : Gombo, bière, taxi, carburant, tchoko, motivation, etc. Et les nombreuses métaphores utilisées pour l'illustrer, ainsi que sa caractérisation, sont évocatrices de sa monstruosité : Pour MONO NDJANA, H. « C'est une pandémie, comme la peste jadis racontée par CAMUS »195(*). Pour d'autres, « la corruption est un fléau à combattre ; la corruption tue, c'est une épidémie sociale qu'il faut éradiquer, c'est une conduite à la fois illégale et immorale, etc. ». A tous les niveaux de l'Etat, les fonctionnaires seraient corruptibles. L'ancien Ambassadeur des États-Unis au Cameroun, Niels MARQUARDT, jetait le pavé dans la marre, lorsqu'il dénonçait publiquement ce phénomène sévissant au Cameroun en ces termes : « Les actes de corruption sont devenus si communs et si banals que certains observateurs se demandent si le sens du mot corruption a une connotation différente au Cameroun » 196(*). Le phénomène paraît normal, puisque certains camerounais estiment que la corruption est entretenue par ceux-là même qui incarnent les institutions publiques, comme pour dire que « l'exemple vient d'en haut ». Dans la vie courante, les exemples sont nombreux : Les contrôles de police où les conducteurs sont parfois obligés de payer des pots-de-vin ; des usagers souvent obligés de « mouiller la barbe » de certains fonctionnaires dans les ministères pour voir leurs actes d'avancement, de titularisation et autres dossiers aboutir, etc.

TABLEAU 5 : Indice de perception de la corruption au Cameroun

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Année

1997

1998

1999

2001

2002

2003

2004

2005

2008

2009

IPC

Non classé

1,4

1,5

2

2,2

1,8

2,1

2,2

2,3

2,2

Classement

Non classé

85/85

99/99

84/91

89/102

124/133

129/145

137/158

138/163

146/165

Source : www.transparency international.org

Le coût de la corruption est très élevé et cause un énorme préjudice à notre pays. Selon Christol Georges MANON, Président de l'Observatoire de lutte contre la corruption au Cameroun, 40% des recettes enregistrées chaque année ne servent pas le développement, à cause de la corruption. Plus précisément, il affirme que : « l'État du Cameroun perd en moyenne par an 400 milliards de francs CFA à cause de la corruption »197(*) . Comme le pense si bien AYISSI, L. : « la pauvreté morale des citoyens qui croyaient pouvoir augmenter leur être par une corruption prédatrice, entraîne la pauvrté matérielle de l'Etat et introduit dans le vivre-ensemble des ruptures sociologiques définies par l'insécurité »198(*).

Au demeurant, il faut dire que la corruption qui sévit dans notre société tire son origine de la mentalité de cette société, fondée sur l'idéologie de la politique du ventre qui soumet toutes les ressources de la société à la prédation généralisée. Selon Lucien AYISSI, qui a redigé « un parfait traité de corruptologie dans lequel il retourne et explore le phénomène sous toutes ses facettes 199(*)», pour reprendre MONO NDJANA, H. qui signe la préface de cet ouvrage, la corruption est synonyme de « pourriture ». Ainsi, l'auteur affirme :

« Lorsque la corruption des pouvoirs publics est si endémique qu'elle affecte la justice, les forces de l'ordre et toute la gouvernance, l'Etat apparaît comme un système maffieux. Il règne la spéculation de l'argent sale, les rackets et la spoliation des droits individuels. Un Etat aussi institutionnellement charançonné, motive le développement de toutes sortes de délinquance et de criminalité »200(*).

Il identifie les causes de ce phénomène comme étant d'ordre psychologique, moral, socio-politique et économique. Pour lui, la corruption pose un problème politique d'abord, parce qu'elle remet en cause « la légitimité du pouvoir politique au sein duquel elle a cours »201(*). Ensuite, elle est un problème moral, parce qu'« elle est assortie du risque de déchéance totale de l'homme, aliéné que son vouloir est, par ses appétits, dans cette pratique vicieuse et avilissante »202(*). Enfin, elle est un problème social, parce qu'« elle existe en marge des principes ou des lois civiles qu'elle enfreint cyniquement ou qu'elle nie carrément. La société ne peut que dysfonctionner si le cynisme s'érige en son sein en code normatif de conduite »203(*). Et AYISSI, L. de s'intérroger : « L'espoir est-il encore permis lorsque la corruption endémique entretient la misère dans les consciences des citoyens et problématise le développement de l'Etat et de l'homme ? »204(*). On perdrait davantage espoir, lorsqu'on évoque cet autre phénomène de faux et usage du faux qui est sous les feux de l'actualité ces dernières années.

c)- Faux diplômes et faux âges

Un nouveau phénomène s'est révélé au Cameroun ces dernières années. Il s'agit de la propension des camerounais à faire usage de faux diplômes pour s'insérer dans le monde professionnel. Tout est parti de l'opération de contractualisation du personnel temporaire de l'Etat en service au ministère de la Fonction publique et de la réforme administrative. L'opération a connu des lenteurs dans ce ministère parce qu'il fallait au préalable vérifier l'authenticité des diplômes des 11.000 temporaires éligibles à la contractualisation. Les vérifications faites ont permis de démasquer près de 974 faux diplômes sur un total de 4 981 dossiers examinés. Ce travail d'identification était fait par le Comité ad hoc mis sur pied par le ministère pour l'authentification des diplômes. On se souvient qu'à la Gendarmerie nationale, 102 élèves gendarmes avaient été révoqués de ce corps pour y avoir accédé avec de faux diplômes et de faux actes de naissance. Il y a aussi l'exemple de cet homme détenteur du Bepc qui vendait, il y a longtemps de cela, des vivres au marché de Mokolo à Yaoundé. Un beau jour, il disparaît et réapparait trois ou quatre ans plus tard détenteur d'un Doctorat en Droit d'une université française. Grande avait été la surprise de ses condisciples du secondaire quand ils ont appris un jour dans les ondes qu'il avait été nommé Directeur dans un ministère. L'intéressé jouit aujourd'hui de sa retraite depuis quelques années.

On peut citer à l'infini ces cas de faux diplômes avérés qui ont défrayé la chronique. A la vérité, est considéré comme faux diplôme, tout document qui n'est pas authentique, c'est-à-dire qui n'a pas été délivré par une institution dans laquelle l'élève ou l'étudiant a été formé. Généralement, les réseaux de faux diplômes sont très bien organisés et huilés. Ces réseaux sont présents au sein et autour des universités. L'Université de Yaoundé I à Ngoa Ekelle reste une grande base opérationnelle. C'est ainsi que, dans les mini-cités, les cybercafés, les secrétariats informatiques, on peut trouver tout ce dont on a besoin : Baccalauréat, Licence, Maitrise, tout y passe. Et les prix varient en fonction du faussaire et même parfois de la qualité du produit. II y a même des réseaux au sein des structures officielles. C'est ainsi qu'un réseau très puissant a fonctionné au sein de l'actuel ministère des Enseignements secondaires. Ce réseau proposait des baccalauréats à 200.000 FCFA, ainsi que des Probatoires et des Bepc. Il était si bien organisé que celui qui s'y était procuré un Baccalauréat n'avait aucune inquiétude si une université étrangère appelait pour s'assurer que le postulant camerounais était bel et bien détenteur dudit diplôme. C'est que les faussaires de ce réseau avaient réussi à pénétrer le système informatique du ministère et à y intégrer les coordonnées, les références du « vrai-faux » Baccalauréat. En dehors des réseaux locaux, un grand nombre de nos compatriotes détiennent de faux diplômes qu'ils rapportent de l'étranger, surtout des Doctorats ou des diplômes d'Ingénieur.

S'agissant des faux âges, la situation est bien cocasse. Nous prenons ici plusieurs cas pour montrer que la situation est grave. Lors d'un recrutement dans nos Forces armées, un candidat s'écroule au cours de l'épreuve de course. II aurait pu mourir, n'eût été la prompte intervention des médecins militaires qui étaient présents. Au cours de l'interrogatoire, le malheureux candidat avait déclaré être âgé tout au plus de 22 ans. Mais l'ayant examiné minutieusement, le médecin déclara qu'il était âgé d'une trentaine d'années. Il fut reconnu d'ailleurs par certains candidats de son quartier comme n'étant pas l'adolescent dont il voulait se faire passer.

Le cas le plus criard en matière de manipulation de l'âge en notre connaissance reste celui d'Hénoch MESSONG Me MVOU dont le fils avait pris la retraite avant lui. Ce vieillard avait incontestablement "coupé", comme on le dit en langage vulgaire au Cameroun, au moins 20 ans sur son âge réel. Ceci nous renvoie également au cas du Général James TATAW TABE né officiellement en 1933, la même année que le président Paul BIYA, mais à la seule différence que le Général a fait son premier enfant, un garçon en 1945, soit à l'âge de 12 ans. Avouons tout de même que c'est très flagrant, car à cet âge très peu de jeunes filles sont en mesure de procréer. Le problème des faux diplômes et faux âges est réel. Il gangrène la société à tous les niveaux, des hautes sphères de la République jusqu'aux bas-fonds de nos villages et villes. Si l'Etat et le gouvernement s'y mettent vraiment, ils peuvent l'éradiquer. Mais, y a-t-il la volonté politique nécessaire ?

A travers l'évocation de quelques phénomènes qui entravent sérieusement le fonctionnement normal de la société camerounaise (la liste est loin d'être exhaustive), nous pouvons conclure que cette société présente un visage malsain. C'est une société qui connait une crise permanente qui s'accentue au fil des années, car lorsqu'on érige « l'éthique marchande en absolu, au point que tout doive se vendre (plaisirs, organes, talents, sacrements, etc.) »205(*), lorsque notre société devient ``un méga-marché''206(*), lorsque l'homosexualité tend à devenir un modèle sexuel normal, lorsque l'on arrive même à renier son âge, alors, une telle société tend vers la décadence. Dans un tel contexte marqué par une crise généralisée, la culture camerounaise ne pouvait pas être épargnée.

En effet, celle-ci traverse des moments d'incertitude et connaît en ce moment un tumulte qui nécessite une attention soutenue des autorités du pays. A titre d'illustration, la musique camerounaise s'est vampirisée en faisant du sexe son thème majeur et de l'obscénité l'un des critères saisissants de sa pérennité. Pendant que certains artistes-interprètes camerounais transgressent allègrement les valeurs morales dans leurs différentes chansons, la situation du droit d'auteur n'est guère reluisante. Les sociétés de gestion collective des droits d'auteur et des droits voisins ont plongé dans la tourmente et l'incertitude, du fait de la prédation, de l'insouciance des personnes qui ont en charge leur gestion au quotidien et qui pêchent par une mal gouvernance. La conséquence logique en est qu'aucune répartition des droits des artistes ne fait plus l'unanimité ; les artistes ne perçoivent pas la juste rétribution de leur génie ou de leur créativité, et sont confinés dans une précarité inquiétante, marginalisés ou exclus d'une société qui devrait pourtant leur assurer protection et sécurité.

Au demeurant, cette crise des valeurs morales a généré une délinquance qui, associée aux effets pervers de la crise économique et du développement des TIC, a instauré une sorte de jungle sociale où les auteurs et autres artistes-interprètes perdent totalement la liberté qu'ils accusent sur leurs créations musicales ou leurs prestations, face aux produits de la contrefaçon. Cette crise qui affecte la société camerounaise en général et qui a un rapport étroit avec l'affaiblissement des normes sociales, aurait sans coup férir, favorisé une inadéquation entre les demandes des acteurs sociaux et ce que peut leur proposer leur société. Il s'en suit alors que les individus tournent pour la plupart, leurs centres d'intérêt vers des manières de faire, de sentir et d'agir pouvant leur permettre de résister, de faire face ou de s'extirper de cette crise économique aux effets dévastateurs. Cette situation exprime une sorte de relâchement du contrôle social qui, bien que sanctionnant la piraterie à travers la législation en vigueur pourtant bien étoffée, n'aboutit pas toujours à des condamnations qui permettraient de dissuader les contrefacteurs. C'est précisément cette crise multidimensionnelle que NGA NDONGO, V. évoque, lorsqu'il affirme :

Décrépitude des valeurs morales, crise des certitudes et des repères moraux, crise d'identité, crise de la pensée, crise de l'action, caractérisent le Cameroun d'aujourd'hui, par delà le marasme économique et l'agitation politique. C'est donc cette crise qu'il conviendrait d'analyser dans ses fondements et sous ses diverses dimensions (...).207(*)

A travers notre étude, c'est précisément l'une des nombreuses dimensions de cette crise que nous abordons. Les camerounais, comme nous pouvons le constater à travers les exemples évoqués plus haut, font de plus en plus « recours à des modèles qui se situent à la marge de ce qui est permis ou en dehors de ce qui est permis »208(*), dans leurs comportements quotidiens. Dans notre société, les contre-valeurs ont été érigées en valeurs fondamentales, et font déjà partie d'un « corpus culturel et mental » des camerounais. Ces contre-valeurs sont devenues un élément constitutif de la personnalité de base, de l'individualité de ceux-ci. Or, il est clair qu'il existe dans une certaine mesure, une psychologie des peuples, c'est-à-dire une manière d'être et de se comporter commune, dans ses grandes lignes, à tout groupe. C'est ce que la littérature appelle « l'âme des peuples ». Les anthropologues parlent de « personnalité sociale de base », où des modèles de personnalité se transmettent ou s'inculquent par les mécanismes de contrôle social (lois, institutions, morale, sanction, interdits) et la civilisation (le système éducatif, notamment). Sous l'action de diverses influences (histoire, institutions sociales, notamment le système politique, l'école, la famille, la tradition, la religion...), la corruption, l'usage du faux, et pour ce qui nous concerne, la piraterie des oeuvres musicales, ont été intégrés au modèle de personnalité du camerounais et constitue désormais un élément indissociable de la mentalité de celui-ci. Ce travail met donc en évidence l'existence d'un dérèglement social ou d'une anomie, ce symptôme pathologique qui contribue à faire de la piraterie un phénomène régulier et spécifique de la société camerounaise.

De ce qui précède, il appert que : « La mauvaise santé de la société camerounaise (...) est à rechercher dans un système en faillite, une société en crise »209(*), comme l'énonce si bien cette observation pertinente de NGA NDONGO, V. Cette prescription cruciale était déjà faite par DURKHEIM (1986) qui disait que : « C'est dans la nature de la société elle-même qu'il faut aller chercher l'explication de la vie sociale »210(*), car, ajoutait-t-il : « L'origine première de tout processus social de quelque importance doit être recherchée dans la constitution du milieu social interne »211(*). En d'autres termes, c'est la structure de la société considérée qui est la cause des phénomènes dont la sociologie veut rendre compte. Comment la culture camerounaise pouvait-elle donc être épargnée dans une telle société ?

* 187. GUEBOGUO, C., « Suicide et homosexualité en Afrique : Le cas du Cameroun », inédit.

* 188. GUEBOGUO, C., « Manifestations et facteurs explicatifs de l'homosexualité à Yaoundé et à Douala », mémoire de Maîtrise en Sociologie, Université de Yaoundé 1, 2002, 149p.

* 189. MENDES-LEITE, R., « La culture des sexualités à l'époque du SIDA : représentations, comportements et ... » in Homosexualités et SIDA, Lille, Cahiers GKC, 1991, p.152.

* 190. AGACINSKI, S., Politique des sexes, Paris, Seuil, 1998, pp.120-121.

* 191. HENDIN, H., The age of sensation, a psychoanalytic exploration, New-York, 1975, p.115.

* 192. L'information est relayée par le journal La Nouvelle Expression, dans un article de Valentin Siméon ZINGA, paru dans édition du 17 septembre 2007 et intitulé : « Fonds publics au Cameroun : près de 2000 milliards détournés en six ans ».

* 193.Transparency international, « Global corruption report 2007 », disponible sur le site: http://www.transparency.org/publications/publications/gcr.2007.

* 194. AYISSI, L., Gouvernance camerounaise et lutte contre la pauvreté. Interpellation éthiques et propositions politiques, Paris, l'Harmattan, 2009, p.28.

* 195. MONO NDJANA, dans la préface du livre de Lucien AYISSI (2009).

* 196. Mutations, Edition du 20 janvier 2006, p.3.

* 197. Samuel Ekoum est le Président de l'Ong camerounaise SOS Corruption.

* 198. AYISSI, L., Corruption et Pauvreté, Paris, L'Harmattan, « Collection Pensée Africaine », 2007, p.11.

* 199. AYISSI, L., Corruption et Gouvernance, (Préface), Paris, L'Harmattan, « Collection Pensée Africaine », 2008, p.3.

* 200.Idem, p.52

* 201. Idem, p.17.

* 202. Idem.

* 203. Idem.

* 204. Idem.

* 205. AYISSI, L., (2009), p.28.

* 206. Idem, p.28.

* 207. NGA NDONGO, V., Les médias au Cameroun : mythes et délires d'une société en crise, Yaoundé, PUY, 1993, p.214.

* 208. Guy Rocher, op.cit., p.66.

* 209. Ibidem.

* 210. DURKHEIM, E., op.cit., p.101.

* 211. Idem, p.111.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon