Piraterie ou contrefaçon des oeuvres musicales: facteurs explicatifs, modes opératoires et impact sur les artistes-musiciens à Yaoundé( Télécharger le fichier original )par Joel Christian NKENG à NKENG Université de Yaoundé 1 - Master 2 en Sociologie 2010 |
I.3- Essor du secteur informelLa démographie galopante, le recul des activités primaires fortement utilisatrices de main d'oeuvre, la flexibilisation du travail salarié liée à la mondialisation, la crise économique, les difficultés socio économiques relatives à cette crise économique avec ses conséquences que sont le chômage, la pauvreté, la diminution des subventions agricoles et des marchés noyés par les produits agricoles européens eux subventionnés, et qui ont induit un exode rural massif de paysans, la très faible capacité du recrutement de l'Etat, ont conforté la progression notoire du secteur informel au Cameroun. En effet, la récession économique des années 80 combinée aux draconiens Programmes d'ajustement structurel (P.A.S) et leurs effets pervers, aggravés par une croissance démographique asymétrique, ont donc contribué à dégrader considérablement les conditions de vie de la population dont la majorité est démunie, en proie au désoeuvrement, contrainte dans l'inactivité, et habite les bidonvilles. Toute cette importante masse de la population n'a plus d'autre choix que de verser dans la ``débrouillardise'', ou dans l'informel. Cette idée est largement partagée par ELA, J-M., qui affirme que ces jeunes gens sont : « Condamnés à la débrouille dans les métiers de rue où certains sont réduits à survivre en devenant vendeurs à la sauvette traqués par la police comme on le voit au Cameroun (...) » 161(*). TABLEAU 2 : Distribution des vendeurs d'oeuvres musicales pirates selon l'âge
Source : Nos enquêtes de terrain TABLEAU 3 : Distribution des vendeurs d'oeuvres musicales selon le niveau d'études
Source : Nos enquêtes de terrain Comme cela s'observe sur ces deux tableaux, les jeunes constituent la catégorie sociale la plus touchée par le chômage, avec une prédominance des jeunes de la tranche de 20 à 24 ans qui sont généralement des personnes ayant achevé leurs études universitaires et à la recherche d'un emploi. Ils sont, pour la plupart, jeunes diplômés de l'enseignement supérieur, sans emploi, en quête de dépendance financière et qui se battent pour subvenir à leurs besoins quotidiens. Dans notre échantillon, nous avons 02 enquêtés titulaires d'un diplôme de Maîtrise, 06 titulaires de Licence, 05 titulaires de Baccalauréat, 02 titulaires du BEPC et 02 titulaires de CEPE. Le secteur primaire constituant 80% de l'économie du pays à cette période, les populations, spontanément, se sont tournées vers l'informel, d'accès facile et peu coûteux, en marge de toute régulation, pénale, et sociale, contrairement à l'économie formelle. En outre, l'État camerounais au caractère paternaliste et centralisateur ne permet pas au « bas » d'investir, et de développer la propriété privée, et donc l'économie formelle. Les procédures de création d'entreprises et le climat des affaires sont peu propices à l'investissement légal et au développement économique. En 2009, le pays se situe à la 116e place en termes de compétitivité162(*). En 2009 toujours, on estime qu'il faut compter au Cameroun environ 37 jours pour créer une entreprise contrairement au Rwanda par exemple, où le délai est de 3 jours. Mais surtout, les coûts à l'investissement dans une activité formelle représentent 150% du revenu par habitant. Dans un pays où 50,6% de la population vit avec 2$ par jour, il est impossible d'investir dans une activité économique formelle si celle-ci est si coûteuse « par décret ». Les métiers de rue sont des moyens de survie imaginés par ces populations pour faire face à la conjoncture économique devenue insoutenable. C'est certainement ce qui a fait dire à l'économiste péruvien H. De SOTO en 1989, cité par Harold LUBELL, que le secteur informel procède de « la réponse à l'incapacité des Etats à répondre aux besoins d'une population pauvre »163(*). L'incorporation de cette nouvelle cohorte d'actifs dans le marché du travail s'est inéluctablement faite à travers l'extension du secteur informel qui accueille ces exclus ou ces marginaux. Cette exclusion sociale a donc un impact dramatique sur la stabilité du tissu social et politique. Et à partir du moment où l'on affirme que des processus d'exclusion sont en action, il convient de trouver le moyen de les inverser et, partant, de favoriser l'intégration socio-économique des exclus à travers la mise en place des systèmes individuels et collectifs visant à améliorer leur situation. En effet, le secteur informel qui est sans aucun doute « le résultat d'une large exclusion d'importantes catégories de la société »164(*)est directement lié aux droits fondamentaux de l'individu. Les travailleurs de ce secteur sont donc considérés comme exclus ou marginalisés de la croissance économique, et supposés assurer eux-mêmes leurs propres moyens d'existence, ou prendre en main leur destin, en exerçant ces emplois précaires et souvent mal rémunérés et non couverts par la législation nationale. Cette notion d'exclusion sociale est davantage marquée au Cameroun, et est née à la fin des années 80 avec l'apparition de nouvelles formes de pauvreté et de marginalisation perçues comme essentiellement structurelles. En outre, elle est liée à : Une absence de richesse matérielle, ainsi qu'à divers phénomènes caractérisés par des inégalités croissantes et une « informalisation » des jeunes travailleurs, une montée du chômage, un relâchement des liens familiaux, une moindre participation à la vie de la société, etc. 165(*) Pour mieux comprendre le contenu et les contours de la problématique de l'informalisation des économies dans le monde, il faut se référer à l'abondante recherche qu'elle a suscitée. La définition du secteur informel est sujette à controverses. Etymologiquement, le terme vient du vocable anglais ``informal'', qui désigne ``ce qui est officieux'' ou ``non officiel'', ce qui est en dehors des règles ou des normes. L'expression « secteur informel » a fait son apparition dans un rapport de l'OIT sur le Kenya au début des années 70. Il s'agissait de décrire un secteur caractérisé par une hétérogénéité et une diversité des activités qui le constituent, un ensemble d'activités économiques en forte progression, se réalisant en marge des circuits économiques organisés et modernes. Après plusieurs tentatives de définition, un groupe de travail du PNUD, a proposé de retenir ce qui suit : « Appartient au secteur informel, toute affaire ou entreprise non immatriculée auprès du gouvernement national ou local ». Il s'agit donc de toutes les activités non enregistrées de manière directe et régulière. En raison de toute la difficulté qu'il y a à trouver une description opérationnelle de cette notion, le BIT propose que le secteur informel soit appréhendé par les critères suivants : la taille de l'entreprise inférieure à un niveau donné, le non enregistrement (au sens statistique ou au registre de commerce), l'inexistence de comptabilité formelle écrite, etc. L'usage en langue française de l'expression secteur informel lui confère plusieurs sens. Pour De VILLIERS, G. : [...] les activités du secteur informel seraient [...] des activités pratiquées généralement par des pauvres, exercées plus ou moins en marge des lois et des institutions officielles et relevant des normes spécifiques par rapport à celles de la modernité166(*). VERHAEGEN, G. le définit comme : [...] toute activité économique spontanée, échappant en grande partie au contrôle de l'administration, souvent en marge des obligations légales, non recensée dans les statistiques officielles, bénéficiant rarement des activités promotionnelles de l'Etat167(*). De ces deux définitions, il se dégage une constance : la plupart des définitions du secteur informel insiste sur le manque de contrôle de ce secteur d'activités par l'Etat et sur l'aspect pratique de l'activité pour les populations qui font face à l'adversité. Le secteur informel est donc un secteur d'activité qui est constitué par : · Les entreprises informelles de personnes travaillant pour leur propre compte et n'employant pas de salariés de manière continue ; · Les entreprises d'employeurs informels employant des salariés de manière continue, mais en dessous d'une taille (en nombre d'emplois) déterminée par les seuils législatifs et les pratiques statistiques en vigueur dans le pays ou sans enregistrer ces salariés, ou encore sans être enregistrées en tant qu'entreprises. Toutefois, les activités agricoles et la production non marchande sont exclues du champ du secteur informel, mais la pluriactivité exercée par des travailleurs du secteur formel ou du secteur agricole dans des entreprises informelles est prise en compte. * 161. ELA, J-M., Innovations sociales et renaissance de l'Afrique noire. Les défis du monde d'en-bas, Paris/Montréal, L'Harmattan, 1998, p.123. * 162. Marie Noëlle GUICHI, « Economie-compétitivité : Classement mondial, le Cameroun classé parmi les derniers », in Le Messager, Edition du 7 octobre 2009. * 163. Harold LUBELL, Le secteur informel dans les années 80 et 90, Paris, OCDE, 1991, p.69. * 164. DEVELTERE, PATRICK et VAN DURME, Patrick, « Exclusion sociale, secteur informel et économie sociale », in Le Courrier ACP-UE, pp. 68-70, p.68. * 165. Idem., p.69. * 166. DE VILLIERS, G., Le pauvre, le hors la loi, le métis. La question de l'économie informelle en Afrique, Bruxelles, CEDAF, 1992, p.4. * 167. VERHAEGEN, G., « Le rôle de l'informel dans le développement économique au Zaïre », cité par OPANGA EKANGA, in « Approche globale du secteur informel. Concepts et poids dans l'économie du Zaïre », Communication tenue lors du Colloque sur l'Informel : survie ou chance pour le Zaïre ?, Kinshasa, Mai 1995, inédite. |
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