Piraterie ou contrefaçon des oeuvres musicales: facteurs explicatifs, modes opératoires et impact sur les artistes-musiciens à Yaoundé( Télécharger le fichier original )par Joel Christian NKENG à NKENG Université de Yaoundé 1 - Master 2 en Sociologie 2010 |
I.3.1-Secteur informel comme source d'emplois, de revenus et d'espoirL'émergence du secteur informel au Cameroun est étroitement liée à l'insuffisance d'emplois créés par le secteur moderne, ou mieux à l'étroitesse de l'offre d'emploi qui ne permet plus d'absorber le flux des jeunes diplômés. En effet, au cours des années 1970, on assiste à des recrutements massifs et incontrôlés dans le secteur public. Les raisons conjoncturelles évoquées plus haut (crise économique des années 80, faible croissance économique, draconiens Programmes d'ajustement structurel) limitent les possibilités d'investissement productifs dans le « secteur formel ». Avec la crise de l'emploi et la montée du chômage, le secteur informel absorbe désormais la majorité des travailleurs. Selon la deuxième enquête camerounaise auprès des ménages menée par l'Institut national de la statistique en 2003, le secteur informel avec 83% des actifs occupés, est celui qui rassemble le plus de travailleurs. Et comme le souligne BUGNICOURT, J., ce secteur : Constitue le seul débouché immédiat pour la grande majorité des jeunes qui veulent travailler, elle est génératrice d'emploi à faible rémunération, et de revenus. Elle répond, même si c'est souvent à un niveau médiocre, aux besoins essentiels des ``pauvres'' et d'une partie des catégories sociales moyennes.168(*) Tableau 4 : Répartition des actifs de moins de 25 ans selon le statut par secteur d'activité (%)
Source : INS, EESI 2005, phase 2.169(*)
Au regard de ce tableau, l'on est tenté de se poser la question de savoir pourquoi retrouve-t-on plus de jeunes dans le secteur informel ? Face à une telle interrogation, certains arguments nous semblent à même d'expliquer cette situation, notamment : la faiblesse du capital nécessaire au lancement de leurs activités, le recours aux ressources locales, propriété familiale de l'entreprise, l'échelle restreinte des opérations, l'utilisation des techniques à forte intensité de main-d'oeuvre et d'adaptation au milieu, l'acquisition des qualifications en dehors du système scolaire officiel et la facilité d'opérer sur des marchés non réglementés, mais ouverts et compétitifs. Evidemment, tout ceci en marge du facteur très important de la faible accessibilité au crédit bancaire. Le Rapport mondial sur la corruption 2009 de Transparency International évoque clairement l'importance de ce secteur d'activités : Le secteur privé peut être une source de dynamisme en matière d'innovation et de croissance. Il peut également ne pas se montrer à la hauteur de son potentiel et se transformer en une force destructrice qui fragilise l'équilibre concurrentiel, asphyxie la croissance économique et le développement politique et, à terme, menace sa propre existence.170(*) De nombreuses personnes (fonctionnaires compressés ou déflatés, jeunes diplômés sans emplois) vont donc basculer dans « l'informel », car l'Etat n'est plus capable de répondre à leurs besoins essentiels. En revanche, le secteur informel « assure la survie et, bien au-delà, répond à des besoins de base, donne du travail, révèle et met en oeuvre une grande diversité de ressources, et établit des liaisons multiples et changeantes, y compris avec la part moderne de l'économie ». En y basculant, ils vont contribuer à consolider les bases de ce secteur et lui permettre de s'enraciner véritablement, de devenir un important levier de lutte contre la pauvreté. Le secteur informel joue un rôle d'amortisseur de choc en temps de crise. C'est certainement pour cette raison que BUGNICOURT, J., affirme que : « sans l'économie populaire, les difficultés des grandes agglomérations africaines seraient beaucoup plus dramatiques, et les difficultés des pauvres beaucoup plus angoissantes »171(*). Face à une situation sociale et économique devenue très préoccupante, les nombreux désoeuvrés, pour essayer d'échapper à leurs conditions de vie précaires, vont imaginer des formules de survie. Beaucoup parmi eux vont s'orienter vers les activités informelles. Ainsi, à Yaoundé, selon ROUBAUD : « en 1992, plus de 80% des emplois dans l'année l'ont été par le secteur informel ; alors que le secteur public ne contribuait qu'à 5% des créations »172(*). Il ressort aussi de l'observation de l'activité informelle, qu'on y retrouve plus de jeunes personnes. Pour revenir à notre thème de recherche, nous pouvons dire que la plupart des jeunes sans emploi de notre pays trouvent comme solution « temporaire », la vente des CD d'origine douteuse une activité qui avec le temps devient définitive étant donné que leur situation de chômeurs ne change pas. C'est ainsi que dans nos rues il n'est plus surprenant d'être interpellé par des jeunes proposant des supports contrefaisants à des sommes modiques. Les entretiens avec tous les vendeurs de CD de notre échantillon en disent long sur leurs motivations. Le secteur informel constitue donc une variable d'ajustement déterminante tout en restant synonyme de pauvreté : la productivité et donc les rémunérations y sont plus basses que dans les emplois formels salariés. Les activités informelles sont qualifiées de positives, car elles constituent « l'autre sentier » 173(*) du développement. Ceci laisse apparaître clairement que le développement du secteur informel dans les grandes villes de l'Afrique subsaharienne témoigne plus d'une logique de survie que de l'émergence d'activités productrices qui offriraient une solution alternative à la crise du marché de l'emploi. Même si ce secteur reste synonyme de pauvreté, car la productivité et les rémunérations y sont plus basses que dans les emplois formels salariés. Selon certains spécialistes, ce secteur a facilité la relance de l'économie dans la plupart des pays où il s'est développé. Au Cameroun, le secteur informel avec 90,4% des actifs occupés (dont 55,2% dans le secteur agricole), fournit le plus d'opportunités d'insertion économique ; même si les conditions de travail y sont précaires. Tout à côté, le secteur public suit avec 4,9% et le privé formel avec 4,7%. Le secteur primaire reste le secteur qui occupe le plus de camerounais avec 55,7% de travailleurs174(*). Toutefois, il faut reconnaître que ce secteur, en dépit de ses mérites, n'est pas exempt de reproches. De nombreux griefs sont formulés à son endroit, notamment le fait qu'il soit un lieu où prospère des trafics se développant en marge de la légalité. * 168. BUGNICOURT, J., « Espoir ignoré : l'économie informelle ou populaire », in Le Courrier ACP-UE, n°178, Décembre1999-Janvier 2000, pp.55-57, p.55. * 169. INS, op.cit., p.36. * 170. Transparency International, « Rapport mondial sur la corruption 2009 : La corruption et le secteur privé », Cambridge, Cambridge University Press, 2009. * 171. BUGNICOURT, J., op.cit., p.55. * 172. ROUBAUD, François, « Le marché du travail à Yaoundé, 1983-1992 », Séminaire sur l'emploi et le secteur informel, Yaoundé, DIAL/DSCN/MINPAT, pp.24-25. * 173. ROUBAUD, François, L'Economie informelle au Mexique. De la sphère domestique à la dynamique macro-économique, Paris, ORSTOM, KARTHALA, 1994, 453p, p.49. * 174. INS, « Enquête sur l'emploi et le secteur informel (EESI) au Cameroun », Juin 2006. |
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