La protection pénale des suspects et des personnes poursuivies( Télécharger le fichier original )par Samba Baba N'DIAYE Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest - Master Droit Privé Général 2013 |
SECTION 1 : LES CONDIONS GENERALES DE LA DETENTION PROVISOIRE :Au stade de la détention provisoire, plane sur le suspect une présomption de culpabilité. On parle alors d'inculpé ou de mis en examen. Cela fait ainsi peser sur la personne mise en examen cette présomption de culpabilité entraînant sans doute, une augmentation des risques de condamnation et bafoue un principe inscrit dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en vertu duquel, « Tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il soit déclaré coupable ». Et, c'est dans le même esprit que Faustin Hélie a pu écrire à ce propos que « la détention préalable inflige un mal réel, une véritable souffrance, à un homme qui non seulement n'est pas réputé coupable, mais qui peut être innocent, et le frappe, sans qu'une réparation ultérieure soit possible, dans sa réputation, dans ses moyens d'existence, dans sa personne »63(*). Le placement du prévenu en maison d'arrêt avant jugement est une négation pure et simple de cette garantie fondamentale. L'incarcération jette le discrédit sur la personne concernée, considérée désormais comme coupable par la société. Lorsque le juge d'instruction décerne mandat d'arrêt, de dépôt ou d'amener contre un inculpé, celui-ci est détenu provisoirement. Et même avec cette inculpation du juge d'instruction, l'inculpé sera toujours présumé innocent. Et avec cette présomption d'innocence, il dispose d'un certain nombre de droits qui lui garantissent sa protection64(*). Mais il faut relever et regretter la banalisation de l'inculpation par le C.P.P. Le législateur français s'est efforcé de proscrire l'inculpation hâtive et tardive. Son homologue malien semble cautionner l'inculpation hâtive. En effet, plusieurs dispositions du C.P.P instituent une inculpation automatique. C'est le cas des articles 114, alinéa 5, 116, alinéa 1, et 118, alinéa 2. L'analyse de ces textes démontre à suffisance l'automaticité du statut d'inculpé. Tout se passe comme si la simple dénonciation emporte l'inculpation. Cette inculpation automatique doit-elle exister dans une procédure pénale qui se veut respectueuse de la présomption d'innocence ? L'interrogatoire ne doit-elle pas précéder l'inculpation ?65(*) Ce faisant, nous aborderons les conditions de placement en détention (Paragraphe 1) puis de la durée de la détention (Paragraphe 2). PARAGRAPHE 1 : LES CONDITIONS DE PLACEMENT EN DETENTION :Seuls peuvent faire l'objet d'une détention provisoire les mis en examen, soit les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi (article 80-1 du code de procédure pénale). Depuis la loi du 15 juin 2000, renforçant le principe de la présomption d'innocence, a été élevé le seuil de peine des délits à raison desquels la détention peut être décidée : la privation de liberté n'est possible qu'autant que le mis en examen encourt une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à trois ans66(*). Ces conditions se tiennent de part et d'autre sur le fond (A) et sur la forme (B). A. Les conditions de fond du placement en détention : Pour assurer le caractère exceptionnel de la détention provisoire, hormis le recours au terme « toutefois », le législateur a prévu un nombre important de conditions d'application. Plus elles sont nombreuses, moins il est aisé de mettre en oeuvre une disposition relative à la détention provisoire. Ainsi, le législateur s'assure que cette mesure ne s'applique que dans certains cas précis et que le risque d'y recourir dans les hypothèses injustifiées est moindre. Poursuivant l'oeuvre de ses prédécesseurs, le législateur du 15 juin 2000 a voulu astreindre l'autorité judiciaire à n'ordonner le placement en détention provisoire que s'il apparaît réellement nécessaire à la poursuite de l'information ou à la représentation en justice de l'intéressé, alors que le nombre des détentions provisoires était considéré comme trop important en France67(*). Ce qui implique que les juges pratiquent la détention provisoire comme moyen de contraindre les mis en examen à parler au mépris de leur droit de se taire et que la recherche de l'aveu, conforme à la tradition inquisitoriale paraissait bien présente dans la mise en détention provisoire. C'est pourquoi, le placement en détention doit être justifié par deux ou trois sortes d'arguments selon les circonstances. D'abord dans un premier temps, le maintien en détention et l'ordonnance de placement doit dans son affirmation, énoncer en principe le caractère insuffisant des obligations du contrôle judiciaire68(*). Cette motivation ne s'impose pas, en principe, pour les décisions qui refusent de mettre en liberté la personne mise en cause69(*). Ce qui nous parait logique puisqu'il ne s'agit pas de justifier le placement mais au contraire de refuser sa cessation ce qui postule que les raisons du placement continuent à exister. La chambre criminelle estime cependant que l'arrêt de la chambre de l'instruction qui infirme une ordonnance de mise en liberté doit se référer à l'insuffisance du contrôle judiciaire70(*), solution moins justifiée que dans le cas où l'arrêt se borne à restaurer le mandat de dépôt initial entraînant logiquement que les raisons qui l'ont justifié subsistent. A ce titre, la juridiction concernée doit énoncer par rapport aux faits de la cause, les circonstances qui le démontrent et non pas l'affirmation que le contrôle judiciaire est insuffisant. Ensuite, Sauf lorsque le placement en détention provisoire se justifie par la violation des obligations d'un contrôle judiciaire71(*), Le réquisitoire du Procureur de la République qui réclame un placement ou un maintien en détention et les titres qui l'opèrent doivent nécessairement en justifier la nécessité72(*). La motivation n'est pas nécessaire dès lors que le point en discussion n'est pas directement la détention provisoire, le maintien de celle-ci n'étant que la conséquence d'une autre disposition. Dans un troisième temps, il s'agit de conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une pression sur les témoins soit une concertation frauduleuse entre inculpés et complices73(*) ; de préserver l'ordre public du trouble causé par l'infraction ou pour protéger l'inculpé, pour mettre fin à l'infraction, pour prévenir son renouvellement ou pour garantir le maintien de l'inculpé à la disposition de la justice74(*). Concernant l'ordre public troublé, Le bon sens populaire ne comprendrait pas que l'auteur d'un assassinat ou d'un viol crapuleux rentre directement chez lui après son arrestation pour y attendre des mois ou des années son châtiment. Le risque, c'est qu'en admettant ce cas de détention, les juges apparaissent comme des justiciers plutôt que des instructeurs. Si les juges doivent apaiser l'opinion, ils ne doivent pas en revanche céder aux instincts de la foule, à l'esprit vengeur. La détention dans l'intérêt de l'ordre public est en vérité un cas d'état de nécessité, les juges devant choisir entre la liberté individuelle et la paix publique. Quant au critère de renouvellement, on voit à l'évidence que ce critère présuppose que l'infraction poursuivie est avérée, ce qui n'est pas le cas puisque l'affaire est en train d'être instruite. La présomption d'innocence est-elle alors une fiction ? En somme, la détention provisoire ne peut intervenir que si elle présente de l'utilité aux yeux de la justice, de la personne mise en examen, des témoins ou plus généralement de l'opinion publique. Sous réserve de répondre aux conditions précédemment citées, la détention provisoire doit constituer l'ultima ratio des mesures nécessaires à la poursuite de l'information et doit en outre, constituer l'unique moyen d'atteindre les conditions ci-dessus énumérées. Aujourd'hui, le juge d'instruction et la chambre d'accusation ne doivent pas omettre, à peine de censure, d'expliquer dans leur motivation en quoi le contrôle judiciaire ne suffit pas aux objectifs recherchés. Parce que ces mesures sont graves, y compris celle du contrôle judiciaire. En revanche, la personne mise en cause bénéficie d'un régime plus favorable que pendant la phase d'enquête, qui lui donne notamment la possibilité d'être assistée d'un avocat et de ne faire aucune déclaration qu'en présence de ce dernier. L'inculpation peut également résulter de la délivrance d'un mandat d'arrêt lorsque la personne soupçonnée est en fuite ou d'un mandat de dépôt à l'audience par le tribunal correctionnel, sauf décision motivée contraire de ce dernier en cas de récidive d'infractions. La C.E.D.H ne connaît pas « la détention provisoire » à proprement parler. Pour elle, la détention provisoire est une forme de « privation de liberté » mentionnée dans son article 5, lequel envisage cinq cas légitimes de privation de liberté (article 5-1-a à 5-1-f)75(*). Les cas de placement en détention provisoire prévus par le C.P.P ne sont pas en contradiction avec les textes de la convention. En effet, le placement en détention provisoire suppose que la personne soit mise en examen. Or, la mise en examen nécessite des indices graves et/ou concordants de culpabilité. Ces indices constituent des « raisons plausibles » au sens de l'article 5-1c de la C.E.D.H. Par ailleurs, deux motifs de placement en détention provisoire visés par l'article 123 du C.P.P se rapprochent des cas prévus par l'article 5-1c de la Convention susvisée : « mettre fin à l'infraction ou (...) prévenir son renouvellement ». La loi prévoit que toute personne arrêtée soit informée dans le plus bref délai des raisons de son arrestation et de ses droits, ce qui est conforme aux dispositions de la C.E.D.H (article 5-3). Certes la détention provisoire présente des avantages, lesquels correspondent aux causes juridiques de la mesure que nous avons exposée ci-dessus. Mais ses inconvénients sociaux sont considérables (perte d'emploi, désocialisation du détenu et sa famille, coût etc.). Nous pouvons citer à ce titre, l'exemple le plus marquant du procès d'Outreau, où des pères et des mères de familles ont été détenus pendant des années leur causant un énorme préjudice physique et psychique. En réalité c'est tout le régime de la détention provisoire qui est conçu et doit l'être dans l'avenir de manière à la limiter ou de manière à atténuer ses conséquences. Cependant, s'il s'agissait depuis lors de mettre en exergue le caractère exceptionnel de la détention provisoire, l'usage est précisément conditionné afin de le limiter. C'est à ce titre qu'un rigoureux formalisme s'impose et ne peut que modérer cet usage (B). B. Les conditions de forme du placement : La détention provisoire illustre, si l'on peut le dire, l'extrême rigidité entraînée par le formalisme qu'elle exige. Le renforcement des droits des citoyens implique que le contentieux relatif à la détention provisoire soit réservé à un juge du siège, en position d'arbitre impartial et « paraissanttel aux yeux de tous » selon les termes de la Conv. E.D.H. Pour que les mesures de détention fassent l'objet d'un examen rigoureux, plus sérieux et soient réduites au strict nécessaire, leur prononcé doit être confié à un juge distinct du juge d'instruction. Tel sera le rôle du Procureur de la République76(*) que le juge d'instruction doit saisir, s'il entend placer le mis en examen en détention provisoire. Le Procureur est donc désormais compétent et examine les conditions préalables pour le placement en détention. Mais, en France, la procédure diffère du cas malien. Ainsi le nouveau contentieux de la détention provisoire (placement, prolongation et décision sur les demandes de mise en liberté)77(*) est désormais de la compétence du J.L.D qui ne peut statuer que s'il a été saisi par une ordonnance motivée du juge d'instruction compétent, lequel aura été préalablement saisi ou non du réquisitoire de placement en détention de la part du M.P. L'objectif est la recherche d'une meilleure protection de la liberté du mis en examen se traduisant par la création d'un J.L.D qui hérite de tout le contentieux de la détention provisoire, jusque-là géré par le juge d'instruction, considéré comme suspect d'user de cette mesure pour faciliter l'obtention de l'aveu78(*). Dans toutes ces hypothèses, le juge de la détention sera saisi par ordonnance motivée du juge d'instruction chargé de l'information. Ce n'est en effet que dans le cas où le magistrat instructeur estimera la détention nécessaire que le juge de la détention provisoire devra se prononcer. Ce dernier ne peut pas être directement saisi par le M.P, de même que les demandes de mise en liberté sont adressées au juge d'instruction, et ce n'est que si celui-ci refuse d'y faire droit qu'elles seront soumises au juge de la détention provisoire. Quant au délai pour préparer sa défense, c'est une innovation de la loi du 9 juillet 198478(*). Il vise à renforcer les garanties de la personne mise en examen au moment où une décision essentielle va être prise à son égard. Lorsque cette disposition est mise en oeuvre, le moment du placement en détention provisoire se trouve repoussé de fait. Mais, face à cette situation, le juge d'instruction n'est pas désarmé pour autant. En effet, il peut ordonner l'incarcération provisoire de la personne concernée : il s'agit d'une mesure privative de liberté qui résulte comme nous l'avons dit précédemment, d'une ordonnance motivée par référence aux exigences de la défense. Mais au regard de tout ce qui précède, beaucoup de question se posent quant au rôle et l'efficacité du J.L.D d'après Outreau. De prime bord, on peut dire que c'est un juge amputé de par la loi de pouvoir prendre une décision pleinement éclairée puisqu'il ne peut pas poser de questions sur les faits. La création de ce juge en 2000 a été une excellente idée du législateur mais il ne lui pas donné les moyens procéduraux pour qu'il exerce ses fonctions, donc une oeuvre inachevée. Seulement voilà le J.L.D a déçu d'après Outreau pour des raisons liés à son statut, il n'a pas suffisamment connaissance de la personnalité du mis en examen mais également ne dispose que d'un délai court pour prendre connaissance du dossier. Il y a autant de raisons pour revoir totalement le rôle du J.L.D, lui permettant d'avoir accès au dossier du mis en examen, de l'interroger et de pouvoir parler avec son avocat. Philippe Houillon estime que la question du maintien du J.L.D judiciaire pour statuer à la place du J.I se posera inévitablement79(*). L'ordonnance de placement en détention provisoire est susceptible d'appel de la part du M.P comme du mis en examen. Mais cet appel n'est pas suspensif de l'exécution et le mis en examen est incarcéré pendant la durée de la procédure d'appel. En effet, pour lutter contre des placements en détention provisoire abusifs, la loi du 24 août 1993 a créé sous le nom de « référé-liberté » une modalité particulière d'appel ayant pour effet de suspendre l'efficacité du mandat de dépôt pendant la durée de la procédure d'appel. Tous ces instruments juridiques expriment la volonté du législateur de rendre la justice équitable. Ainsi ils formulent la protection de l'inculpé contre des détentions arbitraires et abusives. Cependant, malgré toutes les reformes entreprises en la matière pour adapter les textes à la réalité sociale, la décision de placement en détention provisoire doit être faite dans le délai imparti par la loi et la jurisprudence. La détention provisoire a pour principal effet, la privation temporaire de liberté et le caractère éventuellement préjudiciable de cette privation de liberté. La privation de liberté du détenu s'exécute au sein d'une maison d'arrêt ou dans un quartier spécial selon un régime distinct de celui applicable au condamné. Le juge d'instruction peut donner des ordres relatifs à la détention mais c'est l'administration pénitentiaire qui définit les conditions de la détention. Mais il est aisé de constater que, dans la réalité, les magistrats ne jouissent pas d'une grande marge de manoeuvre quant aux ordres donnés au détenu dans l'établissement pénitentiaire. Ils ne peuvent pas modifier le régime tel que défini par l'administration pénitentiaire conformément au code de procédure pénale. Par exemple, il leur serait impossible de modifier les horaires des activités du prévenu, lui accorder ou retirer la permission de faire du sport, etc. On constate qu'ils ne peuvent intervenir que sur certains points édictés par le code de procédure pénale. C'est par exemple le cas de l'interdiction de communiquer, ou d'accorder ou non les permis de visite, etc... Certes, le C.P.P aménage des conditions meilleures pour les prévenus et les condamnés, il n'est pas surprenant que, bien que présumés innocents, leur sort s'avère peu enviable. En effet, surtout pour un pays tel que le nôtre, les conditions des détenus sont déplorables. Et on oublie que le détenu est un citoyen, tout spécialement lorsqu'il bénéficie de la présomption d'innocence. S'il est de principe que les prévenus soient seuls en cellule, cela n'est pas toutefois respecté car les maisons d'arrêt qui les reçoivent, sont surpeuplées. Et la durée de la détention provisoire comme son nom l'indique est provisoire et n'est pas sans limite (Paragraphe 2) * 63 F. Hélie, Tribunal d'Instruction Criminelle, 1846, IV, n° 1948. * 64 Notamment la présomption d'innocence, les droits de la défense, le droit d'avoir un procès équitable dans un délai raisonnable.... * 65 M. COULIBALY, La procédure pénale au Mali, éd. JAMANA, 2009, p. 144 et s, n° 413 et s. * 66 E. MATHIAS, Procédure pénale, 2e éd., Breal, Lexi fac 2005, p.162. * 67 S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, 2e édiction LITEC, P.881, n°1096. * 68 Art. 123, al. 3 du C.P.P du Mali. * 69 Crim, 22 juillet et 2 sept 1997, Procédures, 1998, n°18, 25 mars 1998. * 70 Crim, 24 sept 1997, Dr. Pén. 1998, n°13. * 71 Crim., 13 octobre 1998, B.C., n° 258. * 72 Mais l'irrégularité du réquisitoire n'entraîne pas la nullité d'une ordonnance de placement correcte (Crim, 3 déc. 1997, Dr. Pén., 1998, n° 42). * 73 Art. 123, al. 1 du C.P.P du Mali. * 74 Art. 123, al. 2 du C.P.P du Mali. * 75 F. Fourment, Manuel de procédure pénale, 6e éd., Paradigme2005-2006, p.224, n° 492. * 76 En France c'est le juge des libertés et de la détention. * 77 Avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000, c'était le juge d'instruction qui était compétent pour prendre une décision de placement en détention provisoire. * 78 Loi sur le recul de la détention provisoire. * 79 www.fr.news.yahoo.com, les réformes de l'après Outreau se dessinent, 13 février 2006. |
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