La protection pénale des suspects et des personnes poursuivies( Télécharger le fichier original )par Samba Baba N'DIAYE Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest - Master Droit Privé Général 2013 |
SECTION 2 : LES SANCTIONS DE LA GARDE A VUE :Lorsque les conditions évoquées ne sont respectées, la loi prévoit des sanctions. Cela traduit le souci de mettre sous le regard d'un juge la défense des libertés et d'assurer le jugement dans un délai raisonnable. La garde à vue comportant des risques d'abus, c'est pourquoi le législateur a tenu à la réglementer strictement. Les sanctions de la garde à vue peuvent être appréhendées sous deux aspects essentiels. Il s'agit de la sanction attachée à la non-information des suites d'une garde à vue (Paragraphe 1), et des sanctions découlant d'une irrégularité de la garde à vue (Paragraphe 2). PARAGRAPHE 1 : LA SANCTION ATTACHEE A LA NON-INFORMATION DES SUITES D'UNE GARDE A VUE : La loi du 15 Juin 2000, soucieuse d'une bonne information des justiciables, a imaginé une procédure spéciale concernant les individus qui ont été placés en garde à vue dans le cadre d'une enquête préliminaire ou de flagrance et qui au bout de six mois à compter de la fin de cette mesure n'ont pas fait l'objet de poursuites45(*). Ainsi les intéressés peuvent saisir le Procureur de la République sur la suite de la procédure (A) mais aussi le juge des libertés et de la détention peut procéder à des enquêtes (B). A. La saisine du P.R sur la suite de la procédure : Ces individus peuvent interroger le Procureur sur la suite donnée ou susceptible d'être donnée à la procédure. Ils saisissent ce magistrat par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Dans le mois suivant la réception de la demande, le Procureur est tenu soit d'engager des poursuites contre l'intéressé, soit de lui notifier le classement sans suite, soit s'il estime que l'enquête doit se poursuivre, de saisir le juge des libertés et de la détention, à défaut de quoi serait nul tout acte d'enquête qui serait fait postérieurement au délai d'un mois à compter de la réception de la demande. Le système français, comme évoqué ci-dessus, est très clair en la matière. Mais par contre au Mali, la non-information des suites d'une garde à vue n'est pas évoquée dans le C.P.P. En effet le législateur malien n'a prévu aucune sanction en cas de garde à vue indue ou de régime d'indemnisation en cas de garde à vue indue. L'insuffisance de la loi et le pouvoir d'appréciation du juge ont pour conséquence des abus au niveau de cette procédure de garde à vue. La loi a prévu la garde à vue et instauré le délai, mais n'évoque pas de sanctions lorsque la personne gardée à vue a subi un préjudice et qu'il demande réparation. Mais le juge des libertés et de la détention procède à une enquête (B). B. L'enquête du JLD : Le J.L.D va procéder à une sorte d'enquête caractérisée par un débat contradictoire au cours duquel il entend le Procureur de la République et l'intéressé assisté le cas échéant par son avocat. Après quoi, de deux choses l'une : - Ou bien le juge décide que l'enquête ne doit pas être poursuivie, le Procureur doit dans les deux mois engager des poursuites, ou notifier à l'intéressé un classement sans suite, ou encore d'une mesure de type « troisième voie » ; - Ou bien le juge autorise la continuation de l'enquête en fixant un délai qui ne peut dépasser six mois à l'issue duquel l'intéressé peut adresser au parquet une nouvelle demande. Ce système traduit le souci de mettre sous le regard d'un J.L.D et d'assurer le jugement dans un délai raisonnable. A cet égard, il s'inspire du droit italien avec le juge de l'enquête préliminaire qui peut lui aussi prolonger une enquête. Mais il est horriblement lourd, notamment avec le débat contradictoire. En outre, il est inefficace car il ne permettra pas d'accélérer le cours des affaires compte tenu de l'insuffisance des moyens de la police en personnels. Il est même impossible que le système des articles 77-2 et 77-3 du C.P.P français entraine « l'enterrement » d'affaires complexes, notamment financières. Il faut noter que le J.L.D est l'équivalent du juge d'instruction au Mali, c'est-à-dire qu'ils ont à peu près les mêmes compétences46(*). Et cela est regrettable car l'institution d'un J.LD au Mali serait un énorme pas contre l'arbitraire dans les cas de privation de liberté. Mais il y a aussi d'autres sanctions, notamment découlant d'une irrégularité de la procédure (Paragraphe 2). PARAGRAPHE 2 : LES SANCTIONS DECOULANT D'UNE IRREGULARITE DE LA GARDE A VUE : Il y a d'abord une série de sanctions que l'on peut qualifier de secondaires car elles ne présentent guère d'intérêt pratique47(*). On peut y ajouter la liberté pour la juridiction de jugement d'attacher le prix qu'elle veut aux aveux recueillis au cours d'une garde à vue et donc d'écarter ceux qui découleraient d'une garde à vue irrégulière : ainsi le veut le principe de l'intime conviction. Cependant les deux premières sanctions n'ont pas directement d'incidence procédurale, et, la troisième est sans valeur lorsque l'irrégularité n'est pas flagrante et lorsqu'il y a d'autres preuves que l'aveu. Il existe ensuite une sanction que l'on peut appeler principale car essentielle : c'est l'annulation de la procédure et spécialement des P.V établis pendant la garde à vue et contenant des aveux. A cet égard, la jurisprudence (B) apporte plus que la loi (A). A. La loi : Aussi étonnante que paraisse la chose à première vue, la nullité d'une garde à vue conduite au mépris des règles précitées n'est pas prévue. Sans doute, à plusieurs reprises, le législateur français avait-il prévu la nullité dans des cas particuliers48(*). Plus près de nous la loi du 4 Janvier 1993 avait rattaché une nullité textuelle automatique à la violation des nouveaux droits du gardé à vue49(*). Mais la loi du 24 Août 1993 a supprimé ces dispositions, l'article 171 notamment se bornant à décider désormais qu'il y a nullité « lorsque la méconnaissance d'une formalité substantielle... a porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne ». De la même manière, le C.P.P malien n'évoque pas textuellement cette nullité. Aussi l'évoque-t-il de manière implicite car certaines obligations sont imposées pour la régularité de la procédure. Ainsi on serait tenté de dire que l'exécution de ces obligations sont subordonnées à la nullité des actes de procédure. Lorsque l'O.P.J ne notifie pas par exemple les droits du suspect ou lorsqu'il ne mentionne pas la durée de la garde à vue, cela pourrait entrainer la nullité du P.V de garde à vue. Mais la jurisprudence est plus abondante en la matière (B). B. La Jurisprudence : Le point de la jurisprudence sur la question peut être scindé en deux formes : il y a ce qu'on peut appeler les droits de la première génération et les droits de la seconde génération. S'agissant des premiers, qui ont été imaginés en 1959, la jurisprudence n'était pas favorable à la nullité, même si les décisions sont anciennes. La chambre criminelle française a d'abord considéré que le moyen tiré de la nullité était mélangé de fait et de droit, et par conséquent irrecevable50(*). Elle décida ensuite que « les règles légales ne sont pas prescrites à peine de nullité et que leur inobservation ne saurait par elle-même entrainer la nullité des actes de la procédure lorsqu'il n'est pas démontré que la recherche et l'établissement de la vérité s'en sont trouvés fondamentalement viciés ». Par la suite, aux « règles légales », la chambre criminelle ajouta « les dispositions de l'article 5, de la Conv. E.D.H », la formule étant conservée et, en conséquence rien ne changeant51(*). On peut aussi évoquer la nullité pour d'autres raisons : il s'agit des droits de seconde génération52(*). Dans un premier temps, la chambre criminelle se refusa à annuler la procédure dans des hypothèses où la tardiveté de la notification des droits n'avait pas nui à l'intéressé53(*).En effet, aujourd'hui la chambre criminelle française fait preuve de beaucoup plus de sévérité à propos de l'obligation de notifier immédiatement. Dans une formule très nette, elle considère que « tout retard injustifié dans la notification des droits porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu'elle concerne »54(*). On ne peut pas dire qu'il s'agisse d'une nullité d'ordre public et il vaut mieux considérer qu'il y a présomption de grief. Ce sont donc seulement des cas de force majeure qui justifient le retard à notifier les droits à partir du début de la garde à vue55(*) ces cas étant appréciés souverainement par la chambre d'accusation. Même sévérité dans le cas de la prolongation de la garde à vue qui, en cas d'enquête préliminaire, suppose normalement la présentation de la personne au Procureur de la République. L'absence de présentation exigée, entraine la nullité de la procédure. Tous ces propos ci-dessus font état du régime protégeant un suspect pendant une garde à vue. Mais dans la phase de poursuite, le régime est presque le même car l'inculpé tout comme le suspect dispose de la protection de la loi. Ainsi lorsque l'inculpé est privé de sa liberté c'est la détention provisoire. Cette privation de liberté est aussi réglementée par la loi dans le but de prévenir les abus d'autorité et de préserver les droits de l'individu dans le procès pénal. Ainsi l'analyse suivante portera sur les garanties accordées à l'individu pour sa protection dans la procédure pénale notamment en cas détention préventive (Chapitre 2). CHAPITRE 2 : LES GARANTIES PROCEDURALES ACCORDEES PENDANT LA DETENTION PROVISOIRE Le droit à la liberté et à la sûreté est un droit fondamental inhérent à la personne, inscrit dans les instruments internationaux de la protection des droits de l'homme et dans la Constitution56(*). Il prévoit la protection de l'individu contre les arrestations arbitraires et contre la détention illégale. La détention provisoire est une mesure d'incarcération d'un mis en examen (inculpé) pendant l'information judiciaire, ou d'un prévenu dans le cadre de la comparution immédiate. De caractère exceptionnel, elle ne peut être prise en compte que dans le cadre des cas déterminés par un magistrat du siège après un débat contradictoire au cours duquel il entend les réquisitions du M.P, puis les observations du mis en examen et le cas échéant celles de son conseil. Selon J. PRADEL « la détention provisoire est l'incarcération d'un inculpé en maison d'arrêt pendant tout ou partie de l'instruction préparatoire jusqu'au jugement définitif sur le fond de l'affaire »57(*). Au-delà de la définition, l'essentiel est de percevoir que la détention provisoire dépasse le cadre de l'instruction préparatoire même si les principales difficultés se rencontrent en son sein58(*). Dans le même sens, selon J. Leblois-Happe, « la détention provisoire constitue un moment clé de l'instruction, durant lequel des principes contradictoires doivent être conciliés : respect de la liberté et du principe de la présomption d'innocence et en même temps nécessité de préserver les besoins de l'instruction »59(*). Comme son nom l'indique, la détention provisoire va entraîner l'incarcération de l'intéressé pendant tout ou partie de l'information. Elle prend fin soit par une décision de mise en liberté, prise d'office par le juge d'instruction, soit parce qu'aucune ordonnance de prolongation n'est intervenue en temps voulu ou parce que la loi a prévu une durée maximum insusceptible de prolongation60(*). Ainsi, elle se distingue des autres incarcérations ordonnées dans le cadre de la procédure pénale. Elle ne doit pas être confondue avec la garde à vue, mesure qui permet à un O.P.J de tenir à sa disposition, pour les besoins de l'enquête, un suspect. La détention provisoire soulève des interrogations en raison des intérêts qui entrent en jeu. Il y a de ce fait, opposition entre l'intérêt de la société et celui de l'individu. Vu sous l'angle social, la détention provisoire est un instrument répressif par anticipation, ce qui donne à la collectivité, un sentiment de protection et de sécurité. Sous l'angle individuel la détention provisoire ne peut être ordonnée qu'à raison des nécessités de l'instruction ou à titre de mesure de sûreté et selon les règles et conditions énoncées par la loi61(*). C'est ainsi qu'en matière correctionnelle, si la sanction encourue comporte une peine d'emprisonnement la détention provisoire peut être ordonnée lorsque la détention provisoire de l'inculpé est l'unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une pression sur les témoins soit une concertation entre inculpés et complices ; lorsque cette détention est nécessaire pour préserver l'ordre public du trouble causé par l'infraction ou pour protéger l'inculpé, pour mettre fin à l'infraction, pour prévenir son renouvèlement ou pour garantir le maintien de l'inculpé à la disposition de la justice ; ou lorsque l'inculpé se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire62(*). Au regard de tout ce qui précède, on se demande s'il est possible de concilier le maintien de l'ordre public et les principes de la liberté avec la détention provisoire. L'ordre public et les principes de liberté étant deux notions constitutionnelles qui doivent être respectées. Ainsi notre démarche nous conduira à étudier les conditions générales de la détention provisoire (Section 1). Il conviendra ensuite d'envisager la détention dans la pratique et le système réparateur en cas de préjudice subi (Section 2). * 45 Art., 77-2 et 77-3 du C.P.P français. * 46 Car les compétences du J.I sont plus nombreuses que celles du J.L.D. En effet le J.L.D n'est compétent qu'en cas de privation de liberté et en France il y a un J.I qui n'a pas les mêmes compétences que celui-ci. Mais au Mali, c'est le J.I qui est compétent dans l'un ou dans l'autre cas. * 47 Action disciplinaire ou en dommages-intérêts contre le policier fautif pour l'essentiel. * 48 Le 17 Juillet 1970 pour les affaires d'atteinte à la sûreté de l'Etat et le 2 Février 1981 pour certaines infractions de violence. * 49 Art. 63-1 et 171 du C.P.P de la France. * 50 Crim., 15 et 22 Octobre 1959, B.C., n° 435 et 457. * 51 Crim., 23 Avril 1992, D., 1992, Somm., 322, obs. J. Pradel. * 52 Il s'agit des droits créés à partir de la loi du 4 Janvier 1993 et énoncé à l'article 63-1, al. 1 du C.P.P français. * 53 Crim., 16 Juillet 1995, B.C., n° 258. * 54 Crim., 30 Avril 1996, B.C., n° 182. * 55 Par exemple cas d'ivresse de l'intéressé, impossibilité de notifier les droits sur la voie publique * 56 Constitution du Mali de 1992 et de la France de 1958. * 57 J. PRADEL, L'instruction préparatoire, CUJAS, 4è éd., 1990, p. 587. * 58 C. GUERY, La détention provisoire, DALLOZ référence Dr. Pén., 2001, p. 1. * 59 J. Leblois-Happe, Le placement en détention provisoire, AJ Pén., octobre 2003, p.9. * 60 G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, Précis de procédure pénale, 19e éd., DALLOZ, 2004, p. 675 et s, n°732 et s. * 61 Art. 122, al. 2, C.P.P du Mali. * 62 Art. 123, C.P.P du Mali. |
|