3.3. Flux et pertinence
En d'autres termes, l'objectif stratégique d'un
média est de trouver la pertinence temporelle : dans une économie
de l'attention gouvernée par la surcharge informationnelle, il faut
être le plus pertinent ; les lecteurs sont face à une abondance de
sources d'information, et ne liront pas l'information sur une
multiplicité de source, mais sur la plus saillante à leur
attention. En d'autres termes, il faut capter le « moment opportun »
au sein du flux, le kairos de chaque événement
d'écriture27, faisant de chacun de ces
événements une source de réflexions stratégiques
sur la temporalité de l'événement : quel est le moment
propice, pertinent, au dépôt de l'information mise en forme au
sein du flux temporel ? Est-il plus opportun de retarder ce moment en prenant
le temps de mettre en forme l'information en ajoutant de l'information ou
est-il plus opportun de choisir la stratégie de la rapidité
d'action ? Questions qui entourent les enjeux stratégiques de
l'organisation médiatique.
Avec internet, cette pertinence temporelle revêt une
double dimension : dans son pan continuum, processuel, le territoire se
construit par une présence continue, qui permet d'accumuler un capital
attentionnel, en même temps qu'il nécessite de composer avec les
algorithmes des RSN, que nous pourrions qualifier d'algorithmes d'aide à
l'attention28. Dans son pan événementiel, le
territoire doit composer entre rapidité et valeur ajoutée. Comme
le souligne Goldhaber (1997) : « it is hard to get new attention by
repeating exactly what you or someone else has done before, this new economy
(of attention) is based on endless originality. » En d'autres termes,
dans l'information overload et l'économie de l'attention, les
acteurs ne veulent pas recevoir une redondance d'information ou de contenu,
mais au contraire allouer de manière optimale leur attention et donc
leur temps d'interaction avec les contenus. Deux solutions se présentent
aux créateurs de territoires : la rapidité, en d'autres termes
être premier sur l'information, ou une forte valeur ajoutée, i.e.
une originalité de mise en récit de l'information au sein du
milieu. Les pure-players optent généralement pour une
stratégie mêlant les deux approches : la rapidité
(être le premier à voir le mail envoyé par l'attaché
de presse, le premier à voir l'information circuler sur un profil d'un
RSN, etc.), qui reste relativement aléatoire, l'information étant
diffusée à une masse, les chances d'être le premier sont
minimes et s'étendent à une courte période
(exceptés les négociations d'exclusivités de diffusion
d'information, et encore les chances que cela reste une exclusivité sur
une longue période sont très faible, le copier-coller faisant
légion et son coût est quasi-nul). La valeur ajoutée,
c'est-à-dire une originalité de la mise-en-récit de
l'information, prend de son côté du temps mais également
des connaissances sur le sujet traité, mais peut être un motif de
captation de l'information. Ces deux rapports à
l'événement restant encadrés par la pertinence sur le plan
processuel : une information relayée sur une page Facebook peut
être
27 Comme le souligne D'almeida (2001:70) « la
réussite professionnelle passe par la maitrise du kairos »
28 La question des constructions algorithmiques
d'aide à l'attention n'est pas sans poser de question : « les
logiques d'inscriptions de traces sont en effet influencées par les
industries de la recommandation, faisant peser le risque de passer du
rêve d'une mémoire sans contrainte à une mémoire
sous contrainte. » (Ertzschied&al.,2013:2)
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rapide et / ou avec beaucoup de valeur ajoutée, si
l'algorithme PageRank ne joue pas en faveur de la page, il y a peu de chance
pour capter l'attention, et beaucoup pour que cette dernière soit
capté par un autre média.
Cependant, ce passage de la périodicité au flux
soulève de nouvelles questions quant aux rapports entre les actants du
système, puisque la coordination, la synchronisation entre actants
devient centrale. Ainsi, les rythmes des différents actants doivent
concorder, se répondre, se compléter, dans des organisations
disloquées dont les membres ne sont pas continuellement présents
et/ou dans le même lieu géographique. Cependant, les rythmes et
les pratiques de travail traditionnels ne concordent pas à une logique
de flux, logique de flux qui peut être synchronisée aux
médias par les outils techniques.
Ainsi, dans un contexte d'information overload,
comment le numérique, dans sa matérialité et ses supports,
ou plutôt dans leur non-existence, et dans les mythes qui les
accompagnent, configure-t-il l'existence du territoire Ñ en tant qu'il
est marque dans la temporalité Ñ, et en quoi le passage d'une
temporalité en périodicité à une temporalité
en flux soulève-t-il un certain nombre de questions vis-à-vis des
pratiques professionnelles ?
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