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Média, support, temporalité : le cas des pure-players de presse.

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par Colin FAY
Université Rennes 2 - Master Information et Communication 2014
  

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3.2. De la periodicité au flux-sédimentant.

Selon Ricoeur (1983), l'expérience humaine du temps n'est possible que par le processus de mise-en-intrigue, c'est-à-dire par la construction d'un récit qui s'inscrit dans une traditionnalité, cette dernière se manifestant par la dialectique entre l'innovation et la sédimentation (Ricoeur, 1983 : 133).

La sédimentation est l'ensemble des règles, des normes présentes qui influencent l'écriture et qui sont dues à l'accumulation des manifestations passées d'écriture. C'est l'ensemble du cadre architextuel qui encadre l'écriture. En effet, « tout texte est placé en abîme dans une autre structure textuelle qui le régit et lui permet d'exister » (Souchier, 2003 : 23), toute nouvelle écriture sur un territoire s'inscrit dans et vient participer à la sédimentation. Cette sédimentation est l'accumulation des traces passées, la mémoire, qui vient configurer à la fois les souvenirs et les horizons d'attente du lecteur, mais aussi l'écriture du narrateur, conscient de s'inscrire dans cette sédimentation. Mais ces normes ne sont pas absolues, puisque l'innovation est toujours présente, en tant qu'autre volet de la traditionnalité. En effet, bien que s'inscrivant dans une forme de sédimentation, « ce qui est produit (...) est toujours une oeuvre singulière. » (Ricoeur, 1983 : 134) Autrement dit, ce qui est produit est toujours nouveau, ce n'est pas une reproduction mais bel et bien un production à part entière. Au sein de cette archistructure architextuelle qui se sédimente à travers le temps, toute nouvelle production est unique, innovante, et susceptible à long terme de bouleverser les règles auparavant établies.

Les deux volets de la traditionnalité ne sont bien sûr pas indépendants l'un de l'autre. Comme le souligne Ricoeur (1983 : 134-135) « une oeuvre (...) est une production originale, une existence nouvelle dans le royaume langagier. Mais l'inverse n'est pas moins vrai : l'innovation reste une conduite gouvernée par des règles : le travail de l'innovation ne nait pas de rien. » Ce statut paradoxale de l'écriture se manifeste bel et bien dans les médias : toute écriture sur un média est à la fois une écriture nouvelle, originale, mais pourtant reste contrainte par le cadre qui s'est précédemment sédimenté sur la page, i.e. « nous ne sommes jamais en position absolue d'innovateurs, mais toujours d'abord en situation relative d'héritiers. » (Ricoeur,1985:399-400)

Ainsi, la dualité sédimentation / innovation est présente dans toute écriture. Cependant, les médias journalistiques sur Internet transforment le fonctionnement de la temporalité des médias traditionnels, et viennent repenser cette dualité. Avec Internet, plus qu'un bouleversement des frontières, c'est les temporalités qui sont bouleversées. En effet, la temporalité s'est déplacée d'une logique de périodicité, c'est-à-dire avec distribution de la presse papier à intervalles régulières24, à une logique en flux : le système de pré-production de l'information n'est plus dépendant des systèmes de presse et de distribution, les nouveaux médias numériques « s'attaquent aux anciens médias écrits en proposant les mêmes services en faisant l'économie de la production ou de la distribution. » (Sarino, 2007:6) L'innovation ne se manifeste plus selon une régularité périodique temporelle dictée par les contraintes matérielles de production, « Internet est libre

24 Ce qui n'est pas sans impacter la profession de marchand de presse.

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de tout ça. Il n'y a pas d'heure. » (Assouline,2007:73) Les contenus peuvent naître à tout moment, sans contrainte matérielles de temporalités. Avec le net, « les désirs ou les idées, pour ne rien dire de l'actualité, ne viennent pas deux fois par semaine, c'est tout le temps ou rien » (ibid:69) Créer un territoire numérique, déposer des marques territorialisantes, c'est écrire, coder, produire au sein de ce flux. Le média crée son territoire dans ce flux, dans ce mouvement qui n'est plus périodique.

La temporalité n'en est plus la même : avec le numérique, l'innovation des médias devient processuelle, en perpétuel changement, en mouvement25. Ce continuel mouvement, créateur d'une forme d'éphémérisation du présent, d'une recherche de l'instantanéité26, remet la maîtrise du temps au coeur des stratégies médiatiques, d'autant plus que la recherche de l'instantanéité dans le flux se retrouve confrontée à un rapport particulier au contenu, dû aux supports. Alors que dans les supports traditionnels le contenu et de fait la sédimentation est limité dans le temps et l'espace, le web est créateur d'une forme de temporalité et de spatialité infinies, où le contenu n'a plus ni lieu ni temporalité propre. Ce qui est créateur d'une forme de sédimentation infinie, une hyper-sédimentation : les contenus innovants ne se chassent pas les uns après les autres mais au contraire s'empilent en se stockant sur le réseau, en tant qu'ils sont déposés au sein du flux mais restent comme trace, « le web actuel (étant) devenu presque hypermnésique. » (Ertzschied&al.,2013:1) Ainsi les pratiques du web manifestent-elles une forme de paradoxe du point de vue de la temporalité : en même temps que le présent tend à s'éphémériser par une recherche de vitesse d'innovation au sein du flux, raccourcissant les temporalités des contenus de plus en plus, l'éphémérisation est contredite par une hyper-sédimentation, une dynamique d'« hypermnésie » du contenu qui se stocke par trace, jouant la tendance vers les deux extrémités du prisme temporel, comme le souligne Merzeau (2009:7) : « c'est tout le paradoxe de cette logique : elle indexe la valeur sur l'actualité, tout en provoquant un développement sans précédents de métadonnées. »

Ainsi, l'écriture existe aux deux extrémités du prisme spontanéité / éternité, elle se veut à la recherche d'une spontanéité, directe, sur le vif, et pourtant sa pérennité est devenue quasi éternelle : la mémoire n'est plus dans l'humain mais sur le réseau même, toute écriture devient virtuellement permanente, et chaque nouvelle écriture, bien que spontanée, est prise dans une toile de rapports qu'elle entretient avec toutes les écritures qui l'ont précédées. Tout texte devient une trace, et « toutes les données que nous générons (...) nous poursuivent de leurs marques indélébiles. » (Damien & Mathias, 2009:10)

25 Étudier les médias de Presse, cours de M2 EPIC, Le Moenne C. et Étudier les communications organisationnelles, cours de M2 EPIC, Le Moenne C.

26Fondements épistémologiques des communications stratégiques, cours de M2 EPIC, Le Moenne C.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery