3.3.3. Double temporalité
Comme le souligne D'almeida (2001:44), « l'information
(est) construction de structure et de signification, mise en forme du fait
(qui) n'a de sens opératoire que restituée dans un système
de savoir et dans la perspective d'un projet. » Ainsi, l'information n'est
pertinente et ne rencontre le monde du lecteur que si elle se place dans un
cadre de mémoire et est accompagnée de ses horizons d'attente.
Cependant, dans un système de fonctionnement temporel qui distend les
bornes du rapport à la temporalité Ñ
instantanéité et éternité Ñ, il faut pour le
narrateur savoir replacer l'information au sein de ce cadre qui va borner sa
temporalité afin de « réduire le désordre
engendré par le saillant de l'événement en constituant
autour de lui une matrice d'intelligibilité. »
(Arcquembourg,1996:35)
Aussi, dans une situation de flux informationnel,
l'information est toujours en train de se produire : comment faire le tri ? Au
sein de l'équipe, qui écrit sur quel sujet ? On constate sur PP
une double temporalité des articles : les article à forte
réactivité, qui sont traités sous forme de news et qui
sont plus brefs en contenus, ainsi que les articles à forte valeur
ajoutée, qui sont des articles « de fond », appelé dans
l'équipe « articles longs », s'articulant autour de
thèmes généraux (à pertinence temporelle
relativement longue), et traités dans des contenus écrits plus
longues. Il faut savoir jongler entre ces deux formes de temporalités :
à la fois être réactif sur le court terme, traiter dans
l'instantanéité, en même temps que traiter des sujets plus
« de fond », i.e. dont la pertinence temporelle n'est pas
limitée à des bornes temporelles courtes autour de
l'écriture. Sur PP, il s'agit par exemple de traiter des sujets
d'actualité Ñ sortie d'album, de clip, événements,
etc. Ñ, mais aussi savoir toucher des sujets dont l'information est plus
longue, voire sans aucune pertinence temporelle réelle Ñ un
article qui pourrait être publié à un an ou plus de
différence sans qu'il n'en perde de son intérêt de
lecture.
Cette seconde catégorie d'article traite de
récit qui ne s'attache pas à un événement
borné par des frontière définies par un temps, un
récit qui n'est pas clairement borné autrement que par le
thème qu'il traite, i.e. par l'intrigue qui l'embrasse. Cette forme
d'articles « prend ensemble et intègre dans une histoire
entière et complète les événements multiples et
dispersés, et ainsi schématise la signification intelligible qui
s'attache au récit comme un tout. » (Ricoeur,1983:10) En d'autres
termes, alors que la première forme d'écriture s'attache à
l'unique, à l'événement en tant qu'il est « ce que
des êtres agissants font arriver ou subissent » (ibid:173) de
manière ponctuelle, attaché à l'unicité d'une
action qui survient, la seconde forme d'écriture, à
temporalité longue, s'attache à reconstruire l'histoire d'une
pluralité d'événement, au travers d'une intrigue qui les
unit. Un rapport diachronique et synchronique s'attache à ces deux
formes : la première forme d'écriture tend à symboliser
une synchronie entre le moment de l'événement et le moment de
l'écriture, la seconde forme insiste sur la diachronie entre l(es)
événement(s) et l'écriture Ñ et ipso facto une
synchronie et une diachronie de lecture.
Pour exemplifier cette différence entre ces deux
temporalités, nous allons prendre les 5 articles publiés le
12.03.14 sur PP. Le premier (1) de la journée est la citation d'un tweet
fait par une artiste deux jours avant. Le second (2) propose l'écoute en
streaming de l'EP d'un duo, possible sur un site extérieur jusqu'au
17.03.14. Le troisième article (3) propose la découverte d'une
création culinaire
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d'un cuisinier ayant posté sa création sur
Instagram deux jours avant l'écriture de l'article. Le quatrième
(4) est un article sur six gadgets promotionnels originaux. Le cinquième
(5) est un clip, sorti le jour même.
Parmi ces cinq articles, quatre sont synchroniques, et un seul
possède un caractère diachronique : il regroupe six objets
promotionnels reçus par la presse entre 2008 et 2013. Alors que la
réception de ces six objets reste, pour chacun, un
événement ponctuel, borné dans le temps, c'est par la
création d'une intrigue thématique que l'écriture de cet
article est possible : c'est la thématique de « gadget insolite
» qui permet de créer cet événement d'écriture
et le rendre préhensible par la lecture. Sur les quatre articles
synchroniques, nous pouvons y lire une modalité qui accroche au
présent, avec une forte utilisation du passé composé
« a dit », « l'a fait », « a inventé » ou
encore « a dévoilé », voir tout simplement
l'utilisation du présent « découvrez » ou « est en
écoute » dans le titrage des articles. À l'inverse,
l'article (4), diachronique, possède un titre sans temporalité.
On retrouve également cette diachronie dans le chapeau de l'article :
« longtemps », et « souvenez-vous ». Dans le contenu de cet
article, les verbes marquent clairement le décrochage diachronique entre
le moment d'écriture et le moment de l'événement «
était », « lança », « avait glissé
», ou encore « offrirent ». Un usage de l'imparfait, temps du
décrochage, que l'on ne retrouve à aucun moment des quatre autres
articles. Qui plus est, cet article diachronique, dont
l'événement le plus proche est d'une année
précédente, pourrait très bien être écrit une
année plus tôt, au moment de la réception de l'objet de
2013, mais pourrait très bien sortir sur la plateforme une années
plus tard que la date de parution.
Sur ces cinq articles, le diachronique possède plus de
contenu au niveau écriture. En effet, le (1) possède 298 mots,
(2) 278 mots, (3) 266 mots, (4) 876 mots et le (5) 234 mots. Le seul a avoir
été écrit par un pigiste est le (4), le diachronique
possédant le plus de mots. On constate ainsi sur PP une distribution
particulière de ces deux formes d'écritures : alors que les
rédacteurs attitrés jonglent entre ces deux modèles, le
recourt aux pigistes se fait toujours pour des articles diachronique, ce sont
des articles dont le paiement est compté, et qui sont plus longs,
demandant plus de recherche et de temps d'écriture, qui se jouent dans
des planifications plus grandes, notamment pour des contraintes logistiques :
le pigiste propose des sujets au rédacteur en chef, qui ensuite demande
validation à la marque, une fois le sujet validé, le pigiste a
quelques jours de rédaction avant que le sujet ne soit mis en ligne. En
même temps, si nous prenons le nombre moyen de lectures sur les articles
écrits par quatre pigistes, nous constatons que nous trouvons une
moyenne de lectures de 4873 / 5982 / 4138 et 4316 Ñ rappelons que le
nombre moyen de lectures est de 2345. Nous constatons que le travail des
pigistes est signe d'une valeur-lecture double, par rapport à la
valeur-lecture moyenne du site.
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