3.3. Vitesse et information
3.3.1. Les source
La recherche de la vitesse dans l'économie de
l'attention a changé le rapport à l'information : le recul est de
moins en moins présent, et le copier-coller se répand de plus en
plus, laissant de moins en moins de place à la vérification et de
plus en plus de place à la rumeur 94 . Comme nous l'avons vu
plus tôt, les lecteurs sont victimes de la vitesse de lecture : en
pénurie temporelle, ils lisent de plus en plus d'informations, dans une
tendance à l'accélération de cette lecture. Ce qui a pour
effet de leur laisser moins de temps de lecture tout en vivant dans une
tendance au partage et à l'interaction de plus en plus fort Ñ
nous avons par exemple vu que le partage d'article pouvait être fait sans
même avoir lu l'entièreté d'un article, voire ne pas avoir
été lu du tout. Cette tendance touche les lecteurs, mais n'est
pas sans influencer les pratiques des narrateurs, ce qui pose certaines
questions quant à la valeur des écrits : dans la course à
l'attention et à la rapidité, il faut être le plus rapide,
tout en ajoutant de la valeur à l'information.
Cette recherche d'une valeur d'information suppose une
surveillance accrue de l'environnement : être le premier, tout comme
être créateur de valeur ajoutée, supposent une conscience
importante des territoires concurrents mais également du sien, i.e. une
« une surveillance généralisée de l'environnement
interne et externe maximale sur le cadre dans lequel se déroule
l'activité économique. » (D'almeida, 2001:40) Dans un milieu
d'abondance informationnel, « an information-rich world »
(Simon,1965), la rareté devient une richesse concurrentiel95,
redoublant le travail de veille des acteurs écrivant sur le territoire :
en plus de repérer les nouveautés, la rareté, ces derniers
se doivent de connaître ce qui n'est l'est pas Ñ i.e. ce qui est
redondant, ce que les concurrents disent déjà. En d'autres
termes, en plus de recevoir les informations nouvelles, les narrateurs doivent
connaître ce que font les autres ; ils doivent aussi avoir une
connaissance aigüe de l'intérieur de leur territoire : l'usage de
signes passeurs est crucial, tout comme celui d'une pertinence temporelle, la
mise en page respectée ainsi que la catégorisation
influencée par le CMS. Nous voyons donc que la veille est centrale aux
activités des médias en ligne. Elle l'est déjà dans
les médias traditionnels, cependant les nouvelles temporalités
rendent plus aiguisés les besoins de veille des médias en ligne :
la revue de presse périodique, pratiquée dans les médias
traditionnels, n'a plus de pertinence temporelle : celle-ci doit être
constante, en flux, et même « si le travail de revue de presse a
toujours existé, il prend une importance particulière sur le net
puisque les journalistes sortent très peu de la rédaction. »
(Degrand,2012:276)
Les processus de veilles informationnelles mis en place par
les différents narrateurs de la plateforme jouent ainsi un rôle
crucial dans ces processus de production de l'information : comment ces
derniers accèdent-ils à l'information ? Comment, au sein des
nombreuses informations, relèvent-ils celles qui sont
94 Étudier les médias de presse, cours de
M2 Epic, Thomas D.
95 « what count most is what is most scarce. »
(Goldhaber,1997)
Nous avons déjà développé plus
haut l'importance de la rareté de l'information, notamment
exemplifiée par le rapport au nombre de lectures et à
l'utilisation du terme exclusif dans le titre des articles, permettant
d'augmenter massivement le nombre de lectures de l'article.
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pertinentes ? En plus de l'adresse mail sur laquelle les
narrateurs sont potentiellement joignables, ils mettent en place de leur
côté les systèmes de veille pour surveiller les
écritures sur d'autres plateformes, et les journalistes web «
assument pleinement qu'ils pratiquent une veille informationnelle, tout en
s'inspirant volontiers des contenus produits par leurs concurrents. »
(ibid:276) Placés dans cette situation, les narrateurs sont dans une
position de lecteurs, et confrontés aux même enjeux que le reste
des lecteurs : ils doivent traiter de l'information dans une grande
rapidité, face à d'autres narrateurs et d'autres territoires dont
la légitimité leur échappe. Tout comme les lecteurs
simples, ils peuvent être trompés, déroutés par les
écrits trouvés sur d'autres territoires. Pour reprendre l'exemple
du Gorafi, que nous avons déjà abordé plus haut, plusieurs
pure-players avaient repris des informations publiés sur ce site
pourtant indiqué satirique.
Les configurations de contact mises en place sur la plateforme
sont également influentes sur l'accès à l'information des
journalistes : quel mail est donné sur la plateforme ? L'adresse mail
est elle indiquée ou faut-il passer par un formulaire de contact ? Sur
PP, une seule adresse générale de contact est donnée,
évitant ainsi aux différents narrateurs d'être
contacté directement, ou de se retrouver inscrits sur des listes de
newsletter. D'autres pure-players proposent quant à eux de pouvoir
contacter directement un narrateur. Sur PP, cette adresse de contact n'est pas
accessible par tous les narrateurs Ñ notamment les pigistes, qui n'ont
pas possibilité de consulter cette boite. Pourtant, certains pigistes,
qui pourraient se révéler experts sur des sujets, seraient
à même de traiter l'information autrement oubliée sur cette
boite. De plus, cet usage grandissant des adresses mails n'est pas sans impact
: « les outils de messagerie électronique finissent de
`sédentariser' le journaliste en ligne. Désormais, les lecteurs
et informateurs en tous genres peuvent directement interpeller les journalistes
via leurs adresses professionnelles. » (ibid:280)
Ainsi, à l'heure où la veille devient de plus en
plus cruciale, les narrateurs se placent en position de lecteurs et sont
confrontés aux mêmes complications et tensions que leurs lecteurs
: légitimité, information overload, propagation de la
rumeur, contextualisation, etc. D'autant plus face à un usage croissant
des RSN : en 2009 déjà, une étude Middleberg/ SNCR
menée auprès de 341 journalistes révélait que 70 %
des journalistes étaient utilisateurs de RSN, et 48 % de sites de
microblogging.
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3.3.2. La tentation du copier-coller
Au sein d'un média, il faut que les narrateurs
évitent le plagiat (pour des raisons juridiques), le copier-coller, la
reprise, et donc apporter une forme de valeur ajoutée à toute
écriture Ñ pour des raisons de valeur, de captation de
l'attention96. Cependant, il est indéniable que les
journalistes web « s'inspir(ent) des contenus produits par leurs
concurrents » (Degrand,2012:276). Degrand cite dans son travail un
journaliste qui témoigne de cette pratique de surveillance et de reprise
des contenus des concurrents : « dans tous les cas, il faut publier au
moins tout ce que les autres ont fait, et si possible des choses que les autres
n'ont pas faites. » (J. web, RTBF, Août 2009, cité dans
ibid.) La reprise n'est bien sûr pas seule source d'écriture, mais
elle revêt « une importance particulière sur le net puisque
les journalistes (web) sortent très peu de la rédaction »
(ibid) : les journalistes web, de plus en plus, pratiquent une activité
sédentaire Ñ i.e. ne quittent par leur bureau Ñ qui les
entraine à pratiquer une forme de recomposition de l'information (Van
Cranenbroeck,2012). De moins en moins enclins à se rendre sur le
terrain, ils doivent composer avec les écrits qu'ils rencontrent sur le
net, ou par téléphone. En d'autres termes, au sein de
l'hétérogène et du diffus de l'information, il faut «
que tout soit agrégé, puisque séparément, (les)
caractéristiques existent déjà. » (ibid, 11-12) Le
journaliste web compulse de l'information, des données, pour analyser et
être le constructeur du récit de son article.
Les narrateurs, dans la course à l'information et
à la réactivité, sont influencés par les
écritures de leurs concurrents / collègues : au risque de
succomber au journalisme de reprise, les journalistes web surveillent les
écritures du milieu médiatique dans lequel ils évoluent.
La tentation du copier-coller devient importante dans la recherche d'une
rapidité et d'une quantité grande. Comme le souligne Merzeau
(2012:312) « il est temps de réhabiliter le copier-coller comme
paradigme d'un nouvel âge médiologique. » Le copier-coller
devient une pratique qui est à la portée de tout journaliste web
: comme nous l'avons vu plus tôt, le coût de production d'un
article sur le web peut être quasi-nul en coût de production, le
copier-coller le rend d'autant plus bas, sachant qu'il réduit la
temporalité de production, tendant vers la quasi non-existence de cette
dernière : il ne suffit que de quelques minutes, voire secondes, pour
copier-coller un contenu concurrent, ou un communiqué de presse,
directement dans un pure-player. En quelques sortes, le copier-coller «
sert à rassurer et à contenir l'infobésité dans un
temps limité » (ibid: 314) : le traitement quasi-immédiat,
instantané de l'information par un simple copier-coller laisse un
sentiment de complétude, puisque l'information n'est pas oubliée,
mais bel et bien traitée. Pourtant, elle ne l'est que de manière
superficielle : elle n'est que copie, réplique de l'information
déjà traitée Ñ donc sans valeur ajoutée de
la part du média, mais aussi confrontée aux dangers d'une telle
pratique : la vérification s'envole, donnant foi directement à la
source.
La généralisation de cette pratique
révèle un « paradoxe de la culture médiatique : la
fraîcheur comme valeur clé de l'actualité, mais pratique
à grande échelle du recyclage. » (Marion,1997) La
définition de valeur de l'information
96 Une nouvelle fois : « it is hard to get
new attention by repeating exactly what you or someone else has done
before, this new economy is based on endless originality, or at least
attempts at originality. » (Goldhaber,1997, nous soulignons)
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s'échappe, la valeur ajoutée disparaissant dans
le copier-coller, pourtant soutenu par une recherche continuelle de contenu,
produit en quantité et en rapidité. PP ne pratique pas cette
tendance au copier-coller, préférant mettre en écrit
l'ensemble de ses articles Ñ notamment pour prendre le temps
d'insérer des signes passeurs dans ses textes. Cependant, nous pouvons
remarquer une tendance de certains pure-players à utiliser cette
technique, notamment la copie de dépêches AFP ou de communiquer de
presse97, rendant l'information fondamentalement redondante d'une
plateforme médiatique à une autre, qui se contentent parfois de
simplement changer le titre de l'article, parfois en changeant les
premières lignes seulement Ñ une technique qui peut se
révéler pertinente, sachant qu'un grand nombre de lecteurs ne
font que lire les premières lignes d'un article98. Nous
pouvons notamment retrouver un grand nombre d'article dont la mention AFP est
faîte en place et lieu de signature, voir en combinaison du nom signant
l'article.
Cependant, face à ce genre de pratique (Signature avec
AFP), comment juger de la valeur du travail ? Le narrateur, qui se contente
juste de copier le texte dans son logiciel, effectue-t-il un travail de
journaliste ? Quel recul offre-t-il à l'information ? Dans quelle mesure
est-il capable de répondre du questionnement de ses lecteurs, à
l'heure où ces derniers interviennent sur les RSN ? Également,
comment juger de la fiabilité Ñ ou non Ñ d'une information
?
97 « Les journalistes doivent massivement se
détourner de la production propre d'articles pour préférer
les recompositions rapides d'articles préexistants ou le
`bâtonnage' de dépêches. » (Degrand,2012:273)
98 Voir étude HubSpot et Slate citée
précédemment.
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