3.2.2. Le choix des signes
La recherche de la rapidité peut conditionner le choix
de la nature des signes : l'image et le son sont importants, puisque plus
immédiats. Cependant ces choix de signes multimédias ne sont pas
anodins : un événement ne se raconte et ne se lit pas de la
même manière si on y intègre simplement du texte ou si on y
met une image, une vidéo ou du son. Comme le souligne Barthes (1957:195)
: « l'image est (...) plus impérative que l'écriture, elle
impose la signification d'un coup, sans l'analyser, sans la disperser. »
En effet, « il se pourrait que les mots, et même pire les arguments
(É) soient devenus trop lents pour la vitesse du monde de la
modernité tardive. » (Rosa,2010:76-77) Même si le texte est
toujours présent, on voit l'image se diffuser massivement.
Sur PP, pas un seul article ne se trouve dépourvu
d'image illustrative. Il en va de même pour les RSN : aucune publication
sur Facebook n'est faite sans image Ñ le système de gestion du
fil d'actualité incitant d'ailleurs à l'utilisation des images.
Il en va de même sur Twitter : sur notre corpus de 100 tweets, 66
possèdent une image ou un lien vers Instagram. Pour reprendre l'exemple
du live-tweet que nous avons déjà analysé, sur 25 tweets,
20 contiennent une image (directement ou sur Instagram). PP a par la suite de
cet événement publié deux articles pour faire le bilan de
ce festival. Un premier intitulé « Le bilan de PP », un second
« F en 5 photos Instagram ». De prime abord, nous constatons un bilan
basé sur l'image, avec l'article en 5 publications Instagram, les deux
conjoints dans le résultat de recherche affichant, pour l'article «
Le bilan » 56 partages, l'article « en 5 photos » 228 partages.
Un premier niveau de lecture montre déjà une popularité
plus importante de l'agrégation d'images. En second niveau de lecture,
nous constatons que l'article de photos Instagram compte 4991 lectures, soit
deux fois plus que l'article bilan et ses 2655 lectures, confirmant la
popularité de l'appel à l'image. Cependant, si nous nous
concentrons sur le contenu, nous pouvons constater que l'article bilan comporte
lui aussi cinq photos tirées d'Instagram91. Nous voyons sur
cet exemple l'importance de l'appel à l'image : titrer la
présence de photos Instagram récolte deux fois plus de lecteurs
que la simple mention d'un bilan Ñ l'article bilan comptabilise un
nombre proche de la moyenne générale de lecture de PP (2345
lectures en moyenne par article), alors que l'article de photos comptabilise
deux fois plus de lectures que la moyenne. Pourtant, les deux articles
révèlent la même quantité d'image Instagram Ñ
l'article bilan contenant d'ailleurs plus d'images que l'article photo.
Comme le souligne Wollast (2012:21) « la force narrative
de l'image n'est pas à négliger. » Le choix des signes n'est
pas neutre, et sous-tend une caractéristique fondamentale du langage :
tout langage est action, dans le sens d'action de détermination,
c'est-à-dire influant sur la manière dont
l'événement va être reçu. En effet, comme le dit
Quéré (1994:27) : « l'explication d'un
événement, et plus largement sa «normalisation»,
dépendent de la description sous laquelle il a été
placé, et plus précisément encore de la sémantique
des termes utilisés. » Quel impact le numérique a-t-il sur
ce choix sémiotique ? Tout d'abord, comme nous venons de le voir, la
plateforme numérique impose des formats de mise en page : image en
en-têtes, catégorisation dans les catégories
pré-existantes, mots-clés, etc.
91 Plus une vidéo et un lecteur de musique.
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De plus, le numérique est un dispositif
multi-médias, encourageant l'insertion de signes de toutes sortes : des
textes sont confrontés à des images, des vidéos, de la
musique, etc. Cependant, ces choix de signes multimédias ne sont pas
anodins : un événement ne se raconte et ne se lit pas de la
même manière si on y intègre simplement une image ou si on
y met une vidéo avec son. La lecture est aussi orientée par
l'image qui sera choisie pour servir d'en tête à l'article : les
images Ñ utilisées en en-tête sur le site mais aussi sur
les RSN Ñ sont créatrices d'une première étape d'un
« contexte de description » (Quéré,1994:23) qui
engendrera chez le lecteur un premier horizon d'attente.
Nous voyons donc que « les images sont évidemment
plus rapides que les mots, sans même parler des arguments ; elles ont des
effets instantanés, bien que largement inconscients. »
(Rosa,2010:76) Cependant, cet usage massif de l'image n'est pas sans impact sur
les lecteurs, puisque les images ont tendance à provoquer « des
réactions viscérales qui sont largement ou même
complètement immunisées contre le pouvoir des meilleurs
arguments. » (ibid) Ce que souligne également Lits (2008:24) :
« à la différence de l'écrit qui est toujours un
regard distancié par rapport au réel dont il rend compte, l'image
n'implique pas une grande distanciation »
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