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Média, support, temporalité : le cas des pure-players de presse.

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par Colin FAY
Université Rennes 2 - Master Information et Communication 2014
  

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3. Vitesse

3.1. Le mythe

3.1.1. Cadre général

Tout territoire s'entoure de ses mythes, au sens où Barthes (1957) l'entend. « Le mythe est une parole », « un système de communication, (...) un mode de signification » (193), « une seconde langue dans laquelle on parle la première » (200). Le mythe est un méta-récit (au sens de récit des récits) dans lequel s'enchâssent par analogie tous les sous-motifs narratifs, toutes les productions symboliques de l'action, en tant que le mythe est une ligne directrice postulée par l'analogie de tous les symboles produits, et permettant de formuler des hypothèses sur ce qu'il est possible ou non de signifier, et qui acquiert un caractère normatif influant sur la possibilité ou non des actions au sein de l'organisation. Le mythe est le récit présentant la signification des significations, le récit des récits, le méta-motif narratif encadrant l'ensemble de l'action au sein du système, la « parole (...) instituant un ordre, un temps, un sens. » (D'almeida, 2001 : 11) C'est ce récit mythique, en tant qu'il est un « total de signes, un signe global (... qui) a pour charge de fonder une intention historique en nature, une contingence en éternité » (Barthes,1957:199-229) qui permet de donner à l'action globale un sens, et permet de la situer dans la durée : il rappelle ce qui était, définit ce qui est, et préfigure ce qui sera. C'est « une sorte de mémoire collective, (É) une histoire que tout le monde connait déjà » (Lits,2008:13-16), autrement dit, une « idée socialisée. » (Debray,1991:45)

Un territoire ne se compose pas que d'un seul mythe, mais d'un véritable écosystème de mythes qui vivent ensemble et peuvent parfois devoir se réguler pour cohabiter. PP conjugue plusieurs récits mythiques qui cohabitent, se complètent, s'affrontent. PP existe derrière le mythe de la presse musicale, à la recherche d'actualités et de nouveautés, de contenus exclusifs et, en tant que professionnel, de qualité. En même temps, son statut numérique diffuse le mythe de la spontanéité, de la rapidité, de la vitesse de l'information, imposant à l'équipe rédactionnelle de se conformer à ces temporalités. Aussi, en tant qu'il est financé par une marque, intervient le mythe de l'outils promotionnel : le contenu se doit d'être grand-public, pouvoir toucher le plus grand nombre de lecteurs et ramener le plus de lectures, et, toujours, proposer du contenu de qualité professionnelle. Ainsi entrent en tension plusieurs mythes qui pourtant cohabitent : exclusivité et rapidité d'information mais en même temps grand public et de qualité professionnelle (donc demandant du temps de réflexion, de vérification et de rédaction). L'équipe rédactionnelle doit donc composer le territoire selon ces divers mythes, tout en sachant que certains points dissonent, ce que l'on peut constater sur certaines réactions inscrites sur les RSN : la chronique d'un album reprochée d'être en retard « ouai ça fait quatre jours qu'il est sorti! », appuyant un prétendu retard, ou un clip gratifié d'un « ah non pas vous PP », sous-entendant par le même biais que le morceau pourtant populaire n'a pas sa place sur la plateforme.

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C'est ainsi que se forment les mythes, comme des hypothèses d'actions tirées d'une expérience historique, en tant qu'ils symbolisent une certaine norme d'action tirée de la régularité, il sont « une parole choisie par l'histoire » (Barthes, 1957:194), devenue créatrice d'horizons d'attente : proposer l'écoute exclusive d'un album attendu devient l'exemplarité du mythe du pure-player de presse musicale, en tant qu'il s'exprime derrière le concept78 de « dénicheur », « d'exclusivité » ; proposer des articles sur des artistes que les journalistes savent grand public deviennent l'exemplarité du mythe promotionnel derrière le concept de « grand public » ; publier des news le plus rapidement possible est l'exemplarité du mythe du web s'étalant dans le concept de la « rapidité », de « l'accélération ».

Cependant, ce contenu du concept n'est pas stable, fixe. Il est beaucoup trop vaste pour être saisi en tant que contenu autrement que par son concept, c'est-à-dire que « le savoir contenu dans le concept mythique est un savoir confus, formé d'associations molles, illimitées. » (ibid:204) Internet renforce ce caractère vaste, illimité. Internet est un milieu potentiellement infini, le savoir conceptuel dans les mythes numériques des pures-players en devient fondamentalement insaisissable, indéfini, illimité, et les horizons d'attente des parties prenantes deviennent plus complexes à saisir : quelles temporalités ? Quelles thématiques ? Quelle forme de discours ?

Ainsi les mythes, tirés d'une expérience historique, symbolisant une certaine norme tirée de la régularité, sont « une parole choisie par l'histoire » (Barthes, 1957:194) créatrice d'horizons d'attente derrière des concepts. Cependant, ce concept n'est pas stable, fixe. Il est beaucoup trop vaste pour être saisi en tant que contenu autrement que par le symbolisme de son concept, puisque « le savoir contenu dans le concept mythique est un savoir confus, formé d'associations molles, illimitées. » (ibid:204) Internet renforce ce caractère vaste, illimité et les horizons d'attente des parties prenantes deviennent plus complexes à saisir. Sachant que, comme le souligne Marion (1997:79), « chaque média possède (É) un `imaginaire' spécifique, sorte d'empreinte génétique qui influencerait plus ou moins les récits qu'il rencontre ou qu'il féconde », en d'autres termes, sachant que chaque média véhicule ses propres mythes, comment prendre en compte le mythe spécifique au pure-player, i.e. la particularité temporelle créée par son rapport aux support, et quelle influence sur leur activité ?

78 « le concept est un élément constituant du mythe : si je veux déchiffrer des mythes, il me faut bien pouvoir nommer des concepts » (Barthes,1957:205)

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3.1.2. Le mythe de la vitesse

Ainsi, le numérique impose ses mythes. Comme le souligne Debray (1991:229), « une médiasphère79 organise un espace temps particulier, c'est-à-dire qu'elle se caractérise par un régime de vitesse techniquement déterminé mais intellectuellement et socialement déterminant. » (Debray,1991:229) Sous cette idée se dessine l'impact de la technique sur la temporalité, créateur d'horizon d'attente. La rapidité et l'immédiateté rendues possibles par le numérique (le « régime techniquement déterminé » de l'accélération) sont créateurs d'horizons d'attentes de la part des acteurs, qu'ils soient narrateurs ou lecteur (i.e. « le régime intellectuellement et socialement déterminant »).

Le régime de temporalité Ñ de « vitesse » Ñ imposé par un outil est créateur d'horizons d'attente, il est prédictif, inférentiel. Comme le souligne D'almeida (2001), la temporalité imposée par les nouveaux outils numériques n'est pas sans impact : « à un moment où l'horizon économique s'étend spatialement, le temps sous la forme de la vitesse dev(ient) un argument concurrentiel décisif80, (et) l'urgence un régime temporel normal. » (73-74) Cette vitesse, c'est le flux qui l'organise81, particulièrement conditionnée par la présence continue : organiser un stock attentionnel, dans l'information overload, impose une originalité continue Ñ les lecteurs ne veulent pas lire ce qu'ils ont déjà lu, ne veulent pas « perdre leur temps », ce que ne manque pas de souligner Rosa (2010:25) : « dans la modernité, les acteurs sociaux ressentent de manière croissante qu'ils manquent de temps et qu'ils l'épuisent ». Cette accélération, relevée par Rosa, est une accélération du nombre d'activité par unité de temps, une augmentation du rendement, qui a cette caractéristique paradoxale d'être créatrice d'une « famine temporelle »82, malgré l'augmentation supposée du temps libre que devrait engendrer l'augmentation du rendement (Rosa,2010:25-26). Cette famine temporelle se manifeste au travers de l'information overload, d'autant plus relayée par la gratuité Ñ relative Ñ des nouveaux médias internet. En effet, dans un monde où l'information vient en masse vers le lecteur, « an information-rich world » (Simon,1965), la gestion du temps alloué à la consommation d'information devient un enjeu crucial pour le lecteur, qui veut optimiser sa consommation d'informations lui semblant pertinentes. Cependant, comme l'écrit Simon (ibid:9, notre traduction) : « si l'on offre un système de gestion d'information gratuitement ou presque à quelqu'un, il va tendre à demander une quantité quasi-infinie de celui-ci. » Ici se situe le paradoxe de l'efficacité du rendement moderne face à l'information : plus un système permet de gérer rapidement l'information, d'autant plus si il agit gratuitement, plus les utilisateurs vont lui demander d'en gérer Ñ un mécanisme concurrentiel fortement implanté dans notre société, comme le souligne Rosa

79 « une médiasphère est l'application, à l'univers des transmissions et des transports, de la notion que nous connaissons bien de `milieu'. » (Debray,1991:231)

80 Navarre C. parle de chrono-compétition. (1993) « Pilotage stratégique de la firme et gestion des projets », in ECOSIP, Pilotages de projet et entreprises, Economica. Cité dans Lacroux et al. (1997).

81 « le web de flux impose son rythme : celui de l'immédiateté, du temps réel, du renouvellement permanent. » (Ertzschied&al.,2007:6-7)

82 Également définie par Rosa comme « la perception du mouvement épisodique frénétique », qui est selon lui « le critère de définition central de la transition de la `modernité classique' à `modernité tardive'. » (2010:55)

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(2010:36), rappelant l'adage « le temps c'est de l'argent » : le temps est devenu un avantage concurrentiel majeur, rendant l'accélération centrale à la capacité à faire face sur le marché, et « nous devons danser de plus en plus vite simplement pour rester en place, ou courir aussi vite que possible pour rester au même endroit. » (ibid:36)

Cette « accélération du rythme de vie » que nous venons de voir est développée par Rosa au sein d'un ensemble de trois points sur l'accélération sociale. Il y développe également l'accélération technique, qui est « l'accélération intentionnelle des processus orientés vers un but dans le domaine des transports, de la communication et de la production. » (ibid:18) C'est une forme d'accélération que nous avons déjà largement développée dans le début de ce travail : augmentation du rendement d'écriture, disparition des délais de production, annihilation des temporalités de distribution, raccourcissement des temps de communication, etc. Le troisième volet de l'accélération sociale est celui de l'accélération du changement social, qui est la « compression du présent (É), une augmentation de la vitesse de déclin de la fiabilité des expériences et des attentes et la compression des durées définies comme le `présent'. » (ibid:22). Cette troisième forme d'accélération sera vue dans la partie directement suivante. L'accélération technique ayant déjà été largement abordée dans le reste de ce travail, nous allons revenir sur l'accélération des rythmes de vies83.

Ainsi, dans cette accélération du rythme, il faut donc être le premier, le plus rapide sur une information, le plus efficient pour le lecteur. La nouveauté devient une forme de valeur ajoutée, instaurant une perpétuelle logique du changement, fragmentant les intrigues « de moyenne ou longue durée (qui) reculent à l'arrière plan du récit. » (Arcquembourg,1996:38-39) L'accent est mis sur l'événement, ou le pseudo-événement, la recherche de l'exclusivité, de la « premiere ». Cette « chrono-compétition » entraine cette recherche de l'exclusivité.

De fait, la mention de l'exclusivité dans le titre de l'article augmente le nombre de lectures moyen par article. Si l'on regarde au nombre de lectures sur PP (rappelons que le nombre moyen de lecture sur la plateforme est de 2345 lectures par articles, moyenne effectuée sur 2279 articles), nous pouvons constater que si nous faisons le nombre de lectures moyen des articles possédant le mot « exclu / exclusivité » dans leur titre, le nombre atteint 5154 lectures par article (moyenne effectuée sur 19 articles), soit deux fois plus de lectures. Si nous nous concentrons juste sur la catégorie Clips, les « clips exclusifs » (15 sur la plateforme) atteignent une moyenne de 3765 lectures par article, alors que la moyenne de la simple catégorie Clips est de seulement 1449 lectures (pour 212 clips), soit 2,5 fois plus de lectures pour les clips exclusifs. Nous constatons donc que derrière ces articles, sous-tendant le « Nous sommes les premiers » (certains pure-players utilisent d'ailleurs la terminologie anglaise « Premiere » pour annoncer les exclusivités. PP l'utilise une fois), se propage le mythe de la rapidité, de la vitesse. En plus d'une rapidité d'accès à l'information, ce type de contenu prolonge le mythe de la rapidité du gain de temps : les lecteurs parcourant l'abondance de médias ne

83 Ces trois catégories de l'accélération sont interdépendantes, et sont dans un cycle où elles s'auto-alimentent. Elles « en sont venues à s'emboiter en un système de feedback qui s'anime tout seul sans relâche. (É) Il n'y a pas de point d'équilibre, car rester immobile est équivalent à retomber en arrière. » (Rosa,2010:41-42)

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« perdent pas leur temps » à venir sur PP lorsque ces derniers proposent une exclusivité : c'est une information qui ne se trouvera ailleurs, les lecteurs n'auront pas de perte de temps à venir sur une information qui pourrait être autrement redondante. Ces exclusivités deviennent un véritable avantage concurrentiel dans le milieu médiatique, qui nourrit et se nourrit du mythe de la vitesse. En effet, « l'éloge baudelairien de la flânerie est l'antidote esthétique du culte économique de la vitesse. La lenteur fait partie de ces maux contemporains qu'il s'agit de traquer et d'éradiquer. » (D'almeida,2001:69)

Morin (1977, cité dans Lacroux et al. 1997) distingue deux formes que prend le temps, le « temps circulaire » et le « temps irréversible », le premier étant la conception répétitive de la temporalité, le second étant l'approche novatrice, changeante, innovante de l'action. Cependant, dans ce modèle de la réactivité, où il faut agir rapidement et efficacement, dans ce modèle qui « généralise le règne l'événement et de la discontinuité » (D'almeida,2001:67), la place du temps circulaire tend à être reléguée au second plan : les récits longs, en d'autres termes les mythes, s'effacent Ñ sans jamais disparaitre Ñ du discours collectif visible, laissant place à une généralisation du temps irréversible. Le « rétrécissement de l'horizon temporel à l'instant » (ibid:73) efface l'intelligibilité du mythe, du récit collectif spatio-temporel, ce qui le rend plus performant Ñ comme le soulignait Debray (1991:130) « c'est une énigme philosophique mais évidence médiologique : c'est la faiblesse théorique qui fait la force médiatique. (É) Si vous voulez toucher les gens, ne leur proposez pas un théorème, racontez leur une histoire. » En d'autres termes, moins le mythe est objectivé par les acteurs, plus il est efficient ; plus l'impression de compression du présent est véhiculée explicitement par l'illusion du direct, plus le mythe s'installe, dans une boucle auto-alimentée.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery