Média, support, temporalité : le cas des pure-players de presse.( Télécharger le fichier original )par Colin FAY Université Rennes 2 - Master Information et Communication 2014 |
2.2.3. Tension des RSNNous avons vu que les RSN sont un passage devenu indispensable pour les pure-players afin de lancer la dynamique de lecture. Cependant, cette écriture n'est pas anodine, en effet, elle fait se poser divers points de tension dans les pratiques professionnelles. D'abord, cette écriture est une activité à part entière, fondamentalement chronophage, que la présence continue soit qualitative ou quantitative : qualitative, elle nécessite de prendre le temps d'écrire une publication de qualité, de mettre une image pertinente, ainsi que les signes passeurs nécessaires ; quantitative, elle nécessite le temps de trouver de l'information, du lien à faire, des publications à retweeter, etc. C'est une activité qui prend du temps, et si elle n'est pas gérée par un actant non-écrivant, grignote sur le temps d'activité des actants écrivants. Qualitative, elle nécessite également de prendre en compte l'activité des pigistes : sur PP, ce ne sont pas les pigistes qui écrivent sur les RSN à propos de leurs articles. Il faut donc pour la personne écrivante sur les RSN avoir bien intégré le contenu de l'article, au delà d'une simple lecture, afin de pouvoir poster un contenu à-propos, mais aussi afin de pouvoir répondre correctement aux futures éventuelles interactions. La présence continue, dans son pan qualitatif, engage à une distillation des publication, c'est-à-dire à des publications qui ne se regroupent pas temporellement sur un seul point : la solution ce type de présence est la planification de post (ce que fait PP, qui planifie des publications le weekend, alors que les équipes écrivantes ne sont pas sur leur lieu de travail), en même temps que la présence des lecteurs, qui n'est plus passive mais active (ils peuvent directement répondre, commenter, partager), est continue. À tout moment il existe une probabilité de manifestation de ces écrits des lecteurs. Cependant, cette réactivité permanente, qui devient nécessaire aux vues du fonctionnement de la visibilité sur Facebook, en vient à contredire les temporalités professionnelles : l'actant s'occupant de l'activité sur les RSN ne peut pas être présent continuellement, tout comme les différents narrateurs qui ne sont pas à surveiller en permanence ce qui se dit sur leurs écrits. Ainsi, ce passage d'une communication One-to-Many à Many-to-many (les lecteurs peuvent interagir entre eux sur les RSN sans même l'intervention du média) fait entrer en tension les pratiques professionnelles : les actants du média font face à un risque s'ils laissent la communication se faire en dehors de leur vue, mais en même temps leurs temporalités professionnelles ne concordent pas avec une présence continue. Cette présence continue qualitative est créatrice d'une tension professionnelle : l'injonction à la réactivité, et donc à la rapidité, ne se coordonne pas avec les temporalités professionnelles Ñ un actant écrivant professionnel ne peut être continuellement à surveiller les interactions sur les publications de ses profils RSN. Enfin, cette inclinaison à l'interaction peut pointer du doigt un élément d'une publication sujette à polémique, et être créatrice de débats autrement non présent. Sans les RSN, nombre de point passeraient inaperçus, la réaction des lecteurs étant traditionnellement au « courrier des lecteurs », plus concis mais aussi régulé par le média. Ainsi, le média peut se voir déposséder de son article, une fois le débat lancé sur le RSN. D'autant plus que face à l'information overload, la tendance n'est pas à la vérification poussée : comme nous l'avons vu précédemment lorsque nous avons abordé le point des médias en ligne satiriques, Page 61 sur 99 Colin FAY la vérification ne fait pas partie des priorités des lecteurs, qui peuvent s'engouffrer dans des commentaires sur des articles sans en avoir vérifié le contenu, ni même le contenant. Nous avons cité plus haut L'indépendant : « apparemment peu de personnes, y compris quelques journalistes, ne lisent (la section À propos) et se jettent donc directement sur ces informations reprises comme argent comptant. » En novembre 2012, HubSpot, agence de marketing australienne, a mené une étude sur un peu moins de 3 millions de tweets contenant des liens. Les résultats montrent que plus de 16 % de ces posts analysés reçoivent plus de retweets que de clics, prouvant donc que ces 16 % d'usager ayant reposté ce contenu n'ont pas lu le contenu en lui-même. Plus de 14,5 % des posts ayant été retweetés avaient d'ailleurs zéro clic65. Slate.com a également mené une enquête en 2013 sur les comportements de lecture de ses articles66. L'étude montre qu'environ 50 % des lecteurs ne lisent pas l'article jusqu'au bas de la page. 5 % ne descendent d'ailleurs jamais, ils ne « scrollent » pas. Seulement 25 % dépassent la lecture de plus de 80 % de l'article67. L'étude montre également qu'il n'existe pas de corrélation entre la lecture (ici calculée par le « scrolling ») et le nombre de partage de l'article : « sur internet, les articles qui ont le plus de tweets ne sont pas nécessairement ceux qui sont les plus lus. »68 (notre traduction) En d'autres termes, l'article est partagé (potentiellement avec un commentaire de la part du lecteur qui partage), sans même une lecture complète. Ce que déplore (avec humour), le journaliste à propos de cette pratique, au commencement de son article : « Attendez, que faites-vous ? É Vous êtes déjà en train de tweeter cet article ? Mais vous n'avez-même pas fini de le lire ! Et si dans la suite de mon papier j'écrivais quelque chose d'affreux ? » (notre traduction) 66 h t t p : / / w w w . s l a t e . c o m / a r t i c l e s / t e c h n o l o g y / t e c h n o l o g y / 2 0 1 3 / 0 6 / how_people_read_online_why_you_won_t_finish_this_article.single.html 67 « Few people are making it to the end, and a surprisingly large number aren't giving articles any chance at all. » 68 Également : « When people land on a story, they very rarely make it all the way down the page. A lot of people don't even make it halfway. Even more dispiriting is the relationship between scrolling and sharing. Data suggest that lots of people are tweeting out links to articles they haven't fully read. » Page 62 sur 99 Colin FAY |
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