Média, support, temporalité : le cas des pure-players de presse.( Télécharger le fichier original )par Colin FAY Université Rennes 2 - Master Information et Communication 2014 |
2.2.2. RSN et temporalitéLe bouleversement des temporalités s'est également fait au sein des RSN eux-même, réglant leur fonctionnement sur deux relations au temps différentes, entrainant un rapport à la temporalité lié à la plateforme de RSN elle-même. Une plateforme comme Facebook diffère d'une comme Twitter : Facebook, plutôt que de choisir d'afficher l'ensemble des publications et de laisser le lecteur faire le tri, utilise un algorithme triant les publications, estimant que « à chaque visite de Facebook, un utilisateur a potentiellement 1500 publications d'amis, de personnes qu'il suit ou de pages. La plupart des gens n'ont pas assez de temps pour tout voir. » (Facebook for Business, news, 6 aout 2013) Facebook, sur son Newsroom, annonçait à l'arrivée de sa dernière mise à jour : « les gens veulent voir du contenu plus pertinent, et ce que leur amis proches ont à dire. (É) Nos analyses prouvent qu'en général, les gens préfèrent des liens vers des articles de haute qualité (É) plutôt que les derniers memes. » (notre traduction, nous soulignons)59 Ainsi, Facebook prône la production d'écrits de qualité, plutôt que de la quantité, engageant les narrateurs à publier sur leur page avec parcimonie. Dans un article sur Facebook for business, daté du 23 aout 2013, Varun Kacholia, ingénieur chez Facebook, présente l'arrivée du nouvel algorithme. « Nous voulons être sûrs qu'un contenu de haute qualité est produit ». L'ingénieur ne développe pas l'entièreté de la complexité du nouvel algorithme, basé sur une centaine de facteurs, mais engage les managers de page à « produire du contenu de haute qualité, optimisé pour l'interaction. » (notre traduction, nous soulignons) L'algorithme gérant l'affichage du News Feed assigne des valeurs à un écrit, permettant de contrôler la probabilité qu'il a de se trouver dans le fil d'actualité d'un lecteur. Il existe plus d'une centaine de critères pilotant le News Feed. Facebook reste vague sur le fonctionnement précis de cet algorithme mais l'on estime qu'il fonctionne selon des critères se classant dans trois grands familles : - L'affinité, qui est le paramètre prenant la régularité de l'interaction d'un utilisateur avec un autre « point60 » du réseau. Cette affinité est calculée par la quantité et la régularité de commentaires, de « j'aime », de messages, de partages. Elle prend aussi en considération les liens entre utilisateurs et entre pages. - Le poids, qui est un système de comparaison mis au point par Facebook afin de contrôler la valeur de chaque publication sur le réseau social. Par exemple, un commentaire a plus de valeur qu'un « j'aime ». De manière générale, on considère qu'une publication qui prend plus de temps à produire a plus de poids qu'une publication qui en prend moins. - La temporalité, qui est la pertinence temporelle d'une publication. Plus un écrit est temporellement pertinent, plus sa valeur est bonne.61 En analysant l'impact de ces trois critères sur la valeur d'une publication, nous pouvons voir comme le système impacte la temporalité des écrits sur le 59 https://newsroom.fb.com/news/2013/12/news-feed-fyi-helping-you-find-more-news-to-talk-about/ 60 Sachant que le « point » en question dans notre étude est la page Facebook du média, nous utiliserons désormais « page » pour renvoyer à ce point. 61 Les trois critères développés ici sont une traduction partielle de www.whatisedgerank.com Page 58 sur 99 Colin FAY réseau social. L'affinité engage à l'interaction, mais une interaction sur le long terme, non sur une concentration d'interactions. Il est important pour le média de garder une forme d'attention continuelle, afin de garder cette interaction constante à travers le temps, plutôt que de susciter un pic. Pour que la visibilité augmente, il faut que l'interaction soit régulière. Elle peut être moyenne mais constante pour garder un bon score, mais l'alternance entre périodes d'interaction forte d'un lecteur et périodes de creux fait peser la balance en la défaveur de la page. De plus, cette interaction doit se faire non pas simplement entre la page et son lecteur, mais entre la page et d'autres pages dites « de confiance ». Le poids, quant à lui, fait privilégier la production d'écrit qui « prennent du temps à être écrit ». En d'autres termes, il faut que le narrateur, sur le RSN, prennent le temps de rédiger sa publication, d'y ajouter du texte et un photo. Enfin, la pertinence temporelle entraine un besoin de recherche de qualité, d'informations ayant une certaine durée de vie plutôt qu'une immédiateté véritable. Facebook porte de l'importance à ce qui dure, ce qui semble avoir du poids pour le lecteur, plutôt que ce qui est temporellement « frais », potentiellement envahissant.62 Un RSN comme Twitter, à l'inverse, n'opère pas de tri dans la chronologie. Le fil d'actualité affiche l'ensemble des publications des profils qu'un utilisateur suit. Il n'y a pas de tri basé sur une quelconque qualité. La plateforme affiche tout, qu'importe la qualité et la quantité. Là où Facebook fait le choix, dans une situation où un utilisateur peut avoir 1500 publications différentes à sa connexion, de faire le tri pour l'utilisateur, Twitter choisit de tout afficher, classant simplement le fil d'actualité chronologiquement. Ainsi, une pratique de « raconter en direct » est impossible sur Facebook, le plus stratégique restant d'attendre la structuration complète du récit pour ensuite le poster en une seul fois. La pratique du « live-tweet », consistant à raconter un événement sur Twitter « en direct », est impossible sur Facebook ; ce dernier n'est pas le vecteur d'une forme de direct, mais au contraire peut être le support de signes passeurs renvoyant vers d'autre lieux de « direct »63. À l'inverse, Twitter en est le support parfait -- d'autant plus par le caractère éphémère que revêt un RSN comme Twitter : ne classant pas les publications, la survie d'un post dans le fil d'actualité est faible, se trouvant rapidement chassé par d'autres publications, et l'augmentation du nombre de publications augmente la probabilité d'interactions. Ces contraintes liées aux RSN peuvent également jouer sur les contenus produits. En effet, Twitter laisse libre court à une publication en grand nombre, alors que Facebook quant à lui incite les narrateurs à tempérer leurs publications. Une pratique adoptée par PP. Si nous prenons les 20 dernières publications du pure-player sur les deux RSN (ici le 29 mai 2014, à 17.30), les 20 derniers posts qui s'affichent sur Facebook sont des publications qui renvoient exclusivement vers la plateforme. Tous les signes passeurs sont des signes passeurs vers le site du 62 N. Carlson, février 2014 sur businessinsider.com : « Facebook believes random stuff in the News Feed sucks. / Facebook has decided it is better to show old "important" news instead of the latest update. For example, news that a friend had a baby, even if the news was posted two days ago, will get priority over any brand's update if you haven't seen it yet. » 63 Pour une analyse de corpus sur ces points, se référer à l'analyse faite du récit d'un événement sur PP en 3.1.3, révélant que lors d'un événement, PP poste 25 tweets durant les trois jours du festival, et deux après le festival, 12 publications sur Instagram -- face à un seul post sur Facebook, fait après le festival, et légendé « on fait le bilan ». Page 59 sur 99 Colin FAY média. À l'inverse, si l'on regarde la même quantité de publication sur Twitter, la tendance est différente : nous pouvons relever 9 publications renvoyant à la plateforme, 4 retweets et 7 liens vers d'autres territoires. Ainsi nous pouvons constater que la nature même du support, ici le RSN, influe la production de contenu, mais aussi le rapport à la présence : dans le cas de Facebook, la présence continue passe par la production d'écrit de qualité, qui pourront survivre à l'algorithme, durer dans le temps. À l'inverse, un support comme Twitter engage à publier en quantité, la survie au flot d'informations et de publications passant par une présence continuelle, qui n'est pas nécessairement qualitative et qui peut renvoyer à d'autres territoires que celui du média. Sur une plus longue tranche de tweets, si nous choisissons 100 tweets, en prenant pour point de départ la dernière publication du mois de mai et en avançant de manière antichronologique, nous constatons qu'il faut remonter jusqu'au 12 mai pour atteindre les 100 publications, soit 20 jours, une moyenne donc de 5 publications par jour. Pour Twitter, il faut remonter jusqu'au 19 mai, soit 13 jours plus tôt, soit presque 8 publications par jour. Nous pouvons donc constater que les publications sur Facebook sont moins nombreuses, en moyenne 3 par jours en moins, ce qui représente, sur un mois, presque une centaine de publications en moins. Ainsi, malgré une contrainte matérielle quasi-inexistante sur la plateforme en elle-même (c'est-à-dire un temps de publication quasi-nul), on voit qu'un RSN comme Facebook peut structurer la forme que prennent les publications : un narrateur ne peut pas être constamment en train de publier sur Facebook, où sa visibilité chutera Ñ il ne faut pas viser une quantité, au risque de faire chuter le ratio publication / interaction Ñ, à l'inverse de multiples publications sur Twitter peuvent assurer une visibilité grandissante, ne possédant pas d'algorithme gérant le ratio publication / interaction, la visibilité n'en est pas affaiblie par le dispositif si un grand nombre de posts apparaissent sur Twitter64. On voit donc que la présence continue prend deux formes différentes en fonction du RSN choisi : la présence continue qualitative, sur des plateformes comme Facebook, face à une présence continue quantitative, sur une plateforme comme Twitter. 64 Bien entendu, sur Twitter, la survie d'un post dépend de l'interaction que les lecteurs ont avec lui. Cependant, ce que nous voulons pointer du doigt ici est que Twitter ne possède pas d'algorithme pouvant être impacter par les choix temporels du médias. Page 60 sur 99 Colin FAY |
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