Média, support, temporalité : le cas des pure-players de presse.( Télécharger le fichier original )par Colin FAY Université Rennes 2 - Master Information et Communication 2014 |
1.3.3. Tension et dissolution de la figure écrivanteCette dissolution de la figure de l'auteur pose plusieurs questions quant aux pratiques professionnelles. D'abord, une question de légitimité : cette dernière est conférée à celui qui signe par les autres écrits qu'il laisse sur cette plateforme, et donc par les autres marques territoriales qu'il a laissées. Cependant, quand cette identité en tant que narrateur est complexe, polyphonique, la légitimité en devient floue. Comme le souligne D'almedia (2001), il faut savoir construire la confiance à l'heure du soupçon, rechercher cette confiance de la part de l'ensemble des partis prenantes autour de l'organisation, dans laquelle le symbolique vient jouer un rôle important. Cette symbolique se construit dans la combinaison des signatures, au travers de la légitimité des différents narrateurs : c'est à la fois la légitimité du narrateur en tant qu'il est auteur qu'en tant qu'il écrit sur une plateforme médiatique. Or cette identité est fuyante, tout comme le sont les articles. Quand une identité est appuyée par un profil Twitter, l'identité du narrateur n'en est que plus complexe : le média se trouve associé à ce profil et ce que le narrateur choisi d'y écrire. Ce qui peut être à double tranchant : des propos tenus personnellement pourrons déteindre sur le média, à la fois de manière négative, ou de manière positive, si le narrateur en question développe une identité d'expert sur un sujet. Ainsi, le média se doit-il de faire un choix stratégique sur la place laissée à l'identité des narrateurs : choisit-il de construire l'identité des narrateurs sur uniquement les signes laissés sur le territoire Ñ et dans ce cas la légitimité est conférée par le nom du titre Ñ, ou choisit-il d'ouvrir la place à la construction d'un profil ? La question se doit d'être évaluée. Également, l'injonction à la vitesse (que nous développerons en détails plus bas) peut faire que l'identité disparait tout bonnement de la vue du lecteur, de par une absence de recherche de légitimité de la part du lecteur. Si l'on prend un exemple bien connu du web, celui du Gorafi, pure-player satirique qui l'avance clairement dans sa rubrique À propos (« Tous les articles relatés ici sont faux (jusqu'à preuve du contraire) et rédigés dans un but humoristique. L'utilisation de noms de personnalités ou d'entreprises est ici à but purement satirique. »), nous pouvons constater que malgré cette identité clairement affichée, les informations par définition fausses publiée dans ce pure-player ont parfois été reprises comme véritables (ce qui a d'ailleurs fait le succès du pure-player). On voit donc qu'une identité est faussement attribuée, ou attribuée de travers, à un journal qui s'annonce lui même comme satirique, alors que la légitimité n'est pas à retrouver dans la véracité mais dans l'humour de son contenu. Cette dissolution de l'identité (un média satirique apparait comme média informatif) se manifeste du côté officiel34 34 Des médias professionnels ont repris les informations publiées par le Gorafi. Les plus célèbres sont un article sur un prétendu assassinat à Toulouse pour l'utilisation du mot « pain au chocolat », ou encore un faux interview accordé à Cahuzac. Certains médias, en particulier des pure-players, reprendront les informations fictives du Gorafi pour construire leurs articles. Page 42 sur 99 Colin FAY comme du côté lecteur35, faute de temps disponible de vérification, de culture de la vitesse et d'information overload36. Un flou identitaire entretenu par ces sites parodiques qui n'est pas sans poser de question. Notamment avec le statut numérique de ces médias parodiques. Comme le souligne Christian Delporte, historien des médias interrogé par 20minutes.fr, le pastiche n'est pas une nouveauté médiatique, et a toujours existé. Cependant, « (la) grande différence, c'est que c'était diffusé en kiosque. Il fallait faire la démarche de l'acheter, et les journaux annonçaient très clairement la couleur. Aujourd'hui, c'est en libre accès, on y vient par hasard, on maîtrise mal, et en plus, l'aspect parodique est beaucoup moins nettement affiché. » 37 Ainsi, la tentation de la rapidité combinée à l'information overload peuvent jouer sur la dissolution de l'identité narrative, les lecteurs ne prenant que peu de temps pour vérifier la légitimité du narrateur et/ou du média en question38. Enfin, ce flou identitaire peut poser certaines questions légales : qui est responsable, qui peut légalement répondre du contenu de l'écrit ? Comme le souligne (de Saint Pulgent,2012:15), il y a une « opposition frontale entre le droit d'auteur et les pratiques culturelles sur le réseau ». En effet, continue-t-il, « la définition classique de l'oeuvre protégée par le droit d'auteur repose sur un critère central (É) : l'oeuvre originale, celle qui reflète la personnalité de l'auteur, où l'auteur se reconnait. » (ibid:10) Cependant, dans une pratique où il la personnalité (autrement dit l'identité) de l'auteur n'est pas distincte, i.e. ne peut refléter sa « personnalité », il est difficile de lui en donner la responsabilité. Un flou d'autant plus renforcé par la non-présence du narrateur dans l'écriture sur les RSN : estampillés par la signature du média, quelle responsabilité donner aux écrits sur les RSN? 35 En février 2014, Christine Boutin cite à la télévision un tweet publié par le Gorafi sur une phrase du gouvernement concernant la loi sur la famille. Il s'agissait bien entendu d'une phrase satirique inventée par le site. D'autres articles provoquent également des réactions de lecteurs privés, notamment sur Twitter ou encore sur Facebook. 36 Nous reprendrons ce point dans la suite de ce travail, autour de la question de la tentation du copier-coller. 37 http://www.20minutes.fr/medias/1104741-sites-parodiques-comme-garofi-sont-ils-si-inoffensifs 38 Ce que souligne le site L'indépendant : « apparemment peu de personnes, y compris quelques journalistes, ne lisent (la section À propos) et se jettent donc directement sur ces informations reprises comme argent comptant. » http://www.lindependant.fr/2012/11/08/trop-souriant-dans-le-metro-il-finit-en-garde-a-vue-gare-au-gorafi,177847.php Page 43 sur 99 Colin FAY |
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