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Média, support, temporalité : le cas des pure-players de presse.

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par Colin FAY
Université Rennes 2 - Master Information et Communication 2014
  

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1.3. De l'auteur au narrateur

1.3.1. Signatures

Mais « qui écrit ? » Qui vient poser ces « marques territoriales », qui « deviennent expressives (É) lorsqu'elles acquièrent une constante temporelle et une portée spatiale qui en font une marque territoriale, ou plutôt territorialisante, `une signature'. » (Deleuze & Guattari,1980:387-388) ?

Il est crucial de considérer ce « qui ». Nous avancerons que sous ce « qui » se place une identité numérique signée. Signée, car pour l'identification de la source de l'écrit, il est nécessaire que « dans les énonciations écrites, l'auteur appose sa signature » (Derrida,1971), ce que font les noms et pseudos sur les dispositifs numériques. Cette marque signée, ce n'est pas l'oeuvre d'un auteur : sur un même territoire, différents auteurs peuvent écrire sous la même signature, et un même auteur peut utiliser différentes signatures dans un même territoire, -- voire deux signatures sur deux territoires -- : ils peuvent écrire en leur nom mais aussi en celui de l'organisation médiatique. Ces deux manifestations de signatures s'exprimant dans leur plénitude sur le RSN : l'écrit est signé du nom du média sur le RSN, alors qu'une fois le signe passeur activé est atteint un texte sous lequel a signé un actant scripteur. En même temps, plusieurs actants peuvent venir intervenir sur le même écrit, par correction, ou par renvoi vers un article antérieur par signes passeurs, ou par « ping back » : le ping back vient ainsi apposer de nouveaux signes sur l'article sans pourtant que celui qui l'a rédigé n'effectue d'action d'écriture, sans même changer la signature de celui qui a écrit le texte.

La signature, c'est ce symbole qui transforme un auteur en narrateur. Comme le souligne Barthes (1966:19), « narrateur et personnages sont essentiellement des `êtres de papiers', l'auteur (matériel) d'un récit ne peut se confondre en rien avec le narrateur de ce récit. », en d'autres termes « qui parle n'est pas qui écrit, et qui écrit n'est pas qui est. » (ibid:20) Cette distinction est importante à faire en auteur et narrateur. En effet, un auteur, en tant que personne physique, peut être une pluralité de narrateurs ; c'est en signant sous divers signatures qu'il existe en tant qu'entité racontant, écrivant un récit. Ces différentes identités narratives ont une influence sur les façons d'écrire : à la fois un auteur écrivant sous différentes signatures sur le même territoire doit s'adapter aux différentes identités qu'il prend, mais en même temps un auteur écrivant sur différents territoires doit savoir quel ton adopter selon le territoire sur lequel il écrit. Le pigiste est l'exemple de cette seconde pluralité de tons, car un pigiste recevant une information ou ayant fait une recherche sur un sujet ne peut pas proposer le même récit à tous les territoires sur lesquels il écrit, si tant est qu'il écrit sur plusieurs.

Un peu plus loin, les nouveaux outils de mise en ligne des articles (CMS) transforment le rapport à l'identité professionnel des actants. En effet, aujourd'hui le scripteur dans un CMS doit adopter une pluralité de casquettes. Plus loin qu'un simple texte brut, il doit savoir mettre en page, proposer des enrichissements photos et/ou vidéo, autrement dit, « la disjonction entre la fonction support et la fonction créative n'est plus de mise dans le cadre de la mobilisation des CMS. (É) Éditeur et auteur composent ensemble une nouvelle partition dans laquelle chacun emprunte ou dérobe des compétences à l'autre. » (Jeanne-Perrier,2005:78) Les

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narrateurs deviennent plus que de simples scripteurs. Ils sont également artisans de la mise en forme de leur texte, encouragés à embrasser les fonctions éditoriales traditionnellement dévolues à d'autres acteurs qu'eux, ce qui demandent à ces narrateurs un peu plus que de simples compétences d'écriture : il faut connaître les rudiments de la mise en ligne, mais aussi les contraintes qui s'imposent dans l'écriture web Ñ concision, répétition, contraintes de référencement sont autant de points à prendre en compte pour le narrateur, qui en vient à signer un peu plus que simplement son texte, mais plutôt son texte et sa mise en page. Ainsi le cadre d'écriture influence-t-il fortement l'écriture, comme le souligne Jeanne-Perrier (2005:75), « l'auteur n'est plus tout à fait ce grand créateur, ce génie isolé écrivant sans contrainte. (É) L'auteur, dans les CMS, appose un nom, une signature ou un pseudonyme sur une matière scripturale, déposée dans un cadre pré-programmé par ailleurs. » L'auteur est donc celui qui vient se transformer en narrateur en s'insérant, grâce à sa signature, dans le dispositif numérique préalablement établi. Il vient s'immiscer dans une structure préconstruite, s'insérant dans la polyphonie des voix narratives déjà en place.

Ces phénomènes se rencontrent sur PP. D'abord, le scripteur doit lui-même procéder à la mise en page de son texte, régulièrement complété par une touche de secrétariat de rédaction par le rédacteur en chef, qui corrige et complète, notamment en rajoutant des signes passeurs. Pour ce qui est des signatures, elles configurent l'existence même de l'écrit : rien que pour accéder au backoffice de la plateforme, il faut un compte, et donc une identité numérique signée. Sur la plateforme en elle-même, une fois les textes publiés apparaissent les signatures des auteurs, en haut de chaque articles. Ces signatures ouvrant, en tant qu'elles sont signes passeurs, aux comptes Twitter des scripteurs. Cependant, sur cette même plateforme existe un narrateur signant du nom « PP », brouillant ainsi l'identification d'un auteur à l'origine de cette écriture Ñ ce même narrateur, portant le nom de l'organisation, publiant entre 3 et 5 articles en moyenne par mois (à peu près autant que l'ensemble des pigistes). Ainsi derrière cette signature s'efface le discernement possible d'un auteur : il peut être plusieurs auteurs, tout en restant un seul narrateur. Cette dissolution de l'auteur dans le narrateur se manifeste également lorsqu'il s'agit d'écrire sur les RSN : la parole est toujours celle de l'organisation en tant que narrateur. Aucun autre auteur que l'organisation ne se manifeste en tant qu'écriture sur les RSN, dissolution effective marquée par l'utilisation quasi-systématique du « on/nous » dans le discours sur les RSN : « on a écouté », « a pris le temps de nous rencontrer », « voici nos hypothèses », etc. Ainsi, par le RSN se dissous la voix du narrateur derrière la voix de l'organisation, en annihilant la polyphonie des voix auctoriales de la plateforme. Cependant, cet usage de pronom n'est pas anodin. Comme le souligne D'almeida (2001:105) « l'embrayeur `nous' propose une identité autant qu'une conduite ». L'identité que propose le nous (ou ici le on) est une dissolution de la figure de celui qui écrit derrière l'identité signée du média. Ce n'est plus le narrateur en tant que narrateur qui décrit son texte, mais bien la voix narrative plurielle de l'organisation. D'autant plus que dans ces exemples, issus des RSN, c'est la même personne, le même actant qui écrit sur le RSN, qu'importe la signature qui accompagne le texte.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote