2.3.1 Conditions d'application
2.3.1.1 Principe de territorialité «
libérale »
L'instauration d'une compétence universelle efficace
dans l'ordre juridique suisse a consisté dans l'élargissement du
principe de territorialité de sorte que tout étranger
présent sur territoire suisse pourrait se trouver soumis à la
juridiction suisse, même pour des faits commis à
l'étranger. C'est la conception qu'Henzelin appelle « la
théorie libérale »41. Dorénavant, la seule
présence sur le territoire suisse d'une personne accusée de
génocide (art. 264 CP), de crimes contre l'humanité (art. 264a
CP) et de crimes de guerre (Titre 264ter CP) la rend punissable
selon le droit pénal suisse.
La présence sur territoire suisse est essentielle mais
n'implique pas l'obligation d'y être installé, ni d'y avoir un
lien étroit. Il n'est même pas nécessaire que cette
présence se prolonge au-delà de l'ouverture des
poursuites42. Sur ce point la jurisprudence a donné raison
à la doctrine, qui mettait en question la jurisprudence
précédente concernant les articles 5 et 6 aCP, selon laquelle la
compétence était interrompue dès le moment où
l'auteur quittait le pays43.
En octobre 2011, la police genevoise a pu arrêter Khaled
Nezzar, ancien ministre de la défense algérien et responsable de
violences contre les opposants de la « sale guerre », de torture et
d'exécutions extrajudiciaires, durant cette période. Ceci a
été possible grâce à une dénonciation
pénale opérée par l'ONG suisse TRIAL, qui avait eu vent de
son passage sur territoire suisse. M. Nezzar a recouru auprès du TPF
contre l'ouverture des poursuites le visant, invoquant notamment son
immunité lors des faits et le fait qu'il n'avait pas de lien
étroit avec la Suisse. Le recours a été rejeté par
décision du 25 juillet 2012, le TPF ayant estimé qu'il
était hors de proportion d'invoquer l'immunité pour des crimes
internationaux d'une telle gravité.
39 KOLB (2012), p. 68.
40 DDIP, p. 5, 8.
41 HENZELIN (2001), p. 131.
42 KOLB, p. 255.
43 TPF 2012 97, consid. 3.1 ; HENZELIN (2009), ad. art. 6.
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Par la présence du mot « peuvent », l'art.
264m al. 2 let. b laisse à l'autorité de poursuite la
possibilité de décider si elle veut suspendre ou renoncer
à la poursuite lorsque l'auteur ne se trouve plus en Suisse « et
n'y reviendra probablement pas ». Dans le jugement Nezzar, le TPF soutient
ce changement de pratique en estimant dorénavant que si la poursuite est
engagée lorsque l'auteur se trouve en Suisse, son départ
ultérieur n'éteint pas forcément sa compétence
juridictionnelle. C'est l'efficacité de la poursuite d'infractions
particulièrement grave qui en dépend, et le TPF souligne qu'une
« [...] interprétation trop stricte de la condition de la
présence sur sol suisse reviendrait à laisser décider
l'auteur de l'infraction de la poursuite de celle-ci »44.
Il s'ensuit qu'il suffit que le prévenu se trouve sur
territoire suisse au moment de l'ouverture des poursuites pour que la
compétence universelle puisse être appliquée. La
compétence de la juridiction suisse ne disparaît pas si le
prévenu a pris la fuite après le déclenchement de la
procédure45. En effet, le Conseil fédéral
estime, à propos de l'art. 264m al. 2 CP, que «[l]a let. b
de l'al. 2 n'a pas pour but d'accorder un avantage légal à
l'inculpé qui, ayant pris la fuite, se soustrait en cours de
procédure à l'action pénale »46.
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