Paragraphe 2 : L'étendue de la clause de sauvegarde
de l'article 209 B CGI
L'article 209B du CGI fait partie du paysage fiscal
français qui vise à limiter et lutter contre l'évasion
fiscale, comme l'ensemble des autres articles que l'on a déjà
étudié. Dans cet article il est avant tout question de valeurs et
parts qui sont détenus dans les pays à fiscalité
privilégiées. La notion de bénéfices dans cet
article est intéressante dans le cadre de notre étude en ce sens
que lorsqu'ils sont réalisés par une entité juridique, ils
sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers imposable
de la personne morale établie en France dans la proportion des actions,
parts ou droits financiers qu'elle détient directement ou indirectement.
Cet article nous emmène à parler de « clause de sauvegarde
».
La jurisprudence concernant cette clause de sauvegarde est
primordiale concernant son application. Car sans interprétation
jurisprudentielle stricte, l'interprétation extensive de cette
dernière peut s'avérer dangereuse pour l'Etat.
Deux arrêts du Conseil d'Etat du 28 novembre et 26
décembre 2012 méritent notre attention: CAA Paris 18 juin
2010 n° 09-2203, Sté BNP Paribas et CAA Versailles 4 mai 2010
n° 09-2128, Sté BNP Paribas.
Les juges dans ces arrêts vont se fonder sur
l'appréciation de l'activité et de l'impact que cette
dernière a sur le marché. C'est cette appréciation qui
établira si la clause de sauvegarde a lieu de s'appliquer ou pas. Ainsi
dans le cas d'espèce le Conseil d'Etat juge qu'eu égard à
la nature de ces activités et aux clients concernés, les
opérations de gestion de trésorerie d'un groupe bancaire par une
sous-filiale établie à Guernesey ou celles de collecte de fonds
de clients particuliers internationaux par une sous-filiale établie aux
Bahamas ne sauraient être regardées comme réalisées
de façon prépondérante sur le « marché local
» au sens de l'article 209 B.
L'analyse des juges est donc fondée sur le
caractère réel et concret de l'activité et n'est
aucunement fondé sur le critère juridique qui consisterait
à se fonder sur le pourcentage de parts détenus dans le capital
social.
Le raisonnement à contrario qui découle de
l'interprétation du Conseil d'Etat est le suivant: une personne qui a
recours à un mécanisme fiscal offshore en localisant ses
bénéfices dans un paradis fiscal ne verra pas ses
bénéfices "rapatriés" pour être imposés en
France si les juges considèrent que l'activité en question n'est
pas prépondérante et n'influe pas sur le marché local.
Il faut nuancer tout de même les prérogatives que le
Conseil d'Etat reconnait à l'administration fiscale par le biais de cet
article, en effet, un arrêt du Conseil d'Etat du 21 novembre 2011
n° 325214, 9e et 10e s.-s., min. c/ Société industrielle et
financière de l'Artois (Sifa)1, dans cet arrêt il
s'agissait d'une société « Plantations des Terres Rouges
» (PTR) qui avait son siège social au Vanuatu, en plus de son
activité d'exploitation, la société Plantation des Terres
Rouges est une société holding, qui détient des
participations à hauteur de près de 100 % dans plusieurs
sociétés ayant leur siège aux îles Caïman, au
Luxembourg, au Panama et à Hong Kong. Elle a parmi ses actionnaires deux
sociétés françaises, qui ont été
imposées sur leur quote-part dans les bénéfices de la
société PTR en application de l'article 209 B du CGI.
Cet arrêt nous fait savoir qu'eu égard à la
finalité de l'article 209 B du CGI, l'administration doit justifier que
la société, dont elle entend imposer les résultats sur le
fondement de cet article entre les mains d'un associé, est soumise hors
de France à une charge fiscale moindre, pour l'imposition de ses
bénéfices ou de ses revenus, que celle à laquelle elle
serait soumise en France si elle y était établie. L'on comprend
dès lors que ce que le Conseil d'Etat veut mettre en exergue est que
l'Administration ne dispose pas d'un droit omnipotent d'imposition des
bénéfices industriel et commerciaux, puisque lui incombe la
charge de la preuve.
Il est notamment important de faire remarquer que face à
l'application de l'article 209B du CGI le contribuable peut faire état
d'autres charges fiscales (par exemple l'assujettissement à la retenue
à la source) pour prouver qu'il n'est pas assujetti à une
imposition plus faible à l'étranger que l'imposition qu'il aurait
subi en France.
1 : Conclusion du rapporteur public Pierre Collin sur
l'arrêt 9e et 10e s.-s., 21 novembre 2011 n° 325214, min. c/
Société industrielle et financière de l'Artois
(Sifa)
L'article 209 B du CGI prévoit, dans son I, que lorsqu'une
entreprise passible de l'impôt sur les sociétés
détient directement ou indirectement 25 % au moins des actions ou parts
d'une société établie dans un Etat étranger ou un
territoire situé hors de France dont le régime fiscal est
privilégié au sens mentionné à l'article 238 A.
On comprend donc que la lecture de l'article 209B est faite en
complémentarité avec l'article 238 A lequel a été
analysé dans notre étude dans la partie réservée
à l'impact national des législations offshores, qui
définit la notion de régime fiscal privilégié comme
le fait, pour une personne, de ne pas être imposable dans l'Etat ou le
territoire considéré ou d'y être assujetti à des
impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est
inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt
sur les bénéfices ou sur les revenus dont elle aurait
été redevable dans les conditions de droit commun en France, si
elle y avait été domiciliée ou établie.
Le rapporteur public soulève un point très
important dans le cadre de son analyse en ce qu'il déduit de cette
complémentarité le fait que l'objectif de l'article 209 B est
d'étendre la territorialité de l'IS aux résultats des
filiales ou établissements établis dans un pays à
régime fiscal privilégié. Cet article serait dès
lors, un moyen de contourner le principe de la territorialité de l'IS.
Apparait dès lors l'idée selon laquelle les principes fiscaux
français apparaîtraient comme étant des obstacles à
la lutte contre l'évasion fiscale.
Il ressort de cette jurisprudence importante en matière
d'application de la clause de sauvegarde que la prérogative de
l'administration de pouvoir taxer des revenus ou bénéfices
qu'elle considère "évadés" est limitée par une
obligation qui est celle de réaliser une fiction juridique
préalable. Cette fiction consiste à faire sur une comparaison
entre une situation réelle et une situation hypothétique qui est
celle qui consiste à imaginer si la société disposait de
son siège en France alors qu'elle ne l'a pas.
Il en résulte que l'article 209 B a pour seul objet de
permettre la taxation en France de bénéfices qui y seraient
imposés selon les règles de droit commun si la
société produisant ces bénéfices était
établie en France mais qui échappent en totalité ou
presque à l'impôt dans le pays d'établissement.
Les problématiques internes les plus rencontrées au
niveau interne en matière de suspicion de fraude fiscale sont celles
relative à l'application de la clause de sauvegarde et la
licéité de certains mécanismes offshore à la limite
de l'optimisation fiscale, mais le cadre juridique européen vient aussi
complexifier les choses redynamisant encore plus la question du recours aux
législations fiscales offshores.
Paragraphe 3 : La liberté
d'établissement de l'UE protectrice du recours au mécanisme
offshore
La liberté d'établissent
consacrée au sein de l'arsenal juridique de l'Union européenne
est une liberté reconnue aux personnes physiques et aux personnes
morales dont la force juridique n'a cessé de croître au fur et
à mesure des Traités, de sorte que, elle est venue se poser comme
étant un moyen de légaliser (ou du moins un moyen de brouiller
les pistes en cas de recours aux mécanismes offshore constitutifs de
fraude fiscale) le recours aux mécanismes offshores.
Les exemples jurisprudentiels ne sont pas manquants, en effet,
l'on pourra citer l'arrêt TA Cergy -Pontoise du 25 octobre 2007
n° 03-2725, 5e ch., Sté Pinault Bois et Matériaux
où en l'espèce, une société française
détenait plus de 25 % des parts de sa filiale irlandaise, laquelle
bénéficie en Irlande du statut de « non
residentcompany » qui lui permet de ne pas payer d'impôts sur
les bénéfices en dépit de ses résultats
bénéficiaires ; qu'ainsi, elle était soumise à un
régime fiscal privilégié au sens des dispositions
précitées, par ailleurs, la filiale irlandaise n'exerçait
pas d'activité industrielle et commerciale effective et ne
réalisait pas d'opérations de façon
prépondérante sur le marché local ; que, par suite, les
dispositions du I de l'article 209 B du CGI précité lui
étaient applicables. L'administration fiscale a estimé que
l'article 209 B s'appliquait dès lors que la filiale, soumise au
régime irlandais des « non residentcompany », n'acquittait en
république d'Irlande aucun impôt sur les
sociétés.
La particularité de cette affaire réside dans le
fait que la filiale irlandaise invoque l'incompatibilité de l'article
209B avec la liberté d'établissement. En effet, le fait que
l'Administration fiscale se réserve le droit de d'imposer des
bénéfices qui sont localisés dans un Etat doté
d'une législation fiscale privilégiée serait contraire
à la liberté pour une personne morale de s'établir dans
l'Etat de son choix, et notamment au sein de l'UE.
Les Etats membres ne peuvent en principe priver leurs
ressortissants de la possibilité de s'installer dans un autre Etat
membre en vue de tirer profit d'avantages fiscaux légalement offerts
dans cet Etat.
Le principe de liberté d'établissement, qui
constitue selon la Cour de justice des Communautés européennes
une des « dispositions juridiques fondamentales de la Communauté
»1, prévoit en effet, en particulier, selon les
stipulations de ce qui est aujourd'hui devenu l'article 43 TCE, la
possibilité pour les entreprises de se constituer de manière
libre sur l'ensemble du territoire de la communauté.
La jurisprudence de la CJUE se fonde sur une large
interprétation de ce que l'on peut entendre par obstacle à la
liberté d'établissement, il faut que l'obstacle soit mis en place
pour des motifs impérieux d'intérêt général,
au nombre des motifs admis figure la volonté d'exclure d'un avantage
fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la
loi fiscale.
1 :CJCE 21 juin 1974 aff. 2/74, Reyners : Rec. p.
631
Or, justement, dans le cas très général
visé par les dispositions de l'article 209 B, une entreprise
détenue à plus de 25 % par une société
française, exerçant une véritable activité
économique dans un autre Etat membre de la communauté, mais y
disposant d'une fiscalité privilégiée, risquerait de se
voir imposer doublement sur certains de ses bénéfices,
circonstance qui constitue une restriction au libre établissement de
filiales françaises dans les autres Etats membres de la
communauté.
Il n'en reste pas moins que la vision de la CJUE sur la
liberté d'établissement n'a pas trouvé d'échos
suffisant aux yeux du Conseil d'Etat car en l'espèce l'administration
établit que la société irlandaise procédait d'un
montage artificiel visant à contourner la loi fiscale, de sorte que la
demande en décharge doit être rejetée.
La position du Conseil d'Etat à susciter de nombreuses
réactions aux nombres desquelles on citera la question qui consiste
à savoir si la liberté d'établissement n'est pas
constitutive d'un abus de droit en matière fiscale. En effet, l'abus de
droit, tel qu'il est défini par l'article L64 du Livre des
Procédures Fiscales, constitue une arme ultime et redoutable pour
l'Administration fiscale française et une source
d'insécurité juridique grave pour les contribuables, d'autant
plus que la marge de manoeuvre est souvent très faible entre la
recherche légitime de la voie la moins imposée et l'utilisation
abusive d'un texte. On peut donc en conclure que la liberté
d'établissement est un moyen de protection des contribuables ayant
recours aux mécanismes offshores mais qui vient être limité
par l'abus de droit, arme redoutable de l'Administration fiscale.
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