§ 2 : Les connexes finalités
La finalité de l'intérêt
général est efficace mais insuffisant pour justifier, à
lui seul, la persistance de la protection des ouvrages publics118.
D'autres finalités semblent en revanche, plus à même de
justifier, encore aujourd'hui, la protection de l'ouvrage public.
Il s'agit
114 Ph. GHODFRIN, Droit administratif des biens,
Armand Colin, 6éme éd., 2001, p. 380.
115 Pour reprendre l'expression du Commissaire du gouvernement
Dulpat, « on peut [...] s'interroger avec curiosité sur cet
intérêt général, qui dispenserait l'Administration
de respecter le droit. Pourquoi devrait-on alors annuler des actes
administratifs irréguliers, dés lors qu'ils sont justifiés
pas l'intérêt général ». J.
DUPLAT, Concl. sous TC, 6 mai 2002, M et Mme Binet c/ EDF,
JCP G 2002, II, 10170, p. 1966.
116 D. BAILLEUL, Note sous CE., 13
février 2009, Communauté de communes du canton de Saint-Malo de
la Lande, AJDA, du 25 mai 2009, p. 1060.
117 G. TEBOUL, Note sous CE., 19 avril 1991,
Epoux Denard, Epoux Martin, AJDA, 1991, p. 566.
118 Ch. BOUTAYEB, «
L'irrésistible mutation d'un principe : l'intangibilité de
l'ouvrage public », RDP, n° 5, 1999, p. 1461.
25
Première partie : L'ambivalence du principe
notamment de la protection des deniers publics
(A), et de la continuité des services publics auquel
satisfait l'ouvrage public (B).
A. La protection des deniers publics
La doctrine aussi bien ancienne119 que
contemporaine120 s'accorde à dire que la destruction des
ouvrages publics irrégulièrement édifiés
impliquerait un gaspillage financier des deniers publics dans la mesure
où « l'administration pourrait les rétablir presque
aussitôt, à la suite d'une expropriation régulière.
Cette application judaïque de la loi (que traduirait la destruction de
l'ouvrage) n'aboutirait qu'à imposer au Trésor Public un
sacrifice supplémentaire »121.
« Gardien des deniers publics
»122, le juge, face à une demande de
démolir, de déplacer ou de modifier un ouvrage public, va
réfléchir en termes d'opportunité. Les
considérations d'opportunités sont motivées par un souci
financier qui éviterait par ce « formalisme onéreux
»123 un double gaspillage à la charge de
l'administré124. Cette justification pragmatique
d'économie des deniers publics est expressément
envisagée
119 L. AUCOC, Conférences sur
l'Administration et le droit administratif, T.2, 1886, p. 558, cité
par
R. CHAPUS, Droit administratif
général, T.1, Montchrestien, Paris, 11ème
éd., 1999, n° 688.
120 J-M. AUBY et P. BON, Droit administratif
des biens, Dalloz, 1994, p. 318 ; L. DI QUAL, « Une
manifestation de la déségrégation du droit de
propriété : la règle "ouvrage public mal planté ne
se détruit pas" », JCP, 1964, I, fasc. n° 1852 ; L.
LAUCCHINI, « Le fonctionnement de l'ouvrage public », AJDA,
1964, p. 360 ; Ch. BOUTAYEB, « L'irrésistible
mutation d'un principe : l'intangibilité de l'ouvrage public »,
RDP, n° 5, 1999, p. 1461.
121 L. AUCOC, Conférences sur
l'Administration et le droit administratif, op.cit., p. 558,
cité par
S. BRONDEL, « Le principe
d'intangibilité de l'ouvrage public : réflexions sur une
évolution jurisprudentielle », AJDA, n° 15, 2003, p. 766.
122 TA, arrêt n° 17776 du 21 décembre 2001,
héritiers Hmila c/ la commune de Msaken, inédit.
123 G. VEDEL, Droit administratif, Manuel
Thémis, 1961, p. 672, cité par J-M. AUBY, « L'ouvrage public
», CJEG, 1961, p. 7.
124 A ce titre, l'alinéa 3 de l'article 10 de la
nouvelle Constitution de la République tunisienne adoptée le 26
Janvier 2014 dispose que « l'Etat veille à la bonne gestion des
deniers publics et prend les mesures nécessaires pour les
dépenser selon les priorités de l économie nationale et
oeuvre à la lutte contre la corruption et contre tout ce qui porte
atteinte à la souveraineté nationale ».
26
Première partie : L'ambivalence du principe
par la jurisprudence du TA. Le juge administratif fonde
l'intangibilité des ouvrages publics sur la protection des deniers
publics125.
Cependant, l'intérêt financier, si
légitime soit-il, n'est pas exempt de critiques. Il peut s'avérer
totalement inadapté126. Selon le commissaire du gouvernement
DULPAT, « on est en présence d'une explication plus que d'une
justification, car l'intérêt financier n'est pas en principe admis
comme un but valable de l'action administrative, un acte administratif pris
dans ce seul but pouvant être annulé par le juge administratif
pour détournement de pouvoir dans le cadre d'un recours pour
excès de pouvoir »127.
En outre, cette justification souffre d'une limite qui ne fait
pas dés lors l'unanimité au sein de la doctrine128. Il
apparaît que l'administration ne peut pas systématiquement
procéder à la régularisation de la situation
entachée d'illégalité129. En effet, la
régularisation n'est pas possible dans tous les cas. Elle n'est
effectivement permise que dans certaines
125 TA, arrêt n° 1/ 10771 du 20 juin 2003,
Béchir Ben Ali Zweri c/ SONEDE, inédit; TA, arrêt n°
12392 du 12 novembre 2004, Najet Hadar c/ SONEDE, inédit; TA,
arrêt n° 19776 du 20 juin 2003, Kefia Bent Hamed Kertas et autres c/
SONEDE, inédit. Dans ces trois arrêts on trouve le même
considérant où le juge fonde le principe de
l'intangibilité de l'ouvrage public sur la continuité et le bon
fonctionnement de services publics et sur la protection de deniers publics.
.
126 N. ACH, « L'intangibilité de
l'ouvrage public, un principe ébranlé mais loin d'être
enterré », RDP, n° 6, 2003, p. 1702.
127 J. DUPLAT, Concl. sous TC, 6 mai 2002, M
et Mme Binet c/ EDF, JCP G 2002, II, 10170, p. 1967.
128 R. CAVARROC, Note sous Cass. Civ, 27
février 1950, JCP, II, 5517 ; J-M. LE BERRE, « Les
pouvoirs d'injonction et d'astreinte du juge judiciaire à l'égard
de l'administration », AJDA, 1979, p. 18.
129 « On ne peut pas soutenir que la destruction de
l'ouvrage serait toujours, en fait, une réparation coûteuse et
platonique, l'observation d'une procédure régulière
permettant de la rétablir ; il est des hypothèses où
l'administration ne pourrait légalement implanter l'ouvrage au
même endroit ». J-M. LE BERRE, « Les
pouvoirs d'injonction et d'astreinte du juge judiciaire à l'égard
de l'administration », AJDA, 1979, p. 18.
27
Première partie : L'ambivalence du principe
circonstances, c'est-à-dire sous la condition que
l'irrégularité commise par la personne publique repose, en
matière d'ouvrage mal planté sur un manquement aux prescriptions
formelles de la procédure d'acquisition d'un terrain appartenant
à une personne privée130. En revanche, dès
l'instant où l'irrégularité repose sur l'absence d'une
condition de fond, il est impossible pour l'administration de procéder
à une quelconque régularisation au regard du bien-fondé
juridique de l'opération131.
De même, si le juge administratif envisage à
travers ce principe protéger, les deniers publics, il doit se garder de
contrecarrer des projets importants et non pas à tous les ouvrages
publics même d'une faible envergure, comme un canal
d'eau132.
|