B. Un fondement fragile
Bien que l'intérêt général soit le
principal fondement de l'immunité bénéficiant à
l'ouvrage public, ce fondement est toutefois fragile pour justifier la
défense du principe d'intangibilité111.
D'un côté, l'intérêt
général et l'intangibilité des ouvrages publics ne sont
pas toujours concomitants. D'ailleurs, « personne ne peut penser en
bon sens que le service que rend un ouvrage public, bien ou mal planté,
ne peut jamais être amélioré, par un aménagement, un
déplacement, voire une destruction suivie d'un remplacement
»112. L'intérêt général
nécessite parfois un déplacement, une modification ou même
une destruction de l'ouvrage public. A ce titre, un ouvrage public jugé
indispensable à un moment donné peut, par la suite, être
considéré comme nuisible. La réciproque peut aussi
s'avérer exacte ; « ce qui n'est pas indispensable aujourd'hui
pourra l'être demain »113. De ce fait, le
refus automatique qu'opère le juge devant toute demande de
109 Ch. BOUTAYEB, «
L'irrésistible mutation d'un principe : l'intangibilité de
l'ouvrage public », RDP, n° 5, 1999, p. 1461.
110 C. MANSON, Note sous CE., sect., 14 oct
2011, Cne de Valmeinier et syndicat mixte des Islettes, JCP, n° 48, 28
novembre 2011, p. 3 ; H. TOUTÈE, Conclusions sur CE.,
19 avril 1991, Epoux Denard, Epoux Martin, « La remise en cause de l'adage
"ouvrage public mal planté ne se détruit pas" », RFDA,
n° 8, janvier- février 1992, p. 65.
111 Ch. BOUTAYEB, «
L'irrésistible mutation d'un principe : l'intangibilité de
l'ouvrage public », RDP, n° 5, 1999, p. 1461 ; J. BOUGHRAB,
Concl. sur CE., 29 janvier 2003, Syndicat départemental de
l'électricité et du gaz des Alpes-Maritimes et Commune de Clans,
LPA, 2003 n° 101, p. 4.
112 H. TOUTÈE, Concl. sur CE., 19
avril 1991, Epoux Denard, Epoux Martin, « La remise en cause de l'adage
"ouvrage public mal planté ne se détruit pas" », RFDA,
n° 8, janvier- février 1992, p. 63.
113 JOSSE, Concl. sur CE., 30 mai 1930, Rec.,
p. 583, cité par R. HADAS-LEBEL, Rapport public du
Conseil d'Etat, La documentation Française, 1999, p. 305.
24
Première partie : L'ambivalence du principe
déplacement ou modification des ouvrages publics ne
peut pas être toujours pertinent justifié par la
préservation de l'intérêt général.
D'un autre côté, l'intérêt
général qui traditionnellement invoqué pour justifier le
principe d'intangibilité des ouvrages publics peut dans certains cas
commander sa démolition. En effet, par le biais de la théorie
du bilan, le juge peut être amené à
opérer une balance entre « les avantages et les
inconvénients de l'opération, entre son utilité publique
et sa « désutilité »» 114.
Une telle complexité et une telle ambivalence de la
notion115 n'est assurément pas à mettre au
crédit d'une justice objective et prévisible116.
« Lorsqu'une notion aussi importante que la notion
d'intérêt général est à même de
justifier une chose et son contraire, n'y a-t-il pas lieu de craindre, quelle
que soit la sagesse du juge, le danger de l'arbitraire
?»117.
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