§ 2 : L'environnement juridique européen
La CEDH a clairement manifesté sa volonté
d'assurer une protection réelle et effective du droit de
propriété, notamment dans le cadre des procédures
d'expropriation362. En matière de protection du droit de
propriété, l'apport des décisions de la CEDH implique
à moyen terme des transformations de plus en plus visibles sur le statut
d'immunité de l'ouvrage public. « L'ordre juridique
européen dans lequel évolue le droit de propriété
instaure un dynamisme appuyé à son profit, qui est en effet
susceptible de fragiliser certains fondements ou principes traditionnels du
droit interne, tel le principe de l'intangibilité
»363. Cet état du droit, certainement
stimulé par l'intérêt grandissant des justiciables à
faire valoir des moyens tirés de la convention
européenne364.
La protection du droit de propriété est
assurée par un statut supra-étatique365. En effet,
l'article premier du premier protocole additionnel à
362 M-P. MAITRE, « Le principe de
l'intangibilité de l'ouvrage public », LPA, 22 novembre 1999,
n° 232, p. 8.
363 Ch. BOUTAYEB, «
L'irrésistible mutation d'un principe : l'intangibilité de
l'ouvrage public », RDP, n° 5, 1999, p. 1485.
364 R. ABRAHAM, « Les incidences de la
Convention Européenne des Droits de l'Homme sur le contentieux
administratif français », RFDA, 1990, p. 1054.
365 F. SUDRE, « La protection du droit
de propriété par la Cour Européenne des Droits de l'Homme
», D, 1988, p. 71.
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Deuxième partie : L'adaptation du principe
la CESDH garantit le respect de la propriété
privée366. La première condamnation d'un Etat sur ce
fondement est intervenue en 1982 dans l'affaire Sporrong et
Lönnroth367.
Les implications du droit européen sur le régime
de protection de la propriété privée exigent une prise de
conscience et un regard plus attentif du juge interne. Celui-ci est
appelé à élargir le contrôle de
proportionnalité dans ce domaine, qui s'exprime par la recherche d'un
« juste équilibre entre les exigences de l'intérêt
général et les impératifs de la sauvegarde des droits de
l'individu »368.
La CEDH a manifesté une volonté d'assurer une
protection réelle et effective du droit de propriété
notamment en matière des procédures
d'expropriation369. C'est ainsi que la cour a
considéré que l'expropriation du fait est « incompatible
avec le droit de propriétaire au respect de leur bien
»370. Ce constat s'est confirmé dans une affaire
mettant en cause la France et qui s'apparentait à une hypothèse
d'expropriation indirecte371.
366 À cette fin, il prévoit que « toute
personne physique ou morale a droit du respect de ses biens. Nul ne peut
être privé de sa propriété que pour cause
d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et
les principes généraux du droit international ».
367 CEDH, 23 septembre 1982, Sporrong et Lönnroth,
série A, vol. 52, p. 61 ; L. SERMET, « Le
contrôle de la proportionnalité dans la Convention
Européenne des Droits de l'Homme : présentation
générale », LPA, 5 mars 2009, n° 46, p. 26 ;
A-F. ZATTARA-GROS, « Le contrôle de
proportionnalité exercé par la CEDH en matière de droit de
propriété », LPA, 5 mars 2009, n° 46, p. 32 ;
F. SUDRE, « La protection du droit de
propriété par la Cour Européenne des Droits de l'Homme
», D, 1988, p. 74 ; M. FROMONT, « Le principe de
proportionnalité », AJDA, juin 1995, p. 156.
368 CEDH, 23 septembre 1982, Sporrong et Lönnroth,
série A, vol. 52, p. 69.
369 Ainsi, l'article 6-1 de la CEDH fonde la nécessaire
remise en cause du principe d'intangibilité sur la définition qui
a été donnée au procès équitable par la cour
européenne de sauvegarde des droits de l'homme : « [elle] a
établi dans un arrêt Hornsby c/ Grèce du 19 mars 1997,
n° 18357/91, que le droit au procès équitable unifiait trois
droit particuliers ; premièrement u droit accéder à un
juge, deuxièment, un droit à un jugement respectant les garanties
de procédures que sont l'équité, la publicité et la
célérité et, enfin, un droit à l'exécution
de ce jugement, ce dernier point constituant la novation de cet arrêt
[...] ». S. BRONDEL, « Le principe
d'intangibilité de l'ouvrage public : réflexions sur une
évolution jurisprudentielle », AJDA, n° 15, 2003, p. 765.
370 CEDH, 24 juin 1993, Papamichalopoulos, DA, 1993, n°
415 ; voir aussi CEDH, 21 février 1990, Hakansson et Sturesson,
série A, n° 171.
371 R. HOSTIOU, Note sous CEDH, 21
février 1997, Guillemin c/ France, AJDA, 1977, p. 399.
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Deuxième partie : L'adaptation du principe
A cette occasion, l'Etat français fut pour la
première fois condamné pour violation de certaines garanties
relatives à la procédure d'expropriation372. En
application de « ces dispositions supranationales », depuis
quelques années, se dessine un mouvement jurisprudentiel interne, de
plus en plus perceptible, qui tend à rendre les dispositions du droit
interne en matière de privation de propriété compatibles
avec les exigences de la CEDH.
« Ce contexte de contrainte supérieure
atténue nécessairement la portée du principe
d'intangibilité en lui ôtant son caractère
irréversible. L'exigence que prône la jurisprudence
européenne fait naître une nécessité, celle
d'intégrer des principes de dimension européenne en droit interne
»373. Par conséquent, la position du juge à
l'égard de la protection de l'ouvrage public doit aujourd'hui se pilier
aux effets de cet environnement juridique qui ne remet pas ouvertement en cause
le régime de protection spécifique de l'ouvrage public, mais
insiste sur la reconnaissance de certains droits, notamment celui de
propriété374.
372 R. HOSTIOU, Note sous CEDH, 21
février 1997, Guillemin c/ France, article précité, p.
399.
373 Ch. BOUTAYEB, «
L'irrésistible mutation d'un principe : l'intangibilité de
l'ouvrage public », RDP, n° 5, 1999, p. 1489.
374 Ch. BOUTAYEB, «
L'irrésistible mutation d'un principe : l'intangibilité de
l'ouvrage public », RDP, n° 5, 1999, p. 1490.
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