B. L'irrésistible mouvement
d'amélioration des droits des administrés
Face « aux aspirations sociales d'une époque
où le besoin de protection juridictionnelle ne cesse d'être plus
ressenti [il est conforme] qu'un principe comme celui qui nous occupe soit
remis en question »352. La remise en cause du principe de
l'intangibilité de l'ouvrage public « ne fut pas un coup de
tonnerre dans un ciel serein. Elle s'inscrit dans un mouvement de fond plus
général visant à améliorer les droits des
administrés face à l'administration »353 en
délimitant « clairement à l'aune des droits des citoyens
les prérogatives de la puissance publique qui s'est distinguée
par ses excès dans certains domaines »354.
Elle implique que ce passage à une nouvelle
configuration juridique est indissociable d'une série de mutations
sociales plus globales, illustrant l'avènement dans les
sociétés contemporaines d'un droit nouveau, un droit post
moderne, qui serait radicalement différent du droit
classique355. Ce droit classique qui a donné lieu à
des principes tels que le principe de l'intangibilité de l'ouvrage
public a rompu avec des principes fondamentaux du droit. C'est ainsi que «
le principe de légalité a été vidé d'une
partie de sa substance, les lois se présentant de plus en plus comme des
textes-cadre, laissant à l'administration le soin de définir les
conditions de réalisation des objectifs fixés et lui donnant un
très large pouvoir d'appréciation des situations concrètes
»356.
352 R. CHAPUS, Droit administratif,
Montchrestien, T.2, 15éme éd., 2001, p. 569.
353 C. LAVIALLE, Note sous OE., section, 29
janvier 2003, Syndicat départemental de l'électricité et
du gaz des Alpes-Maritimes et communes de clans, RFDA, mai- juin 2003, p.
484.
354 Ch. BOUTAYEB, «
L'irrésistible mutation d'un principe : l'intangibilité de
l'ouvrage public », RDP, n° 5, 1999, p. 1490.
355 J. CHEVALLIER, « Vers un droit
post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique »,
RDP, n° 3, 1998, p. 650.
356 J. CHEVALLIER, « Vers un droit
post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique »,
RDP, n° 3, 1998, p. 650.
80
Deuxième partie : L'adaptation du principe
Comment, alors, eu égard à la hiérarchie
des normes, un principe jurisprudentiel, certes enraciné dans le droit
mais qui ne revêt au demeurant qu'une origine prétorienne,
pourrait-il contrevenir aux principes élémentaires
régissant le principe de légalité et le droit de la
propriété357, « droit fondamental
inhérent de l'être humain »358?
Avec le développement des principes de la
légalité et la victoire progressive des droits de l'homme, la
raison de l'Etat a reculé. Le juge administratif, chargé de
veiller au respect de la légalité359 et de la bonne
administration de la justice, est contraint à reconsidérer ses
instruments de contrôle pour les adapter au contexte sociologique. Dans
un Etat de droit, tout pouvoir doit être censuré. L'administration
ne doit pas agir d'une manière manifestement
déraisonnable360.
Aujourd'hui, le contexte juridique, social, politique et
économique a été radicalement changé. Le nouveau
contexte est caractérisé par « la montrée de
l'individualisme corrélative des droits des administrés face aux
pouvoirs publics »361. A cet égard, le
principe d'intangibilité des
357 N. ACM, « L'intangibilité de
l'ouvrage public, un principe ébranlé mais loin d'être
enterré », RDP, n° 6, 2003, p. 1633. L'article 14 de la
constitution Tunisienne de 1959 disposait que « le droit de
propriété est garanti. Il est exercé dans les limites
prévues par la loi ». De même, l'article 41 de la
nouvelle Constitution de la République tunisienne adoptée le 26
Janvier 2014 dispose que « le droit de propriété est
garanti et ne peut lui être portée atteinte sauf dans les cas et
avec les garanties prévues par la loi ».
358 TA., arrêt n° 312668 du 15 juillet 2013,
héritières Mohamed Ben Zin c/ commune de Sousse,
inédit.
"
.
359 « Le recours pour excès du pouvoir vise
à assurer, conformément aux lois et règlements en vigueur
et aux principes généraux de droits, le respect de la
légalité par les autorités exécutives ».
L'article 5 de la loi du 1er juin 1972 relative au TA.
360 D. LABETOULLE, « Le pouvoir
discrétionnaire en matière d'urbanisme et d'interventionnisme
économique », in Cahiers de l'Institut française de Science
Administratives, n° 16, Cujas, 1978, p. 33.
361 C. LAVIALLE, Note sous OE., sect., 29
janvier 2003, Syndicat départemental de l'électricité et
du gaz des Alpes-Maritimes et communes de clans, RFDA, mai- juin 2003, p.
485.
81
Deuxième partie : L'adaptation du principe
ouvrages publics n'a qu'à disparaître ou se
reformuler pour satisfaire les exigences de ce nouveau contexte.
Le principe d'intangibilité des ouvrages publics n'en a
pas moins besoin d'une reformulation, voire d'un rajeunissement. A cette
condition qu'elle pourra à la fois mieux s'adapter aux enjeux
économiques et sociaux contemporains, mieux s'harmoniser avec les
valeurs de la modernité et mieux répondre aux droits des
administrés.
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