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L'intangibilité des ouvrages publics

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par Henda EL GHOUL
Faculté de droit de Sfax Tunisie - Mastère de recherche en droit public 2013
  

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Section 2 : Un infléchissement du principe engendré par l'environnement juridique

Le principe de l'intangibilité de l'ouvrage public est tempéré, non seulement en raison du mouvement inauguré par la jurisprudence, mais aussi sous le poids d'un contexte juridique spécifique343. Cet environnement réfractaire à une application infaillible de l'intangibilité se nourrit principalement de deux séries de facteurs. Le premier ressort de l'environnement juridique interne (§ 1) alors que le second est généré par l'environnement juridique européen (§ 2).

340 J. LEMASURIER, « Vers un nouveau principe général du droit ? Le principe Bilan- Coût-avantages », in Le juge et le droit public, Mélanges offertes a Marcel WALINE, Tome 2, Paris, juillet 1974, p. 562.

341 J. LEMASURIER, « Vers un nouveau principe général du droit ? Le principe Bilan- Coût-avantages », in Le juge et le droit public, Mélanges offerts à Marcel WALINE, T.2, Paris, juillet 1974, p. 560.

342 S. BRONDEL, « Le principe d'intangibilité des ouvrages publics : réflexions sur une évolution jurisprudentielle », AJDA, n° 15, 2003, p. 764.

343 Ch. BOUTAYEB, « L'irrésistible mutation d'un principe : l'intangibilité de l'ouvrage public », RDP, n° 5, 1999, p. 1479.

Deuxième partie : L'adaptation du principe

§ 1 : L'environnement juridique interne

Bien que le principe de l'intangibilité des ouvrages publics ne repose pas sur des fondements susceptibles d'en soutenir sa pérennité, certains facteurs pourraient tenir lieu de fondement pour favoriser la possibilité de porter atteinte aux ouvrages publics. Il s'agit particulièrement du facteur législatif (A) et de l'irrésistible mouvement d'amélioration des droits des administrés (B).

A. Le facteur législatif

Si l'administration peut se prévaloir avec succès de la règle de l'intangibilité tant à l'égard du juge judiciaire que du juge administratif, la règle de non- injonction ne reste impérative que pour le juge judiciaire. D'ailleurs, aucun texte juridique n'impose au juge administratif de limiter ses pouvoirs à l'égard de l'administration.

En effet, l'article 3 du décret de 1888 désignait expressément et précisément les tribunaux concernés par la prohibition des injonctions, à savoir les « juridictions civiles »344. L'interdiction d'adresser des injonctions à l'administration est faite au juge judiciaire dans un contexte de séparation totale des ordres judiciaires et administratives et de renforcement général du TA345. Le juge administratif n'est pas alors concerné par cette interdiction.

De surcroît, l'article 3 de la loi organique n° 96-38 du 3 juin 1996, qui reprend les dispositions de l'article 3 dudit décret, prévoit que cette

344 L'article 3 du décret beylical du 27 novembre 1888, relatif au contentieux administratif, disposait qu'« il est interdit aux juridictions civiles d'ordonner, (...), toutes mesures dont l'effet serait d'entraver l'action de l'administration, (...) », JORT n° 13, 29 nov. 1888, p. 1.

345 H. MOUSSA, « L'exécution de la chose jugée et la réforme de la justice administrative en Tunisie », in La réforme de la justice administrative, colloque organisé du 27 au 29 novembre 1996, FSJPS, Centre de Publication Universitaire, 1997, p.110 ;

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Deuxième partie : L'adaptation du principe

interdiction concerne uniquement « les tribunaux judiciaires »346. Il est même juridiquement légitime de penser que ce pouvoir lui est désormais implicitement et nécessairement reconnu, dans toute la mesure où il ne lui resterait pas interdit par le principe de séparation de la juridiction administrative et de l'administration.

Ledit article donnait en quelque sorte une base légale à la remise en cause du principe d'intangibilité de l'ouvrage public déjà amorcée par la jurisprudence. Il semble que le juge administratif, fort de ce pouvoir d'injonction, ait poursuivi le travail de désacralisation du principe d'intangibilité de l'ouvrage public.

Ces pouvoirs confiés au juge administratif, sont susceptibles d'avoir une influence sur la pérennité du principe d'intangibilité. C'est là une raison juridique qui pousse à reconnaître au juge administratif au moins le pouvoir d'ordonner les ouvrages irrégulièrement implantés. A ce titre, le TA dans un arrêt datant du 2000, a considéré que le juge administratif n'est concerné par l'interdiction du pouvoir d'injonction347.

La règle suivant laquelle « ouvrage public mal planté ne se détruit pas » n'est que l'application du principe de prohibition des injonctions348. Cependant, sous l'influence de nouveau contexte international et avec la volonté d'assurer une plus grande égalité entre

346 L'article 3 de la loi organique n° 96-38 du 3 juin 1996, relative à la répartition des compétences entre les tribunaux judiciaires et le tribunal administratif et à la création d'un conseil des conflits de compétences, dispose que « Les tribunaux judiciaires ne peuvent connaître des demandes tendant à l'annulation des décisions administratives ou tendant à ordonner toutes mesures de nature à entraver l'action de l'administration ou la continuité du service public », JORT n° 47, du 11 juin 1996, p. 1143.

347 TA., appel, aff. n° 22656 du 25 février 2004, chef du contentieux de l'Etat agissant pour le compte du ministère de l'agriculture c/ Ezzeddine, Rec., p. 115.

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348 G. VEDEL, Droit administrative, Manuel Thémis, 1961, p. 673 ; J. GOURDOU, « Les nouveaux pouvoirs du juge administratif en matière d'injonction et d'astreinte », RFDA, mars-avril 1996, p. 335.

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Deuxième partie : L'adaptation du principe

l'administration et l'administré ainsi qu'une meilleure protection de ce dernier, le législateur français est intervenu à plusieurs reprises349.

L'étude du droit comparé relève que la protection des droits des administrés et le respect de l'autorité de la chose jugée l'emportent sur le principe de la prohibition des injonctions à l'administration350. Les juridictions administratives sont désormais dotées du pouvoir d'adresser des injonctions à l'administration et du pouvoir d'astreinte lorsque la chose jugée le nécessite351.

349 En France, la loi n° 95-125 du 8 février 1995, accorde de nouveaux pouvoirs au juge administratif en vue d'assurer l'exécution de ses décisions. L'article 38 de la loi insère dans le titre II du livre II de Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel un chapitre VIII nouveau, intitulé « l'exécution du jugement », comprenant trois articles L.8-2, L.8-3, L.8-4. Ainsi, afin de prévenir toute inexécution entêtée et de désobéissance obstinée à l'injonction adressée par la juridiction à l'une des parties au litige, le juge peut assortir son jugement d'une astreinte. J-P. LAY, « Faut-il mieux encadrer le pouvoir d'injonction du juge administratif ? », RDP, n° 5, 2004, p. 1358.

350 En droit italien, se sont développées des procédures particulièrement énergiques pour suppléer à la carence de l'administration dont les connues sont « les jugements d'obtempération » et « le commissaire aux actes » pour pallier la carence de l'administration défaillante. Ainsi, approuvés par le CE. les tribunaux administratifs régionaux peuvent adresser à l'administration des injonctions d'obéir par un jugement d'obtempération lorsque leurs jugements n'étaient pas exécutés spontanément par l'administration. De même, ils peuvent se substituer à l'administration. En effet, le juge administratif peut désigner un commissaire aux actes qui est chargé de prendre, au nom du C.E, les actes ou les opérations à effectuer que l'autorité administrative était tenue en application du jugement de se conformer à la chose jugée. J-P. COSTA, « L'exécution des décisions de justice», AJDA n° 1, 20 juin 1995, p. 232.

De même, l'Allemagne, qui pratique avec des nuances le système de dualité de juridiction, admet, devant les tribunaux administratifs, l'action tendant à l'émission d'un acte administratif (Verpflichtungsklage) ou au prononcé d'une injonction générale à l'administration (Leistungsklage). M. FORMONT, « Les pouvoirs d'injonction du juge administratif en Allemagne, Italie, Espagne et France. Convergences », RFDA, 2002, p. 558.

En Angleterre, le juge ordinaire n'hésite pas à imposer des obligations à l'administration, et le fonctionnaire récalcitrant risque de se rendre coupable de contempt of court. En revanche, il existe une vieille règle de la common law selon laquelle aucune mesure provisoire ne peut être ordonnée contre la Couronne, c'est-à-dire contre le gouvernement (en particulier pas de sursis à exécution). Et on sait que, lorsque l'application de cette règle du droit national heurte le principe de pleine efficacité du droit communautaire, la cour de justice de Luxembourg a jugé que le juge britannique devait écarter cette règle. P. LE MIRE, Note sous l'arrêt de la cour du 19 juin 1990, The Queen v/ Secretary State for Transport », AJDA, 1990, p. 832.

351 M-P. MAÎTRE, « Le principe de l'intangibilité de l'ouvrage public », LPA, n° 232, 1999, p. 5; F. MODERNE, « Etrangère au pouvoir du juge, l'injonction, pourquoi le serait-elle ? », RFDA 1990, p. 799.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius