§ 2 : (...) Vers un contrôle plus exigeant de
l'intérêt général
Dans le cadre de contrôle de l'intérêt
général, l'examen de l'intérêt général
s'effectuera certainement au regard d'intérêts complexes, qu'ils
soient généraux ou particuliers, à l'instar de la
théorie du bilan laquelle, en revanche, aboutit à un
contrôle normal sur la déclaration d'utilité publique en
matière d'expropriation327. Le principe
bilan-coût-avantages, comme un principe général du droit,
apporte aux administrés une garantie contre le pouvoir
discrétionnaire de l'administration (A). Mais ses
applications dans la jurisprudence récente dénaturent sa
portée (B).
323 T. de première instance de Tunis, arrêt
n° 12703/10 du 2 novembre 2000, cité dans l'arrêt du TA.
n° 24072 du 21 mai 2004, STEG c/ Néji Stanbouli, inédit.
324 R. HOSTIOU, Note sous Cass. Ass.
Plén., 6 janvier 1994, Consorts Baudon de Money c/ EDF, AIDA, 1994, p.
329.
325 Cass. Ass. Plén., 6 janvier 1994, Consorts Baudon de
Money c/ EDF, AIDA, 1994, p. 339.
326 C. BOITEAU, Note sous Cass. Ass.
Plén., 6 janvier 1994, Consorts Baudon de Money c/ EDF, RFDA 1994, p.
329.
327 Ch. BOUTAYEB, «
L'irrésistible mutation d'un principe : l'intangibilité de
l'ouvrage public », RDP, n° 5, 1999, p. 1474.
72
Deuxième partie : L'adaptation du principe
A. Le principe bilan-coût- avantages : garantie
des administrés
L'idée de mettre en place la technique du bilan
coûts-avantages est née de la jurisprudence328 en
matière d'expropriation afin de mieux contrôler une
procédure qui tendait à beaucoup se développer. Pour
qu'une opération soit jugée d'utilité publique, ses
inconvénients doivent être équilibrés par les
avantages qu'on peut en attendre. L'utilité publique n'est donc plus
appréciée in abstracto. « Une opération peut, par
son objet, être d'utilité publique, mais en raison de ses
modalités d'exécution ou de ses conséquences, ne plus
l'être »329.
Une fois pris en compte les intérêts
opposés, la démolition de l'ouvrage « ne sera
légale que si elle est adéquatement proportionnée aux
faits. C'est-à-dire par là même, que le caractère
excessif de la décision emporte son illégalité
»330. Le nouveau principe apporte de
sérieuses garanties aux administrés331. Il a le
mérite d'accroitre et de restaurer le rôle traditionnel du juge,
gardien de la légalité et protecteur des libertés.
328 CE., Ass., 28 mai 1971, Ministre de l'Equipement et du
logement c/ Fédération de défense des personnes
concernées par le projet actuellement dénommé «
Ville- Nouvelle Est », LONG (M.), WEIL (P.), BRAIBANT (G.),
DEVOLVE (P.) et GENEVOIS (B), Les grands arrêts de la
jurisprudence administrative, Dalloz, 12éme éd., 1999,
p. 639. Par la suite, cette jurisprudence s'est précisée et
développée. D'abord dans un arrêt Société
civile Sainte-Marie de l'Assomption, (CE., Ass., 20 octobre 1972, Rec., p.
657.) une déclaration d'utilité publique est annulée pour
la première fois sur la base des principes du bilan coûts-
avantages. Mais il faudra attendre vingt-cinq ans avant qu'une
déclaration d'utilité publique préalable à la
construction d'une autoroute soit annulée sur la base de la
jurisprudence du bilan (CE., Ass., 28 mars 1997, Association contre le projet
de l'autoroute transchablaisienne, concl., D. LINTON et note
ROUVILLOIS, RFDA, 1997, p. 740.
329 Ph. GODFRIN, Droit administratif des biens,
Armand Colin, 6éme éd., 2001, p. 380.
330 R. CHAPUS, Droit administratif
général, T.1, Montchrestien, 15éme éd.,
2001, n° 1264, p. 1074.
331 J-C. VITRY, « Le contrôle des
opérations d'utilité publique », G.P, 1975, p. 23 ;
J. LEMASURIER, « Vers un nouveau principe
général du droit ? Le principe Bilan- Coût-avantages
», in Le juge et le droit public, Mélanges offertes a Marcel
WALINE, T.2, Paris, juillet 1974, p. 559 ; M. WALINE, Note
sous CE., ass., 28 mai 1971, Ministre de l'Equipement et du Logement c/
Fédération de défense des personnes concernées par
le projet actuellement dénommé, RDP, n° 2, 1972, p. 454.
Deuxième partie : L'adaptation du principe
En raison de la carence notoire du contrôle
juridictionnel sur la légalité de l'utilité
publique332, le juge administratif tunisien a procédé
à un aménagement du principe de l'intangibilité des
ouvrages publics, par l'introduction d'un nouveau contrôle du bilan, afin
de protéger le droit de propriété. Ainsi dans l'affaire
Ghuila333, le juge administratif a insisté sur l'idée
d'équilibre entre l'intérêt général et les
intérêts privés auxquels l'ouvrage public va porter
atteinte. La destruction ne sera ordonnée qu'après
vérification qu'elle n'entraîne pas une atteinte excessive
à l'intérêt général334.
La formule de l'arrêt apparaît comme une rupture
avec la jurisprudence traditionnelle dans la mesure où elle fait
référence à l'orientation récente du contentieux
administratif. Sans doute, les termes employés par le TA dans son
arrêt n'ont pas été choisi au hasard. Ils dénotent
la ferme intention du juge de changer son orientation traditionnelle en faveur
d'une autre moderne. Si l'on considère qu'une telle allusion n'est pas
courante dans sa jurisprudence, il y a tout lieu de penser qu'il entend
opérer un revirement qui ne manquera pas de caractériser pendant
très longtemps le domaine de l'expropriation.
Sans abandonner le principe d'intangibilité, le TA a
précisé les conditions et les limites de sa mise en oeuvre. Il ne
s'agit pas d'«une démolition physique de l'ouvrage mais bien de
la possibilité ou non, à
332 J. LEMASURIER, « Vers un nouveau
principe général du droit ? Le principe
Bilan-Coût-avantages », in Le juge et le droit public, Mél.
offertes a Marcel WALINE, T.2, Paris, juillet 1974, p. 555.
333 TA., arrêt n° 1/ 17813 du 16 avril 2009,
Khadija Ghuila c/ l'office national de l'assainissement, inédit.
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Deuxième partie : L'adaptation du principe
travers cette démolition, de perturber ou de mettre
fin à l'activité d'intérêt général que
sert l'ouvrage public »335.
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