§ 2 : L'annulation sans l'exécution
« Le droit à un recours juridictionnel n'aurait
pas de sens si la
décision juridictionnelle à laquelle doit
donner lieu la saisine du juge n'était pas exécutée
»206. En effet, « l'effectivité
du droit à un recours
juridictionnel suppose un droit à l'exécution
des décisions de justice »207.
Néanmoins, l'exécution des décisions
émanant du juge ne bénéficie pas de techniques
particulières pouvant le garantir, et par la-
203 En vertu de la théorie de l'expropriation
indirecte, « le juge va écarter les irrégularités
commises par l'administration. On va passer l'éponge sur les
irrégularités commises ». L. DI QUAL,
« Une manifestation de la désagrégation du droit de
propriété : La règle ouvrage public mal planté ne
se détruit pas », JCP, 1964, I, fasc. n° 1852, p. 16.
204 R. HOSTIOU, « La Cour
Européenne des Droits de l'Homme condamne la théorie de
l'expropriation indirecte », AJDA, 6 février 2006, p. 225.
205 La régularisation est généralement
admise car d'une part, elle met un terme à l'illégalité,
et d'autre part, elle permet de prévenir le trouble que provoque toute
annulation. L'administration, ainsi que le juge administratif peuvent ainsi
opérer une régularisation d'un acte administratif en
procédant soit à une substitution de motifs (CE., sect., 16
novembre 1962, Société industrielle de tôlerie, Rec., p.
608.), soit à une substitution de base légale (CE., sect., 27
janvier 1961, Daunizeau, Rec., p. 57.), soit à une neutralisation des
motifs illégaux (CE., ass., 13 janvier 1963, Dme Perrot,
Rec., p. 39.).
206 E. CARPANO, Etat de droit et droits
européens, L'Harmattan, 2005, p. 400.
207 E. CARPANO, Etat de droit et droits
européens, L'Harmattan, 2005, p. 400.
46
Première partie : L'ambivalence du principe
même, préserver les droits des justiciables et le
prestige du juge208.
Certes, « l'exécution d'une décision
juridictionnelle par l'administration dépend dans une grande mesure de
sa propre volonté et de sa bonne fois »209. Le plus
épineux problème pour le contentieux administratif est
celui des moyens de contraindre l'administration à se
conformer aux décisions de la justice210. C'est d'ailleurs
à juste titre que M. RIVERO
disait qu'« Il n'y a pas de contrainte contre qui en
détient le monopole légal »211.
Détenant la force publique212, le pouvoir
exécutif pourrait négliger les ordres du juge administratif et
judiciaire. Ainsi, dans un arrêt datant du 1990213, le juge
cantonal a ordonné la cessation de troubles ce qui implique la
démolition de l'ouvrage public. Néanmoins, cette
décision
208 La loi 1996 reste silencieuse sur la question de
l'exécution des décisions de justice. Silence aussi sur la
sanction de l'inexécution, alors même que l'article 10 de la loi
de 1972 qui dispose que, « l'inexécution volontaire des
décisions du Tribunal administratif constitue une faute lourde qui
engage la responsabilité de l'autorité administratif en cause
», a échoué à remplir son office. «
Cette disposition n'a joué aucun rôle effectif dans le sens du
renforcement de l'obligation d'exécution. Elle ne semble avoir jamais
été mise en oeuvre, restent ainsi lettre morte, sans
évidemment tomber en désuétude. Mal conçu et mal
rédigée, son application aurait été et reste
délicate ». H. MOUSSA, «
L'exécution de la chose jugée et la réforme de la justice
administrative en Tunisie », in La réforme de la justice
administrative, colloque organisé du 27 au 29 novembre 1996, FSJPS,
Centre de Publication Universitaire, 1997, p. 76. De même, les
décisions émanant du juge administratif ne
bénéficient pas de techniques particulières pouvant le
garantir étant donné que l'astreinte n'existe pas en Tunisie.
L'astreinte est « une somme d'argent d'un montant
déterminé par jour ou par mois de retard, à laquelle est
condamnée une personne publique qui néglige ou refuse
d'exécuter une décision rendue par une juridiction administrative
quelle qu'elle soit. Elle vient donc sanctionner la violation par
l'administration de la chose jugée ». Ch. GUETTIER,
« Exécution des jugements », JCA, fasc. n° 112,
1995, p. 22.
209 L. LARGUET, « L'exécution des
décisions du juge administratif », in La justice administrative,
colloque organisé le 6-7 décembre 1996, Collection des colloques
des juristes n° 6, faculté du droit et sciences politiques de
Tunis, Tunis, 1996, p. 155.
210 M. WALINE, Le contrôle juridictionnel
de l'administration, Le Caire, 1949, pp. 199-200.
211 J. RIVERO, « Le système
français de protection des citoyens contre l'arbitraire administratif
à l'épreuve des faits », in Mél. Jean DABIN, Sirey,
1963, T.2, p.820.
212 J. CHEVALIERS, « L'interdiction pour
le juge administratif de faire acte d'administrateur », AJDA, 1972, T.28,
p. 77.
213 TC., arrêt n° 44639, rendu le 21
décembre 1977, cité dans l'arrêt du TA., n° 546, appel
du 26 novembre 1990, chef du contentieux de l'Etat agissant pour le compte du
ministère de l'éducation nationale c/ Tahar Ben Ali
Chérif, inédit.
47
Première partie : L'ambivalence du principe
n'a pas été exécutée par
l'administration214. Les décisions du juge peuvent rester
inexécutées sans engager pour autant la responsabilité de
l'administration215. Alors, « à quoi sert un juge
qui, après avoir mis au point de magnifiques théories pour
réduire l'arbitraire administratif, est incapable de les faire passer
dans les faits ?»216.
Un justiciable à statut particulier217,
l'administration peut toujours désobéir impunément au
juge218. Ce qui risquerait de mettre en cause non seulement la
crédibilité du juge, son prestige et sa
dignité,219 mais encore son existence220.
Dès lors, la doctrine n'a pas manqué de signaler que, sans le
pouvoir de commandement, le juge administratif serait un juge «
défectif »221, voire même «
mutilé »222. L'octroi du pouvoir d'injonction
alors n'est pas souhaitable, étant donné que ce pouvoir
1967
44639
1977
1979
21
20
1967
214
215 Le non exécution d'un arrêt « ne
constitue pas, contrairement à ce qu'un esprit borné pourrait
croire, une raillerie à l'endroit des juges ; c'est l'Etat qui se
corrompt, puis se perd ». Y. BEN ACHOUR, « Les
conséquences de l'annulation juridictionnelle d'une décision
administrative », in L'oeuvre jurisprudentielle du TA tunisien, ouvrage
collectif réalisé sous la direction de M. Sadok BELAÏD,
CERP, Tunis, 1990, p. 507.
216 J. CHEVALLIER, « L'interdiction pour
le juge administratif de faire acte d'administrateur », AJDA, 1972, T.28,
p. 87.
217 B. TEKARI, « L'exécution contre
l'administration », RTD, 1984, p. 360.
218 H. BEN SALAH, La justice administrative
au Maghreb, (étude comparé des systèmes de
contrôle juridictionnel de l'administration au Maroc, en Algérie
et en Tunisie), Thèse pour le Doctorat en Droit, FDSP de Tunis,
1979, p. 462 ; M. VIGROUX-ÈCHÈGUT, «
L'injonction de travaux prononcée contre l'administration », LPA,
n° 75, 14 avril 2000, p. 4.
219 J. RIVERO, « Le huron au palais
royal, ou réflexions naïves sur le recours pour excès de
pouvoir », Revue Dalloz, 1962, Chronique IV, p. 38.
220 B. TEKARI, « L'exécution contre
l'administration », RTD, 1984, p. 365.
221
39 1998
222 F. MODERNE, « Etrangère au
pouvoir du juge, l'injonction, pourquoi le serait-elle ? », RFDA 1990, p.
807.
48
Première partie : L'ambivalence du principe
serait inefficace et ne ferait que développer la crise
de confiance entre l'administration et son juge223. Le juge «
pourrait non seulement étendre ses propres pouvoirs, mais
écarter les protections dont toute décisions
bénéficie. Cela implique que le juge ne se limite pas à
l'annulation, mais qu'il s'adresse des ordres à l''administration pour
indiquer concrètement les mesures d'exécution à prendre
»224.
Il est vrai que le principe d'intangibilité a
été conçu pour servir les administrés en tant
qu'usagers des ouvrages publics. Néanmoins, les droits de certains
administrés se trouvent parfois gravement mis en cause. La gestion des
affaires publiques oblige à procéder par des arbitrages
difficiles et douloureux. L'intérêt général commande
souvent des sacrifices que les administrés se trouvent parfois
obligés de consentir. Mais l'intangibilité est loin d'être
absolue. L'évolution des droits a « désacralisé
» le principe.
223 J. CHEVALIERS, « L'interdiction pour
le juge administratif de faire acte d'administrateur », RTD, 1984, p.
88.
224 Y. BEN ACHOUR, « Les
conséquences de l'annulation juridictionnelle d'une décision
administrative », in L'oeuvre jurisprudentielle du TA tunisien, ouvrage
collectif réalisé sous la direction de M. Sadok BELAÏD,
CERP, Tunis, 1990, p. 514.
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