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L'intangibilité des ouvrages publics

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par Henda EL GHOUL
Faculté de droit de Sfax Tunisie - Mastère de recherche en droit public 2013
  

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§ 2 : L'annulation sans l'exécution

« Le droit à un recours juridictionnel n'aurait pas de sens si la

décision juridictionnelle à laquelle doit donner lieu la saisine du juge n'était pas exécutée »206. En effet, « l'effectivité du droit à un recours

juridictionnel suppose un droit à l'exécution des décisions de justice »207.

Néanmoins, l'exécution des décisions émanant du juge ne bénéficie pas de techniques particulières pouvant le garantir, et par la-

203 En vertu de la théorie de l'expropriation indirecte, « le juge va écarter les irrégularités commises par l'administration. On va passer l'éponge sur les irrégularités commises ». L. DI QUAL, « Une manifestation de la désagrégation du droit de propriété : La règle ouvrage public mal planté ne se détruit pas », JCP, 1964, I, fasc. n° 1852, p. 16.

204 R. HOSTIOU, « La Cour Européenne des Droits de l'Homme condamne la théorie de l'expropriation indirecte », AJDA, 6 février 2006, p. 225.

205 La régularisation est généralement admise car d'une part, elle met un terme à l'illégalité, et d'autre part, elle permet de prévenir le trouble que provoque toute annulation. L'administration, ainsi que le juge administratif peuvent ainsi opérer une régularisation d'un acte administratif en procédant soit à une substitution de motifs (CE., sect., 16 novembre 1962, Société industrielle de tôlerie, Rec., p. 608.), soit à une substitution de base légale (CE., sect., 27 janvier 1961, Daunizeau, Rec., p. 57.), soit à une neutralisation des motifs illégaux (CE., ass., 13 janvier 1963, Dme Perrot, Rec., p. 39.).

206 E. CARPANO, Etat de droit et droits européens, L'Harmattan, 2005, p. 400.

207 E. CARPANO, Etat de droit et droits européens, L'Harmattan, 2005, p. 400.

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même, préserver les droits des justiciables et le prestige du juge208.

Certes, « l'exécution d'une décision juridictionnelle par l'administration dépend dans une grande mesure de sa propre volonté et de sa bonne fois »209. Le plus épineux problème pour le contentieux administratif est

celui des moyens de contraindre l'administration à se conformer aux décisions de la justice210. C'est d'ailleurs à juste titre que M. RIVERO

disait qu'« Il n'y a pas de contrainte contre qui en détient le monopole légal »211.

Détenant la force publique212, le pouvoir exécutif pourrait négliger les ordres du juge administratif et judiciaire. Ainsi, dans un arrêt datant du 1990213, le juge cantonal a ordonné la cessation de troubles ce qui implique la démolition de l'ouvrage public. Néanmoins, cette décision

208 La loi 1996 reste silencieuse sur la question de l'exécution des décisions de justice. Silence aussi sur la sanction de l'inexécution, alors même que l'article 10 de la loi de 1972 qui dispose que, « l'inexécution volontaire des décisions du Tribunal administratif constitue une faute lourde qui engage la responsabilité de l'autorité administratif en cause », a échoué à remplir son office. « Cette disposition n'a joué aucun rôle effectif dans le sens du renforcement de l'obligation d'exécution. Elle ne semble avoir jamais été mise en oeuvre, restent ainsi lettre morte, sans évidemment tomber en désuétude. Mal conçu et mal rédigée, son application aurait été et reste délicate ». H. MOUSSA, « L'exécution de la chose jugée et la réforme de la justice administrative en Tunisie », in La réforme de la justice administrative, colloque organisé du 27 au 29 novembre 1996, FSJPS, Centre de Publication Universitaire, 1997, p. 76. De même, les décisions émanant du juge administratif ne bénéficient pas de techniques particulières pouvant le garantir étant donné que l'astreinte n'existe pas en Tunisie. L'astreinte est « une somme d'argent d'un montant déterminé par jour ou par mois de retard, à laquelle est condamnée une personne publique qui néglige ou refuse d'exécuter une décision rendue par une juridiction administrative quelle qu'elle soit. Elle vient donc sanctionner la violation par l'administration de la chose jugée ». Ch. GUETTIER, « Exécution des jugements », JCA, fasc. n° 112, 1995, p. 22.

209 L. LARGUET, « L'exécution des décisions du juge administratif », in La justice administrative, colloque organisé le 6-7 décembre 1996, Collection des colloques des juristes n° 6, faculté du droit et sciences politiques de Tunis, Tunis, 1996, p. 155.

210 M. WALINE, Le contrôle juridictionnel de l'administration, Le Caire, 1949, pp. 199-200.

211 J. RIVERO, « Le système français de protection des citoyens contre l'arbitraire administratif à l'épreuve des faits », in Mél. Jean DABIN, Sirey, 1963, T.2, p.820.

212 J. CHEVALIERS, « L'interdiction pour le juge administratif de faire acte d'administrateur », AJDA, 1972, T.28, p. 77.

213 TC., arrêt n° 44639, rendu le 21 décembre 1977, cité dans l'arrêt du TA., n° 546, appel du 26 novembre 1990, chef du contentieux de l'Etat agissant pour le compte du ministère de l'éducation nationale c/ Tahar Ben Ali Chérif, inédit.

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n'a pas été exécutée par l'administration214. Les décisions du juge peuvent rester inexécutées sans engager pour autant la responsabilité de l'administration215. Alors, « à quoi sert un juge qui, après avoir mis au point de magnifiques théories pour réduire l'arbitraire administratif, est incapable de les faire passer dans les faits ?»216.

Un justiciable à statut particulier217, l'administration peut toujours désobéir impunément au juge218. Ce qui risquerait de mettre en cause non seulement la crédibilité du juge, son prestige et sa dignité,219 mais encore son existence220. Dès lors, la doctrine n'a pas manqué de signaler que, sans le pouvoir de commandement, le juge administratif serait un juge « défectif »221, voire même « mutilé »222. L'octroi du pouvoir d'injonction alors n'est pas souhaitable, étant donné que ce pouvoir

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215 Le non exécution d'un arrêt « ne constitue pas, contrairement à ce qu'un esprit borné pourrait croire, une raillerie à l'endroit des juges ; c'est l'Etat qui se corrompt, puis se perd ». Y. BEN ACHOUR, « Les conséquences de l'annulation juridictionnelle d'une décision administrative », in L'oeuvre jurisprudentielle du TA tunisien, ouvrage collectif réalisé sous la direction de M. Sadok BELAÏD, CERP, Tunis, 1990, p. 507.

216 J. CHEVALLIER, « L'interdiction pour le juge administratif de faire acte d'administrateur », AJDA, 1972, T.28, p. 87.

217 B. TEKARI, « L'exécution contre l'administration », RTD, 1984, p. 360.

218 H. BEN SALAH, La justice administrative au Maghreb, (étude comparé des systèmes de contrôle juridictionnel de l'administration au Maroc, en Algérie et en Tunisie), Thèse pour le Doctorat en Droit, FDSP de Tunis, 1979, p. 462 ; M. VIGROUX-ÈCHÈGUT, « L'injonction de travaux prononcée contre l'administration », LPA, n° 75, 14 avril 2000, p. 4.

219 J. RIVERO, « Le huron au palais royal, ou réflexions naïves sur le recours pour excès de pouvoir », Revue Dalloz, 1962, Chronique IV, p. 38.

220 B. TEKARI, « L'exécution contre l'administration », RTD, 1984, p. 365.

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222 F. MODERNE, « Etrangère au pouvoir du juge, l'injonction, pourquoi le serait-elle ? », RFDA 1990, p. 807.

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serait inefficace et ne ferait que développer la crise de confiance entre l'administration et son juge223. Le juge « pourrait non seulement étendre ses propres pouvoirs, mais écarter les protections dont toute décisions bénéficie. Cela implique que le juge ne se limite pas à l'annulation, mais qu'il s'adresse des ordres à l''administration pour indiquer concrètement les mesures d'exécution à prendre »224.

Il est vrai que le principe d'intangibilité a été conçu pour servir les administrés en tant qu'usagers des ouvrages publics. Néanmoins, les droits de certains administrés se trouvent parfois gravement mis en cause. La gestion des affaires publiques oblige à procéder par des arbitrages difficiles et douloureux. L'intérêt général commande souvent des sacrifices que les administrés se trouvent parfois obligés de consentir. Mais l'intangibilité est loin d'être absolue. L'évolution des droits a « désacralisé » le principe.

223 J. CHEVALIERS, « L'interdiction pour le juge administratif de faire acte d'administrateur », RTD, 1984, p. 88.

224 Y. BEN ACHOUR, « Les conséquences de l'annulation juridictionnelle d'une décision administrative », in L'oeuvre jurisprudentielle du TA tunisien, ouvrage collectif réalisé sous la direction de M. Sadok BELAÏD, CERP, Tunis, 1990, p. 514.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote